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Compte du rendu du dossier « Enjeux communicationnels dans les champs de la prévention et de la Santé Publique » dirigé par Eloria Vigouroux-Zugasti et Christian Bourret, Communication & Organisation, n° 63, 2023.
Le dossier thématique de la revue Communication & Organisation, publié dans son numéro N°63 en 2023 intitulé La santé au prisme de la communication organisationnelle : enjeux, tensions et perspectives, offre une analyse approfondie des enjeux communicationnels dans le champ de la Santé publique. Pour ce 63ème numéro, cette revue a été placée sous la direction de Eloria Vigouroux-Zugasti, maîtresse de conférences à l’université de Grenoble et Christian Bourret, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Gustave Eiffel.
Les recherches D’Eloria portent sur l’analyse des pratiques info-communicationnelles des organisations en santé. De son côté, Christian Bourret s’est intéressé aux organisations d’interface du secteur de la santé autour des enjeux communicationnels. Cette collaboration a permis de mettre le sujet de la communication des organisations dans le domaine de la santé publique à l’agenda de recherches en communication organisationnelle.
Ainsi, le dossier traite des différents défis info-communicationnels auxquels sont confrontés les organismes de santé en période de crise sanitaire, de méfiance envers les services publics, et de rationalisation des ressources humaines et financières. La Covid-19 a particulièrement bouleversé les pratiques professionnelles et de communication des acteurs de santé
Les auteurs du dossier adoptent une approche compréhensive et psychosociale pour saisir les différentes pratiques communicationnelles des acteurs de santé. Cette approche novatrice dans le champ de la santé publique met en perspective les pratiques des professionnels de santé sous le prisme de leurs représentations et leurs perceptions dans le contexte de réforme structurelle. Dans cette approche, les auteurs considèrent également le rôle déterminant des patients dans la communication organisationnelle. Ce choix s’explique par la pertinence et la nécessité d’explorer la communication dans le contexte de la santé, en tant que catalyseur de changement et d’influence sur l’organisation.
L’analyse du positionnement des organisations par rapport aux politiques et la dimension collaborative et co-constructive des acteurs permet de soulever des enjeux de reconnaissance des acteurs et de légitimation des organisations de santé. Les auteurs font particulièrement référence à la dimension utopique des discours comme levier de légitimation des organisations en période de crise en interrogeant l’« idéal de santé » qui tend à l’égalité à l’accès aux soins et normalise le « bien-être » du patient.
Pour mieux analyser les enjeux organisationnels et communicationnels dans le champ de la santé publique, les auteurs de ce dossier proposent de s’intéresser à différents terrains de recherche : les hôpitaux publics et privés, les organisations d’interface, les centres régionaux.
Ce premier article offre une analyse approfondie des pratiques communicationnelles des médecins généralistes à travers leurs représentations et leur perception dans le contexte du dépistage organisé du cancer en Haute-Garonne. Les auteurs, Pierre Mignot et Dorsaf Omrane, maîtres de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein du Laboratoire d’Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales (LERASS) de l’Université de Toulouse, apportent des expertises complémentaires sur les pratiques de communication des acteurs de santé. Pour cela, les auteurs adoptent une approche qualitative basée sur 131 questionnaires auprès de 1109 médecins de la Haute-Garonne. Des entretiens semi-directifs ont également été menés pour explorer les représentations des médecins généralistes et leur perception du dispositif de dépistage organisé ainsi que leur influence sur leurs pratiques et usages de communication.
Les auteurs soulignent l’hétérogénéité et la pluralité des pratiques communicationnelles des médecins généralistes face à une communication uniformisée de l’organisation de santé. Les médecins tendent à individualiser leurs pratiques en fonction de leur représentation et leur identification personnelle au dispositif. En effet, face au flou sur la nature et le fonctionnement du dispositif, les médecins ont des difficultés à se positionner et vont alors chercher à négocier et remodeler leur identité au sein de l’organisation. La notion de flou, permet ainsi de saisir les différentes adaptations individuelles face à ce nouveau dispositif.
Les organismes de santé perçus comme légitimes, les médecins sont moins disposés à discuter leurs recommandations malgré les controverses. Notamment parce qu’ils contribuent activement avec les patients à co-construire la confiance et la légitimité du dispositif et in fine de l’organisation. A la différence de l’article 4, où l’acteur principal de la contradiction de la légitimité de l’organisation est le public concerné par la communication préventive.
Dans ce deuxième article, Florent Saboul doctorant en sciences de l’information et de la communication à l’Université Lumière Lyon 2, propose une réflexion sur les discours « utopiques » des organismes de santé notamment à travers l’analyse de plusieurs avis dont l’avis One Health. L’approche « one health » de par la vision futuriste des scientifiques intègre différents secteurs (santé humaine et animale, environnement) et disciplines avec comme objectif la prévention et une meilleure gestion des émergences en santé.
Ainsi, la méthodologie de l’auteur a consisté à étudier la dimension utopique de la communication du conseil scientifique COVID-19 à travers une analyse de corpus. Ce choix méthodologique même s’il n’est pas clairement explicite dans l’article permet surtout d’interroger les discours et pratiques communicationnelles du conseil scientifique en vue de déconstruire le concept d’utopie. Dans le présent article, l’utopie est pensée comme un imaginaire c’est -à -dire qu’elle permet de « déplacer les craintes actuelles vers une nouvelle conception de la santé ». Ainsi, ce qui légitimise cette pensée utopique, c’est qu’elle est portée par des scientifiques qui produisent des discours prospectifs. Pour comprendre les enjeux de ce nouveau discours, l’auteur a également mené une étude comparative des pratiques discursives de l’institution en pleine épidémie et au moment de l’accalmie. Il en ressort que dans ce contexte de crise sanitaire, le discours du conseil scientifique COVID-19 s’est voulu plus« rassurant » et moins « alarmant ». Ceci s’observe d’ailleurs à travers de nombreux avis : ceux de mars 2020 et celui de 8 février 2022. Nous rappelons que ce nouvel espace discursif a mis en évidence les spécificités de chaque discours. Ainsi, l’intérêt de cet article est qu’il analyse également comment une organisation se construit une légitimité institutionnelle à travers des pratiques discursives qui se veulent uniformes et harmonieuses. Le processus de construction de la légitimité du conseil scientifique COVID-19 nous permet donc d’étudier la notion de représentation des acteurs dans leur organisation. Comment se projettent-ils leur mission ? C’est ce que nous étudierons dans le troisième article.
Ce troisième article apporte un éclairage sur les effets des réformes structurelles notamment de la régionalisation sur les représentations et les pratiques de communication des différents acteurs de santé. Cet article a été coécrit par l’enseignante chercheuse Maureen Sampic spécialisée dans la communication des organisations, Pierre Mignot et Valérie Lépine, ses deux directeurs de thèse. Cet article étant issu de la thèse de Maureen Sampic, s’intéresse aux effets de la régionalisation comme changement organisationnel sur l’image perçue de l’organisation mais aussi les représentations des pratiques communicationnelles des acteurs de santé du Centre Régional de coordination des dépistages des Cancers en Occitanie, et in fine leur communication envers le public. Pour cela, les chercheurs vont adopter une approche compréhensive et qualitative au niveau micro (discours des politiques), méso (le management des structures locales et les dispositifs d’information et de communication) et macro (intéractions entre les acteurs). De ce fait, ils vont mener 14 entretiens semi-directifs, des observations participantes lors d’événements liés au cancer et analyser un corpus de contenus institutionnels et thématiques. Les auteurs ont particulièrement mobilisé l’observation participante pour mieux saisir les représentations non exprimées et difficilement saisissables lors des entretiens semi-directifs.
Comme dans les autres articles, les auteurs vont traiter de la difficulté de positionnement des différentes catégories d’acteurs face au manque d’information claire sur la régionalisation. Liée à l’identité organisationnelle, cette difficulté de positionnement va engendrer une « crise identitaire » du fait du manque de reconnaissance de la part des organismes de santé et du public. Pour identifier les différentes réactions des acteurs de santé, les auteurs vont s’appuyer sur le modèle Hirschman : Exit, Voice, Loyalty, Neglect. Un acteur de la santé va développer plusieurs réactions dans une situation d’insatisfaction au travail, il peut tout d’abord partir (Exit), s’opposer (Voice), rester en prenant sur lui (Loyalty) ou prendre de la distance (Neglect). Comparé à l’article 1, les auteurs dévoilent alors un panel plus large de réactions notamment dû à la “crise identitaire” engendrée par ce changement organisationnel.
Dans le quatrième article de ce numéro, trois chercheurs du laboratoire GERIICO (Groupe d’Etudes et de Recherche Interdisciplinaire en Information et Communication) se sont intéressés à la question des conduites addictives sur le territoire Nantes Nord. Tous maîtres et maîtresses de conférences, Aurélia Lamy, Céline Matuszak et Eric Kergosien analysent plus précisément les pratiques collaboratives de différents acteurs dans la mise en œuvre des politiques publiques. Comme le soulignent les auteurs, les récentes restructurations autour de l’addiction s’inscrivent entre autres dans une perspective de décloisonnement des processus de prise en charge des publics concernés. Investir ces terrains de recherche permet de mieux appréhender l’articulation entre des acteurs du public et de l’associatif. Cependant, chaque corps de métier dispose de fonctionnalités propres, d’où l’intérêt de réaliser des entretiens avec des acteurs de la prévention des addictions sur le territoire Nantes Nord. Ce choix méthodologique permet de mieux comprendre les réalités professionnelles d’acteurs pluridisciplinaires bien qu’ayant des objectifs et pratiques professionnelles différents doivent travailler ensemble pour répondre aux besoins de la population. Ainsi, pour illustrer le vaste champ des pratiques collaboratives, les auteurs ont mobilisé d’autres concepts (coopération, partenariats, territoire, réseau) qui tous découlent de la notion centrale de cet article : la collaboration. Outre la dimension collaborative étudiée, l’article permet d’étudier la question de la « légitimité des acteurs ». Contrairement à ce qu’on peut observer dans les autres articles, dans ce cas précis, le besoin de légitimité s’exprime vis-à-vis de la population et non des organisations. Ceci s’explique par le fait que la dynamique entre les acteurs renforce la confusion autour de leur compétence professionnelle et rend de fait incompréhensible leurs prérogatives vis-à-vis du public externe. Parmi les résultats de leur recherche, il en ressort des entretiens menés que les échanges informels et les activités communicationnelles internes entre acteurs jouent un rôle essentiel dans la réussite du travail collaboratif. Ce qui vient confirmer la principale hypothèse des auteurs. Les récentes évolutions du système de santé sont au cœur de nombreux travaux de recherche en SIC, c’est ce que nous verrons dans l’article suivant.
L’entretien avec Sylvie Parrini-Alemanno, professeure des universités au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers Paris) et spécialiste de la communication des organisations en santé, offre une perspective analytique sur les enjeux communicationnels dans le champ de la Santé publique. Dans cet entretien, elle souligne l’importance de l’efficacité de la communication interne. Cet aspect est considéré comme essentiel pour établir et maintenir la confiance des employés dans un secteur où la qualité professionnelle et les conditions matérielles sont en jeu. Elle adopte une approche novatrice en abordant les conditions de travail à travers la notion de design participatif. Cette approche favorise l’équilibre entre les relations professionnelles et personnelles au travail, soulignant ainsi l’importance du bien-être des employés dans le contexte de la santé organisationnelle comme nous l’avons aussi vu dans l’article 1. En outre, elle aborde les enjeux des réformes structurelles comme la régionalisation, mettant en lumière les avantages et les conséquences pour les salariés comme nous l’avons vu dans les précédents articles. Des notions telles que la communication constructive, les organisations apprenantes, la confiance organisationnelle et les organisations d’interface émergent comme des éléments essentiels pour améliorer le système de santé dans son ensemble. Cet entretien permet, en quelque sorte, de faire le bilan du dossier et d’en dresser des perspectives communicationnelles.
Les cinq derniers articles du dossier traitent des enjeux de l’information et de la communication dans le champ de la santé publique et de la prévention et offrent des perspectives plurielles.
Les auteurs ont pu soulever des enjeux de légitimation des organisations à travers leurs pratiques discursives et identifier les tensions entre les discours organisationnels qui se veulent uniformes, et globalisants et la pluralité des pratiques professionnelles des acteurs de santé à travers l’analyse de leurs représentations.
Les auteurs ont pu également mettre en perspective les effets des réformes structurelles sur les représentations des acteurs de santé. Ils ont notamment relevé un « flou » c’est-à-dire un manque d’information et de communication autour de ces nouvelles réformes, qui a pour conséquence de remettre en question le positionnement et l’identité organisationnelle des acteurs de santé au sein de leur organisation. Suivant leur représentation et de la perception de cette réforme, les acteurs vont avoir différentes pratiques communicationnelles et réactions.
Tandis que certains articles soulèvent les enjeux communicationnels des pratiques professionnelles, d’autres proposent différentes perspectives novatrices pour améliorer l’efficacité des organisations comme l’importance de la communication interne ou encore les pratiques collaboratives dans le champ de la Santé publique. Alors que les acteurs de la santé ont des pratiques professionnelles éclectiques en matière de communication, les auteurs valorisent le travail collaboratif pour maintenir la confiance des salariés et préserver leur identité organisationnelle. Les auteurs parlent encore de l’émergence de nouvelles organisations, comme l’organisation d’interface qui vient en appui aux salariés dans le champ de la Santé publique.
Enfin, sur la question des réagencements territoriaux, les auteurs s’appuient sur le fait que les territoires présentent des caractéristiques distinctes et ne répondent pas tous à la même problématique. Ce qui offre un terrain d’étude intéressant aux chercheurs dans le domaine de la communication de la santé publique. D’ailleurs, la question de la régionalisation du système de santé a fait l’objet de travaux de recherche en sciences sociales comme l’article de Rayssiguier, Y. et Huteau, G. (2018) sur « La régionalisation de la politique de santé » nous permet de mieux cerner les enjeux de cette réforme structurelle.
Cheick Boubacar BAH, Zilla Saraï ZEVOUNOU, Sarah BORDIN (M2, promo 2023-2024)
