Jean-Luc Mélenchon est l’un des politiques qui communique le plus sur les réseaux sociaux et autres plateformes en ligne. Sa chaîne YouTube est la plus suivie du champ politique français avec plus de 500 000 abonnés en mars 2021. Se présentant comme le candidat du peuple, celui qui compte consacrer « l’ère du peuple»[1], assurer une communication démocratique serait pour lui fondamental.
La communication numérique de Jean-Luc Mélenchon: une illusion démocratique
Jean-Luc Mélenchon est très présent et actif sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter où son compte culmine à plus de 2,2 millions d’abonnés. Sur celui-ci, sa ligne communicationnelle est claire, il publie plusieurs fois par jour avec pour but de promouvoir ses activités politiques ou repartager ses interventions médiatiques. C’est une stratégie efficace tant elle permet de garder un contact régulier avec ses abonnés, informés de ses moindres faits et gestes. L’utilisation de Twitter, qui s’affirme comme l’un des dispositifs socionumériques les plus utilisés en communication politique est donc hautement stratégique pour Mélenchon.
Sur sa chaîne YouTube[2], Mélenchon propose différents types de contenu. Il publie les vidéos de tous ses passages sur des plateaux télévisés, à l’Assemblée Nationale et d’autres discours. Depuis la campagne présidentielle de 2017, Mélenchon publie également des « Revues de la Semaine », où il revient sur l’actualité mondiale. Il a récemment débuté la publication de « vlogs » afin de renouveler le contenu de la chaîne et toucher un nouveau public. Il s’est acclimaté avec les « codes » de Youtube, en diminuant la durée de ses vidéos, en parlant de manière détendue avec un vocabulaire simplifié, il s’adapte à un nouveau public plus jeune. Cette communication semble, comme sur Twitter, s’inscrire dans une démarche s’affichant comme démocratique.
Dans son exercice de leader du parti qu’il a fondé en 2016, La France Insoumise (LFI), Mélenchon s’attache à conserver les mêmes valeurs et à donner un maximum la parole aux citoyens. L’exemple le plus parlant de cette ambition démocratique dans sa communication numérique est la plateforme « Nous sommes pour »[3] créée afin de proposer aux citoyens de voter pour la candidature de Mélenchon aux prochaines élections présidentielles de 2022 et de suggérer des propositions à inclure dans le programme de campagne. 150 000 signatures étaient attendues pour valider la candidature ainsi que le programme « l’Avenir en commun ». Ce chiffre – relativement faible comparé aux militants LFI et électeurs de Mélenchon (7 059 951[4]) – a été atteint en quatre jours seulement sur cette plateforme. Il est quand même bon de souligner que Mélenchon vise un objectif de légitimation démocratique. Ce processus n’a pas pour objectif de créer un pluralisme interne, il reste candidat unique.
Pour promouvoir ses idées, Mélenchon s’appuie sur une base solide de médias directement reliés au parti. Afin de mettre en visibilité ses différents médias, le parti a créé en 2020 sa plateforme multimédia d’actualité « L’Insoumission », qui se décline en site internet et en application mobile distinctes du site officiel. Pour autant, le site est administré par LFI et le directeur de publication est Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de J-L. Mélenchon et du parti.
On entrevoit une pratique de la communication assez contradictoire avec la manière dont se présente LFI. En effet, le mouvement n’a pas de président officiel, cependant, la section « médias » du site du parti[5] accorde une place spécifique aux plateformes personnelles de J-L. Mélenchon, un privilège qui n’est accordé à aucun autre membre du mouvement.
Il est possible de préciser plus en détail son utilisation de Youtube. Antoine Bristielle suggère qu’il est un moyen d’abord d’éviter les médias traditionnels et leur cadrage trop centré autour du jeu politique plutôt que des enjeux[6]. Anaïs Theviot, ajoute qu’il s’agit surtout d’imposer ses enjeux à l’agenda médiatique traditionnel[7].
Youtube représente aussi en grande partie un autre enjeu de communication essentiel puisque, pour Antoine Bristielle, ce réseau est le lieu d’un registre plus individuel et personnel, il s’agirait de proposer une image plus « proche du peuple ». Il indique ainsi que “C’est parce que ce parti est populiste qu’il utilise YouTube, car ce réseau permet d’amplifier une communication qui cherche à figurer la proximité avec la population tout en développant des enjeux politiques”(Bristielle, 2020, p. 117).
Lucia Vesnic-Alujevic et Sofie Van Bauwel, qui ont étudié l’utilisation de Youtube dans le cas des campagnes européennes, expliquent que cette plateforme ne constitue pas un espace interactif entre candidats et internautes pour la co-construction d’un programme ou d’une action politique, des conclusions que l’on pourrait probablement étendre à Jean-Luc Mélenchon d’après nos observations.[8] En somme, malgré une plateforme originale, le citoyen reste bien spectateur de cette communication très classique et descendante.
L’organisation de la France insoumise: un mouvement autocratique
La France Insoumise ne consiste pas en un parti politique comme les autres, il s’agit d’une formation au sein de laquelle n’importe quel sympathisant est à même de s’affilier et ce de façon gratuite par le biais d’internet. Cette dernière se revendique être un mouvement et non un parti à part entière, se désolidarisant ainsi du fonctionnement des partis traditionnels. Cette formation vise à promouvoir une démocratie plus participative à travers une communication de masse via les plateformes numériques, de manière à rendre plus actifs les citoyens. Son chef de file, J-L. Mélenchon décline toute forme de vision binaire opposant verticalité et horizontalité, considérant le mouvement comme « gazeux »[9]. De fait, ce mouvement prône une forme d’auto-organisation reposant sur des groupes d’action dispersés sur l’ensemble du territoire. Toutefois, cette malléabilité du mouvement ne constitue-t-elle pas finalement un flou dans la structure et l’organisation même de cette dernière ?
Les Insoumis le ressassent : LFI est un mouvement et non un parti. C’est selon eux ce qui justifie l’absence de statut régissant la prise de décision, le processus de nomination ou encore d’organigramme officiel[10]. LFI présente un ensemble de comités ayant des rôles assez généraux et semblant tous fonctionner ensemble. L’absence d’organe centralisateur commun à ce grand nombre d’organisations questionne. Adrien Quatennens, député LFI, déclare dans une interview au Parisien en 2017 que « Plus notre mouvement restera élastique, souple, malléable, plus on sera fort. Plus on cherchera à se structurer, plus on sera fragile ». Cette déclaration entretient un flou dans la structuration et les instances décisionnelles du mouvement. C’est notamment ce fonctionnement en « mouvement gazeux » qui a créé la polémique en 2019, au lendemain des élections européennes. En effet, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer un manque de démocratie dans le fonctionnement interne. En juin 2019, Le Monde publie une note interne à la LFI, intitulée « Repenser le fonctionnement de la France Insoumise », signée par quarante-deux cadres. Ces derniers revendiquent un « affaiblissement du réseau militant et le départ de plusieurs responsables » dû en grande partie au fonctionnement du mouvement. C’est le cas notamment de Charlotte Girard qui a quitté le mouvement en raison d’un fonctionnement « opaque ». L’ex porte-parole de la LFI fait part de sa « défiance » à l’égard du mouvement, qui selon elle « manque de démocratie ». Par ailleurs, la note met en lumière une « certaine horizontalité en termes de fonctionnement mais une grande verticalité en termes de décisions collectives ». En ce sens, ils critiquent la façon dont sont prises les décisions stratégiques, à savoir par « un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation ». A la suite de la publication de cette note, plusieurs actions ont été mises en place pour pallier aux critiques, dont le lancement de nouvelles instances telles que l’agora politique ou encore l’assemblée trimestrielle des groupes d’action locaux, permettant le dialogue entre les militants. Ce faisant, ces mesures n’ont pas fondamentalement rétabli davantage de démocratie compte tenu du fait que la personne chargée de superviser ces nouvelles instances, Adrien Quatennens, aurait lui-même été nommé de façon opaque[11]. A l’heure actuelle, nous n’avons pas plus d’informations publiques sur le processus de décision décrié.
Jean-Luc Mélenchon entretient ainsi une distance avec les autres membres de LFI, et exerce une forme de personnification du mouvement. L’historique de sa chaîne Youtube, d’abord réservée au Front de Gauche[12] puis employée uniquement pour sa communication personnelle, démontre une vraie stratégie individuelle. Depuis les années 60, on observe une évolution de la forme des partis par plusieurs éléments dont la participation de plus en plus réduite des militants à l’organisation partisane ou encore le recours au charisme du leader. Elle se détermine autour du passage des “partis de masses” aux “partis attrape tout”. A l’image de LFI, les blogs et forums de discussion, chaînes vidéos, réseaux socio-numériques sont de plus en plus massivement investis, d’autant plus qu’internet est devenu une source d’information pour la majorité des citoyens. Dans les campagnes ou en prévision de celles-ci, les partis diffusent des prises de position, des photos et des vidéos afin de renforcer la visibilité de leur leader.
Valentin BAROT, Fabien BRUNET, Arthur HAMANT, Maxime HOLLARD-BOSETTI, Sofiane MOUSSA et Thuvaraka THARMARAJAH (promotion M1, 2020/2021)
[1] Livre publié par Jean-Luc Mélenchon en 2014 aux éditions Fayard.
[2] Créée le 1er janvier 2012, https://www.youtube.com/user/PlaceauPeuple
[3] https://noussommespour.fr/
[4] Ministère de l’Intérieur, https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/FE.html
[5] https://lafranceinsoumise.fr/
[6] Bristielle Antoine, « YouTube comme média politique : les différences de contenu entre interviews politiques classiques et émissions en ligne de trois représentants de La France insoumise », Mots. Les langages du politique, 2020/2 (n° 123), p. 103-121 https://www.cairn.info/revue-mots-2020-2-page-103.htm
[7] Theviot Anaïs, « Faire campagne sur Youtube : une nouvelle « grammaire » pour contrôler sa communication et influer sur le cadrage médiatique ? », Politiques de communication, 2019/2 (N° 13), p. 67-96 https://www.cairn.info/revue-politiques-de-communication-2019-2-page-67.htm
[8] Lucia Vesnic-Alujevic & Sofie Van Bauwel (2014) YouTube: A Political Advertising Tool? A Case Study of the Use of YouTube in the Campaign for the European Parliament Elections, Journal of Political Marketing, 13:3, 195-212, « Comme cela a déjà été montré, la majorité des vidéos ont été vues entre 100 et 10 000 fois. De plus, des commentaires ont été faits sur seulement 43,5 % des vidéos. On peut donc dire que la participation du public en ligne a été faible, d’abord pour ce qui est de visionner les publicités, mais aussi pour ce qui est de les commenter. Cela signifie que la participation aux campagnes de médias sociaux est encore très faible et n’a pas un grand impact dans notre étude de cas. »
[9] Interview accordée à l’hebdomadaire Le 1, en 2017 dans lequel il dépeint le mouvement comme « La forme organisée du peuple ».
[10] https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/
[11] Comme le précise Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis lors d’un entretien chez BFMTV, 23 juin 2019.
[12] Une coalition de partis politiques français, mise en place par le Parti communiste français (PCF), le Parti de gauche(PG) et la Gauche unitaire (GU) lors des élections européennes de 2009, fondée par Jean-Luc Mélenchon. http://www.placeaupeuple.fr/