À l’aube des élections du Parlement européen, les débats autour de l’Union européenne se multiplient. Agriculture, économie, citoyenneté et même sécurité, nombreux sont les points dans la discussion relative à l’impact de l’organisation supranationale sur nos vies quotidiennes.
Bien que l’Europe rythme — sans que beaucoup ne le sachent — la vie démocratique des pays qui la composent, rares sont les médias qui y consacrent une rubrique et encore moins la Une[1]. Entre 2020 et 2022, l’Europe politique occupe en moyenne 2,6 % des sujets dans les journaux télévisés, sur les chaînes d’information en continu et à la radio nationale[2]. Même en période électorale, les enjeux font l’objet d’une faible « européanisation » : les thèmes et les acteur·ices politiques restent majoritairement d’ordre national[3]. Peu de citoyen·nes semblent s’intéresser à son actualité et à ses enjeux : malgré un léger rebond de la participation aux dernières européennes, l’abstention reste élevée (49,8 % en moyenne sur l’ensemble des pays membres).
À contre-courant de cette couverture limitée, euradio mise sur un rapprochement entre les territoires et l’Europe. Reconnu sur la scène européenne, euradio — déjà bien développé sur le territoire métropolitain — est un média qui se veut généraliste. Afin de discuter des motivations et ambitions de ce média, nous avons eu l’occasion d’échanger avec sa directrice adjointe, Hélène Lévêque dans le cadre du cours « Médias et médiatisation de la politique en Europe » dispensé par M. Yohann Garcia. Retour sur cette visioconférence du 5 février 2024.
UNE CONVICTION EUROPÉENNE ASSUMÉE
L’aventure euradio débute en 2007 à Nantes. Laurence Aubron, journaliste de métier, souhaite déconstruire le traitement majoritairement national de l’information et proposer une vision concrète de l’action européenne sur nos territoires. Le projet vise donc les citoyen·nes européen·nes dans toute leur diversité : étudiant·es, professionnel·les, universitaires, etc.
Radio associative, euradio dispose d’un modèle économique se basant principalement sur les subventions publiques (à hauteur de 80 %) accordées par des collectivités territoriales telles que Nantes Métropole, mais aussi le ministère de la Culture via le Fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER) et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. La radio finance également ses activités par d’autres biais (environ 20 %) comme la vente de prestations de services, la création de contenus ou encore le mécénat.
Comme l’explique Hélène Lévêque, le projet de la radio, depuis maintenant 17 ans, se veut original : la ligne éditoriale du média a pour objectif de « rapprocher l’Europe des territoires, des citoyens, la rendre plus concrète » avec une conviction européenne et l’envie de dépasser le point de vue exclusivement national.
« Dès que les journalistes traitent d’un sujet, ils chaussent leurs lunettes européennes. Il s’agit de déconstruire nos habitudes qui sont très nationales et de rompre avec le traitement de l’information dans les médias généralistes français en général qui n’est pas toujours très ouvert vers ces questions européennes, bien que l’actualité nous rattrape parfois. Il y a plusieurs manières de faire, déjà ça peut être sur un territoire donné d’essayer de trouver la dimension européenne dans tout ce qui se passe autour de nous et de valoriser les acteurs, les initiatives, les projets qui ont une dimension européenne, qui vont se tourner vers l’Europe. On va aussi regarder comment l’Europe agit sur les territoires concrètement et on va s’intéresser via des reportages par exemple à des projets qui ont bénéficié de fonds européens ou du soutien de l’Union européenne : qu’ont-ils fait de ce soutien ? comment ça se traduit concrètement sur le territoire ? qu’est-ce que ça apporte à l’échelle locale ? Par exemple, “L’Europe vue d’ici” co-produit avec Euranet Plus, un réseau de radios européennes dont euradio fait partie pour la France, s’intéresse chaque semaine à un projet européen sur différents territoires.
On va aussi utiliser la comparaison, c’est-à-dire qu’on va aller toujours plus loin et apporter une information en plus : par exemple, si demain à Nantes il y a un projet de rénovation du réseau de transports en commun, on ne va pas seulement donner cette information-là, on va ajouter l’information en plus en allant chercher une autre métropole européenne (Lisbonne, Oslo, Prague…) qui a eu un projet similaire et comment elle a résolu cette problématique locale. C’est un moyen à notre disposition pour amener de l’Europe dans l’échelon local. »
UN PROJET ÉVOLUTIF ET MODERNE
Arrivé sur la fréquence 101.3 dans la région nantaise, le média européen s’est ensuite développé sur le territoire métropolitain et même européen. Aujourd’hui on dénombre 17 fréquences françaises et une à Bruxelles, au plus près des organes de décision de l’Union européenne. En plus de sa fréquence FM, euradio s’est installé sur le DAB+ (radio numérique terrestre) et dispose d’un site Internet sur lequel on retrouve une programmation variée et lui permettant de toucher une audience large.
En effet, euradio ne se limite pas au traitement de sujets d’actualité politique ou sociale puisqu’aujourd’hui 60 % de la programmation est musicale et valorise des artistes émergent·es, voire inconnu·es de la scène européenne avec trois maîtres-mots : curiosité, diversité et parité. Les artistes diffusé·es par la radio sont issu·es d’une soixantaine de pays et chantent dans plus de quarante langues. Luttant pour une parité et une égalité des genres, euradio propose tous les 8 du mois une programmation musicale exclusivement féminine, en clin d’œil à la journée internationale des droits des femmes célébrée le 8 mars.
À l’affût des nouveaux outils de diffusion de l’information, le média européen est investi dans la réalisation de podcasts, bien qu’il continue de publier des formats plus classiques tels que des articles, chroniques et éditos abordant des sujets aussi bien politiques que culturels et économiques.
UNE INITIATIVE CITOYENNE TOURNÉE VERS L’AVENIR
En sa qualité d’association, euradio s’appuie sur un réseau de bénévoles pour faire vivre son projet. Se voulant citoyenne et européenne, la radio organise ponctuellement des évènements propices à la rencontre entre l’équipe d’euradio et ses auditeur·ices par exemple à l’occasion de journées portes ouvertes.
De plus, la radio accorde une grande importance à la formation de nouveaux talents et s’y attelle depuis plus de 15 ans avec l’« Académie euradio ». Cette dernière accueille chaque année un groupe de stagiaires, étudiant·es européen·nes souhaitant découvrir la radio et plus largement le monde journalistique. Ce partenariat avec le monde universitaire est également entretenu par la réalisation de chroniques et émissions sur des thématiques variées notamment politiques , par des étudiant·es comme ceux du master « Affaires européennes » de Sciences Po Bordeaux dans la chronique « Quoi de neuf en Europe ? » .
Notons que l’expansion d’euradio n’est pas terminée : la radio souhaiterait élargir son réseau d’antennes ou de correspondant·es et obtenir de nouvelles fréquences de diffusion dans d’autres pays européens comme le Luxembourg ou l’Allemagne.
Ancrage dans les territoires, formation au journalisme européen de terrain… euradio fait figure d’« entrepreneur d’Europe »[4] : elle ne participe pas seulement à incarner l’Europe politique, mais à la faire exister et à la représenter à travers un ton qui lui est singulier.
Compte-rendu rédigé par Julie Martin et Ninon Quéré (promo M1 2023-2024)
[1] Hubé, N. (2003). « L’Union européenne à la “Une”. Un cadrage difficile d’une actualité peu visible. Regard comparé sur la presse française et allemande. » in G. Garcia & V. Le Torrec, L’Union européenne et les médias. Regards croisés sur l’information européenne.
[2] Verdier, T. (2023). L’Union européenne dans les médias. Atonie générale, sursaut récent, p. 3. En ligne, consultée le 14 février 2023. URL : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/06/UEmedias.pdf
[3] Brack, N., Rittelmeyer, Y. & Stanculescu, C. (2010). L’Europe en campagne électorale : une analyse croisée des médias nationaux. Politique européenne, 31, p. 173-203.
[4] Marchetti, D. (2004). « Conclusion. L’Europe, de l’“objet” au terrain» in Marchetti, D. (dir.), En quête d’Europe : Médias européens et médiatisation de l’Europe. Presses universitaires de Rennes, p. 292.