Marine le Pen et Éric Zemmour en campagne sur Twitter : se démarquer par l’attaque

« La conséquence de la dévalorisation de l’image de l’adversaire entraîne la valorisation de la sienne » comme l’indique Élodie Berthet[1] sur la base de diverses études[2] [3] [4].  En ce sens, lors d’une élection présidentielle, une part de négativité est mise en œuvre par les candidats. Autrement dit, « chaque candidat consolide son positionnement non seulement dans la valorisation de ses points forts et de ses mesures phares, mais également dans l’adversité ou, autrement dit, en opposition à ses rivaux. », toujours selon Élodie Berthet[5].

Depuis 2012, en France, la liste des outils de campagne électorale incontournables s’est allongée à travers la consécration des réseaux socionumériques[6]. Parmi eux, Twitter constitue l’espace en ligne le plus propice à la polémique[7]. Ce réseau social est apparu comme fortement mis à profit par M. le Pen et E. Zemmour lors de leur campagne pour l’élection présidentielle française de 2022.  

Dès lors, comment cette négativité a-t-elle été utilisée sur Twitter par E. Zemmour et M. le Pen en amont du premier tour de l’élection présidentielle française de 2022 ?

Afin de répondre à ce questionnement, nous avons analysé les mentions nominales des adversaires au sein des tweets publiés sur les comptes officiels de M. le Pen et E. Zemmour et émis entre le 1er janvier 2022 et le 08 avril 2022. Cela constitue une limite à notre étude. Sur 965 tweets publiés, M. le Pen a mentionné nominalement un des candidats adversaires dans 69 tweets. Pour E. Zemmour sur 1239 tweets publiés, il a cité nommément un des candidats dans 112 tweets.  

Il s’agira d’identifier les cibles communes des attaques de M. le Pen et d’E. Zemmour afin de déterminer les méthodes mises en œuvre sur Twitter pour les mener. Enfin, nous observerons si Twitter a reflété des tensions et des attaques entre lesdits candidats de droite radicale et nationale[8].  

Les cibles communes des attaques d’E. Zemmour et M. le Pen

M. le Pen, dans la majorité des cas, cible E. Macron. Il est, en effet, la cible de 88,4% des tweets citant un autre candidat. V. Pécresse, quant à elle, correspond à seulement 4% des attaques provenant de la candidate. Emmanuel Macron est le président sortant, c’est pourquoi il s’attire le plus de critique : il a un bilan à défendre, et sur lequel il est attaqué. Il est également placé en tête dans les sondages et est donc le candidat à cibler. M. le Pen tente donc d’installer un duel avec le candidat E. Macron, et de le cristalliser dans le débat public puisque deuxième dans les sondages. Elle a alors tendance à effacer ses autres adversaires[9]

Capture d’écran d’un tweet du 05/03/22, issue du compte twitter de M. Le Pen. (Twitter)

E. Zemmour, cible fortement V. Pécresse et E. Macron, quant à M. Le Pen elle priorise le Président de la République dans ses attaques. Ce sont 58,7% des tweets mentionnant un candidat qui sont destinés au président sortant, puis 28,4% attaquent la candidate LR. Comme le soutient Raphaël Haddad, contrairement à la stratégie de surplomb des candidats sortants, ou des candidats issus des (anciens) partis de gouvernement qui mentionnent très peu leurs concurrents, E. Zemmour doit « entrer dans la mêlée ». De ce fait, il n’a pas cet ethos d’ancienneté en politique et doit citer ses concurrents durant les meetings, et dans la campagne en général. En effet, « cette dynamique illustre la nécessité pour des acteurs politiquement dominés de nommer leurs adversaires, là où les acteurs dominants, ont plutôt tendance à lisser discursivement la conflictualité »[10]

La gauche est peu présente dans les attaques des candidats étudiés. L’objectif est de se démarquer de ses adversaires, pour être le la candidate qui ira au second tour de l’élection présidentielle. En se concentrant sur ces candidats, E. Zemmour et M. Le Pen cherchent à convaincre un électorat de droite et affrontent ainsi faiblement la gauche. E. Zemmour attaque deux fois A. Hidalgo, notamment sur son bilan en tant que maire de Paris[11]. Il attaque également une fois J-L. Mélenchon[12] et Y. Jadot[13], lors de la campagne, sur les valeurs qu’ils défendent. M. le Pen attaque également A. Hidalgo sur son bilan de maire de Paris[14]. A travers cette attaque, elle s’en prend à la « gauche [qui] démontre son profond mépris pour notre pays » en désignant la majorité de gauche PS-PCF-EELV. La gauche est donc globalement attaquée sur le critère ‘valeur’. 

Capture d’écran d’un tweet du 02/04/22, issue du compte twitter d’E. Zemmour. (Twitter)

Dans le corpus étudié, nous pouvons retrouver des tweets qui ne sont pas polémiques, mais plutôt destinés aux électeurs de ses concurrents. Il se peut que certains tweets aient des « formulations neutres, voire positives, sans doute en raison des stratégies de rassemblement au second tour, de récupération d’électeurs indécis, ou plus simplement d’une proximité politique entre candidats »[15]. Exemple lorsque M. le Pen exprime son soutien et envoie son « courage à ce jeune couple agressé pour s’être rendu à un meeting d’E. Zemmour »[16]. E. Zemmour, lui, mentionne beaucoup les autres candidats comme N. Dupont-Aignan, ou interpelle directement les « électeurs du RN et de LR »[17] pour les appeler à l’union des droites qu’il porte. 

Les types d’attaque prédominants et leurs thématiques

La négativité s’installe au sein du répertoire courant lors des campagnes électorales pour la présidentielle, puisque cela a déjà pu être observé en 2017.[18] En centrant notre recherche sur la communication politique négative desdits candidats, nous avons pour but de faire émerger des tendances concernant les types d’attaques et les thématiques favorites de l’extrême droite. 

Sur l’ensemble des tweets concernant E. Macron, trois types d’attaques se distinguent des autres : l’action et le bilan du candidat, les valeurs et les attaques sur la personne. En effet, M. le Pen s’en prend à E. Macron à 60,6% sur son bilan tandis que E. Zemmour à 42,18%. De plus, ces critiques des valeurs portées par le candidat ainsi que sa personne montrent un aspect offensif de la campagne : 24,6% des tweets de M. le Pen et 21,9% des tweets d’E. Zemmour sont des attaques personnelles envers E. Macron. Une autre tendance dégagée, majoritairement présente pour le candidat de Reconquête! est l’attaque sur les valeurs puisqu’elles constituent 20% de ses tweets consacrés à E. Macron. 

Nous l’avons vu, V. Pécresse n’est majoritairement la cible que d’E. Zemmour. En effet, il l’attaque sur sa personne (30,8%) son programme et ses valeurs (57,7%). 

Les thématiques qui apparaissent comme prédominantes sont propres à chaque candidat. En effet, nous avons remarqué que le Président de la République sortant est majoritairement attaqué sur la crise sanitaire, sur le sujet de l’Europe, de la sécurité ainsi que celui de la justice, correspondant ainsi aux attaques sur son bilan. V. Pécresse est majoritairement attaquée sur son programme et la thématique de l’immigration. La prédominance de ces thématiques est liée aux enjeux propres à la droite radicale et nationale et c’est sur ces sujets en particulier (sécurité, immigration, ordre public) que le public leur reconnaît une crédibilité.[19] Ce qui est toutefois remarquable, c’est la volonté de distinction par la négativité des deux candidats ici étudiés. En effet M. Le Pen en adoptant une position critique vis-à-vis de l’Union européenne et E. Zemmour se présentant comme le candidat de l’ordre, avec une forte dépréciation de l’état de la sécurité en France. Que ce soit concernant l’Europe, la sécurité ou encore la gestion de la crise sanitaire, nous observons que les deux candidats usent de la négativité et de la critique de façon systématique, et ce pour structurer leur propos et donc leur positionnement politique.

Capture d’écran d’un tweet du 18/01/22, issue du compte twitter de M. Le Pen. (Twitter)

Se démarquer par l’attaque

Il n’y a pas deux places au second tour de l’élection présidentielle pour la droite radicale et nationale[20]. Ils sont pourtant trois, N. Dupont-Aignan, E. Zemmour et M. le Pen, et surtout deux à se disputer la place tant convoitée. De quels procédés communicationnels les deux candidats ont-ils usé pour se démarquer l’un de l’autre ? 

Nous n’avons recensé que cinq tweets du compte d’E. Zemmour d’attaque directe envers M. le Pen, et un d’attaque indirecte où il y mentionne le RN ; à l’inverse, seul un tweet émanant du compte de la candidate émet une critique à l’égard du président de Reconquête!. 

Une différence notoire entre les deux candidats : la virulence des attaques. E. Zemmour n’hésitera pas à qualifier son adversaire de « politicien superficiel »[21]  (on notera par ailleurs la masculinisation de l’expression). Les deux candidats de droite radicale, optent pour une stratégie « où la critique de l’adversaire se combine avec la promotion comparative du candidat qui attaque : il s’agit de simuler un transfert de préférence »[22]. L’objectif de ces attaques étant pour chacun d’apparaître comme le candidat de droite le plus crédible. Ainsi, M. le Pen tweete qu’« Éric Zemmour (…) n’apporte pas de plus-value sur l’immigration et l’insécurité (…) il a  un programme économique proche de celui de Macron ». À l’inverse E. Zemmour tweete à propos de la position critique de M. le Pen concernant sa proposition de ministère de la remigration[23]. Ces deux attaques mutuelles ont pour objectif de situer chaque candidat dans une ligne politique différenciée : M. le Pen mise sur les mesures sociales de son programme en dénonçant le libéralisme du programme économique de son concurrent. A contrario, E.  Zemmour cherche à affaiblir les positions de son adversaire. Ses attaques s’attachent donc à faire apparaître M. le Pen comme moins radicale que lui. Par ce procédé, il tente de déplacer la fenêtre d’Overton (champ du dicible et de l’acceptable), et œuvre à la dédiabolisation de M. le Pen et du parti dont elle a hérité. 

Capture d’écran d’un tweet du 25/03/22, issue du compte twitter d’E. Zemmour. (Twitter)

Capture d’écran d’un tweet du 21/03/22, issue du compte twitter de M. Le Pen. (Twitter)

Les attaques par tweet de M. le Pen, sont moins virulentes et se concentrent sur le bilan d’E.  Macron. Elle cherche à s’imposer comme principale adversaire, en tentant d’incarner un duel avec le président sortant. E. Zemmour se doit d’exister dans un espace politique comprenant deux autres candidats de droite radicale et nationale, la fréquence de ses attaques répondent donc à cette nécessité. Les thématiques d’attaque de ces candidats restent globalement les mêmes, portant sur leurs sujets de prédilections comme l’immigration. Cela démontre leur proximité politique et idéologique. 

Finalement, ces deux stratégies permettraient l’émergence d’une extrême droite d’apparence modérée représentée par M. le Pen et plus radicale par E. Zemmour.

Léna BOUKHELIFA, Sara KHETTABI, Jean-Baptiste LACHENAL, Jérémy LAVAURE

Promotion Master 1 , Communication politique et publique en France et en Europe 2021-2022.


[1] BERTHET Élodie, « Le banquier et l’héritière« Questions de communication, 2020, p.201- 218. https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/23924#quotation

[2] AMOSSY Ruth, La présentation de soi, Presses Universitaires de France, 2010.  https://doi.org/10.3917/puf.amoss.2010.01

[3] AUGER Nathalie, FRACCHIOLLA Béatrice, MOÏSE Claudine et SCHULTZ-ROMAIN Christina, De la violence verbale, pour une sociolinguistique de discours et des interactions, communication présentée au Congrès mondial de linguistique française, Paris, 2008. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02504438/document

[4] LARGUÈCHE Évelyne, Adresse indirecte et injure ?, Cahiers de littérature orale, 70, 2011, p. 139-156. https://journals.openedition.org/clo/1297?lang=fr

[5] BERTHET Élodie, Le banquier et l’héritière, op. cit.

[6]  FRANCONY Jean-Marc, PAPA Françoise, Incidences du web analytic sur la médiatisation de la campagne électorale 2012, PACTE – Laboratoire de sciences sociales, 2012. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00707256/

[7] MERCIER Arnaud, Twitter, espace politique, espace polémique. L’exemple des tweet-campagnes municipales en France (janvier-mars 2014), Les Cahiers du numérique, 2015/4 (Vol. 11), p. 145-168. https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2015-4-page-145.htm

[8] AL-MATARY Sarah, Une nouvelle extrême droite ? Entretien avec René Monzat, La Vie des idées, 2022. https://laviedesidees.fr/Une-nouvelle-extreme-droite.html

[9] HADDAD Raphaël, Le discours de meeting électoral : rituel d’affrontement, médiatisations, communication politique. Analyse du discours de meeting électoral pour l’élection présidentielle française (2002, 2007, 2012), Linguistique, Université Paris-Est Créteil, 2017. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01935620

[10] Ibid.

[11] Tweet d’Eric Zemmour, « Mme Hidalgo et le gouvernement ne sont pas hostiles à ces « haltes soins addiction ». Et il y en aura ici, si on ne fait rien, si on ne nettoie pas cet endroit. #ZemmourCollineDuCrack #Remigration », le 25/03/2022

[12] Tweet d’Eric Zemmour, « Je défends tous les Français, de toutes conditions. Jean-Luc Mélenchon, comme le reste de la gauche a abandonné le peuple. Les SDF Français sont oubliés des médias et de la technocratie qui leur préfèrent les immigrés clandestins. Président, je ferai passer les Français d’abord. », le 02/04/2022.

[13] Tweet d’Eric Zemmour, « Alors que nos agriculteurs font face à la flambée des prix et que des peuples risquent la famine, des voyous ont arrêté un train de céréales et gaspillé des tonnes de grains. @yjadot cautionnez-vous ces actes alimentés par l’idéologie obscurantiste que vous diffusez ? », le 19/03/2022.

[14] Tweet de Marine le Pen, « Merci aux citoyens et défenseurs du patrimoine contre le saccage de Paris par Anne Hidalgo. Notre capitale est un joyau qui appartient à tous les Français. En détruisant la beauté de Paris, la gauche démontre son profond mépris pour notre pays. #saccageparis », le 19/01/2022. 

[15] HADDAD Raphaël, op. cit. 

[16] Tweet de Marine le Pen, « Courage à ce jeune couple, agressé pour s’être rendu à un meeting d’Éric Zemmour.  Cette vidéo reflète une violence à laquelle sont confrontés de nombreux militants qui partagent nos idées, et plus généralement un ensauvagement qui pourrit la vie des Français. Nous y mettrons fin. », le 19/03/2022.

[17] Tweet d’Eric Zemmour, « Je serai l’homme de l’union des droites parce que je le veux. C’est nécessaire. Je suis le seul qui recueille les suffrages des électeurs du RN et de LR. #Zemmour2022 », le 06/01/2022.

[18] BERTHET Élodie, op. cit. 

[19] CASTELLI GATTINARA Pietro et FROIO Caterina, Quand les identitaires font la une. Stratégies de mobilisation et visibilité médiatique du bloc identitaire, Revue française de science politique, vol. 68, no. 1, 2018, pp. 103- 119. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-1-page-103.htm

[20] AL-MATARY Sarah, Ibid

[21] Tweet d’Eric Zemmour, « Marine le Pen et Valérie Pécresse refusent de débattre avec moi. Les politiciens fuient la confrontation directe. C’est pourquoi, le peuple et moi, nous l’aimons tant. », 18 janvier 2022.

[22] LEFÉBURE Pierre, « C’est totalement ridicule » : stratégie et contenu d’une communication négative dissimulée lors de la campagne présidentielle française de 2017 , Question de communication, n°38, 2020. https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2020-2-page-145.htm

[23] Tweet Eric Zemmour, « Puisque vous parlez de sondages, en voilà un de ce matin : 65 % des Français sont d’accord avec mon ministère de la Remigration dont Marine Le Pen dit du mal. C’est l’événement du jour. », 25 mars 2022

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