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Bulgarie : baromètre des enjeux autour des élections législatives anticipées

Bulgarie)Un peu moins de 24h avant le scrutin, les élections législatives anticipées en Bulgarie cristallisent bon nombre d’enjeux. Elles interviennent dans un contexte commun à la plupart des démocraties européennes, puisque l’extrême droite y est très largement attendue. Alors, en quoi les élections législatives constituent-elles le principal enjeu de stabilité politique de la Bulgarie, alors même que le pays ne parvient pas à se doter d’institutions démocratiques tangibles depuis la transition postcommuniste de 1989 ?

Les grandes étapes de la construction du système politique bulgare de 1989 à nos jours

Avec une succession de nombreux régimes politiques, les expériences démocratiques épisodiques de la Bulgarie ont été entravées par des coups d’État, ou bien l’instauration de lois martiales. On note que, malgré un héritage partagé entre les cultures occidentales et orientales, le système politique contemporain de la Bulgarie est largement d’inspiration libérale, tel que les systèmes répandus en Europe ou encore aux États-Unis.
Le 10 novembre 1989, la démission de l’ancien chef d’État et de chef du Parti communiste Todor Jivkov impulse la transition démocratique du pays, qui se traduit par la refonte de son système politique ainsi que de ses institutions. En 1990, la « table ronde » – institution hors constitution, mais au poids politique important – réunit les deux principaux acteurs de la transition. Élite de réformateurs du Parti communiste et nouvelle élite politique s’inscrivant négocient ensemble les principales réformes du pays : suppression du rôle dirigeant du Parti communiste, création de l’institution du Président de la République (auparavant, oscillation entre rois, princes et dictateurs) et préparation des élections pour une Assemblée constituante.
En 1991, la nouvelle constitution est adoptée (309 voix des députés ex et anticommunistes confondus, donc à majorité qualifiée de plus de deux tiers de l’assemblée qui comptait 400 députés).
Dès 2001, une recomposition du système partisan s’opère, avec le retour de l’ancien roi Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha à la tête du Mouvement national pour la stabilité et le développement (NDSV). Alors même qu’il ne s’inscrit ni dans le courant des anciens communistes ni dans celui des anticommunistes, le parti remporte les élections et Siméon devient Premier ministre. Les anciens protagonistes de la transition sont alors relégués dans l’opposition.
En 2005, la recomposition se poursuit avec l’émergence d’Atika, nouveau parti ultranationaliste qui recueille 4,52 % des voix aux élections législatives de 2014, et obtient 11 sièges au Parlement. Aussi, le parti populiste modéré Citoyens pour un développement européen de la Bulgarie (GERB) est devenu relativement influent, recueillant la majorité des suffrages (32, 67 %) à ces mêmes élections.
En 2007, après des négociations amorcées en 1999, la Bulgarie rejoint officiellement dans l’Union européenne.

Un système politique d’inspiration libérale

Concrètement et actuellement, la Bulgarie est une république parlementaire de régime semi-présidentiel. Ce dernier revêt les caractéristiques et réaffirme les grands principes des démocraties libérales : garantie des droits de l’Homme par l’État de droit, séparation des pouvoirs, pluralisme politique. L’État est laïque, son organisation unitaire et centralisée.
En matière de pouvoir, c’est l’Assemblée parlementaire et le gouvernement qui conduisent et déterminent la politique de la nation. Plus précisément, le pouvoir législatif appartient à l’Assemblée nationale, composée de 240 députés, réunis dans une chambre unique. Ils sont élus au scrutin proportionnel de liste dans 31 circonscriptions électorales (méthode Hare-Niemeyer), sous réserve d’avoir réalisé un score supérieur ou égal à 4 %. L’Assemblée adopte les lois, élit le gouvernement et un tiers des juges constitutionnels, vote des amendements à la Constitution.
Le pouvoir exécutif est détenu par le gouvernement, qui est responsable de la politique intérieure et extérieure de l’État. Le chef du plus grand groupe parlementaire (arrivé en tête lors des élections) est mandaté par le Président afin de former une majorité. Le plus souvent, et c’est le cas depuis 1991, les gouvernements sont des gouvernements de coalition. Le Président, quant à lui et bien qu’élu au suffrage universel direct, ne dispose que d’un rôle symbolique et cantonné à des domaines politiques marginaux en matière de politique étrangère, de nomination, ou d’amnistie.

Trois défis majeurs depuis la transition postcommuniste

Depuis 1991 et de manière plus probante aujourd’hui, la Bulgarie doit faire face à trois principaux défis : la corruption, le faible niveau de vie, et les rapports avec la Russie.
En 2013-2014, de grands mouvements sociaux ont bouleversé la Bulgarie, revendiquant plus de démocratie, un changement dans le système électoral de représentation et plus de participation citoyenne dans les processus de prise de décision, notamment par la réforme du Code électoral. Aussi, une grande partie de la population bulgare réclamait une meilleure gestion des migrants, dont la plupart viennent de Syrie. Ces derniers sont régulièrement traqués par certains partis nationalistes tels que le Mouvement national bulgare (VMRO) qui les associent à l’augmentation de la petite criminalité.
Par ailleurs, la corruption en Bulgarie est un système établi et pérenne. Lors des mobilisations, les manifestants dénonçaient un système judiciaire corrompu, avec en son centre le Conseil suprême de la magistrature, jugé trop opaque et élitiste. Au-delà, toute l’organisation du pays est corrompue, à l’instar des prises de décision dans le secteur économique par exemple, qui restent le fait d’une élite.
En outre, avec un des niveaux de vie les plus faibles en Europe, la Bulgarie peine à atteindre le niveau européen. La minorité rom, très présente sur le territoire bulgare, est celle dont le niveau de vie est le plus bas. Cette pauvreté, associée à un populisme et une xénophobie ambiants, amène plusieurs partis à surfer sur la vague de l’insécurité.
Enfin, il convient de ne pas oublier l’influence de la Russie dans les affaires internes du pays. Tourisme, mais aussi économie, des gazoducs russes fournissant la plupart de l’énergie dont la Bulgarie a besoin, ce qui n’est pas sans induire une forte situation de dépendance. De manière générale, la Bulgarie n’a pas véritablement rompu avec l’héritage du bloc soviétique, dont de nombreuses formations politiques russophiles revendiquent la filiation historique. Ces éléments se situent au cœur des enjeux de la prochaine élection, tant sur le plan national, que sur le plan européen.

Médias et degré de pluralisme

Les médias, loin d’être indépendants, sont placés sous le joug d’intérêts financiers ou politiques. Néanmoins, les Bulgares portent un intérêt pour les médias ; la presse écrite demeurant le moyen d’information le plus utilisé en Bulgarie.
Les liens entre politiques et médias en Bulgarie sont complexes. Près de 30 ans après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, le rôle des médias dans la vie politique reste l’un des facteurs importants de la post-transition politique, c’est-à-dire de l’enracinement du modèle démocratique libéral. Les luttes pour le contrôle de l’agenda setting entre les différents médias sont quotidiennes, et révélatrices des intérêts divergents des différents médias. Les médias bulgares sont en réalité divisés. Une partie d’entre eux sont hautement politisés, proches de la sphère politique. Ces médias « politisés » sont en fait financés uniquement par les subventions de l’État. Entièrement dépendants de ce dernier, ils sont vulnérables aux différents gouvernements et à leurs interférences. L’autre partie d’entre eux est, elle, hautement commercialisée : ce sont les intérêts économiques qui priment sur les intérêts politiques. Les médias « commerciaux » promeuvent les intérêts de leurs propriétaires, et du monde du business en général.
La corruption et l’entrave à la liberté de la presse sont présentes dans toutes les strates du secteur médiatique. Au plus haut niveau, avec des propriétaires de médias touchant de l’argent pour l’orientation de leurs rédactions, mais aussi directement à l’égard des journalistes, qui reçoivent des consignes pour ne pas traiter certains sujets.
L’intérêt commun et le droit à l’information des citoyens sont donc relégués au second plan dans le traitement de l’information. D’ailleurs, la Bulgarie qui était en 2006 placée à la 35e place de l’index de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde a rétrogradé à la 100e place en 2014.

Contextualisation des législatives anticipées de 2017

Roumen Radev, Président de la République

Roumen Radev, Président de la République


Tsetska Tsacheva (GERB)

Tsetska Tsacheva (GERB)


Boïko Borisov, Premier ministre (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie)

Boïko Borisov, Premier ministre (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie)


 
 
 
 
 
Lors des dernières présidentielles de novembre 2016, le général Radev, candidat de l’opposition socialiste, est arrivé en tête avec 59,8 % des voix, contre 36, 2 % pour son adversaire du centre droit au pouvoir (GERB), Tsetska Tsacheva. Dans ce scrutin, le Premier ministre Boïko Borissov (conservateur) avait mis son mandat en jeu.

Ancien commandant des forces de l’air, Roumen Radev considère que la Bulgarie doit se montrer pragmatique et trouver un équilibre entre ses obligations vis-à-vis de l’Union européenne et de l’OTAN et sa relation avec Moscou. Il est présenté comme russophile par la presse occidentale.
Selon la Constitution, le Président après son élection doit donner un mandat au leader de la force politique ayant remporté les dernières élections parlementaires : Boïko Borissov. Ce dernier refuse pourtant le mandat et le 16 novembre, le Parlement bulgare approuve la démission du gouvernement de Boïko Borissov. Dans ce cas-là, le Président donne le mandat à la deuxième force politique : les socialistes. Mais, la chef de file des socialistes, Kornelia Ninova décline également la proposition. La démission de Boïko Borissov et le refus de Kornelia Ninova entraînentdonc des élections anticipées en mars. Pour autant, c’est Boïko Borissov qui, suite à l’échec de la formation d’un nouveau cabinet, assure les affaires courantes du gouvernement de novembre à janvier.
Roumen Radev entre en fonction le 22 janvier pour un mandat de cinq ans. Iliana Iotova, ancienne eurodéputée au sein du groupe S&D est élue vice-présidente. Cette nomination entraîne la démission du gouvernement Borissov. Le chef de l’État nomme Ognyan Gerdjikov au poste de Premier ministre par intérim. Il dissout le Parlement le vendredi 27 janvier. L’objectif premier pour le gouvernement de transition de Gerdjikov sera d’assurer l’organisation d’élections transparentes et de garantir la stabilité budgétaire du pays afin d’assurer l’équilibre du peg face à l’euro.
Ainsi, le 26 mars 2017 auront lieu les élections législatives anticipées. Selon les observateurs politiques, ces élections générales, les troisièmes depuis 2013, ne permettront pas de dégager une majorité parlementaire suffisamment stable et cohérente pour mettre en œuvre les réformes économiques, judiciaires ainsi que les aménagements institutionnels dont le pays a besoin.
Pour ce scrutin de mars, 23 coalitions ou listes sont en lice. Selon les derniers sondages, le GERB de Boïko Borissov possède une courte avance sur ses adversaires socialistes et est pressenti pour être le gagnant de ces élections. Pour autant, aucune majorité forte de semble émerger. Ataka et le Front patriotique, partis d’extrême droite, se sont quant à eux rassemblés sous le groupe Patriotes unis, et leur score est estimé à 7-10 %.L’on craint ainsi de longues négociations après les élections, notamment pour la formation d’une majorité et d’un gouvernement. D’autant qu’ « Aucun des partis ne paraît en mesure d’obtenir une majorité absolue, ce qui va conduire à un Parlement divisé et à une autre coalition gouvernementale fragile », estime Andrius Tursa, expert de la société de conseil Teneo, dans une note de synthèse.

Enjeux nationaux de stabilité gouvernementale et enjeux européens liés à la montée des populismes

En raison de son régime parlementaire, le système politique bulgare est instable. Son système partisan, construit dans un processus de débats, de compromis et de confrontations politiques n’est dorénavant plus stable. Le consensus entre les grands protagonistes de la transition postcommuniste comme le PSB, l’UFD ou le MDL au sujet des éléments clés de la politique en Bulgarie est la raison de l’apparition d’acteurs politiques populistes, qui s’appuient sur les réticences du grand public envers cette entente entre les différentes sections de la classe politique jugée comme « une conjuration des élites aux dépens du peuple ».
L’ex-Premier ministre dont le parti est en tête dans les sondages a réussi à s’imposer en devenant l’image du bulgare moyen, loin des élites dirigeantes et des discours intellectuels de Sofia. Le style « Berlusconi » permit à Borissov de s’imposer dans l’espace du centre de droit en Bulgarie et de marginaliser les partis de droite conservateurs. Le populisme ainsi que le désengagement des citoyens pour la politique sont devenus le grand enjeu de la politique bulgare.
En outre, en Bulgarie comme partout en Europe, les populismes sont en pleine ascension. La forte présence de communautés rom et l’arrivée de réfugiés fuyant la Syrie ont augmenté le racisme et favorisé la montée de partis xénophobes.
Les liens entre la Bulgarie et la Russie, d’autant plus depuis l’élection d’un Président russophile, inquiètent l’Union européenne, qui voit dans ces rapports un moyen d’ingérence de la Russie dans l’un de ses pays membres.
 


Depuis la chute de l’ex-URSS et son entrée dans l’Union européenne, la Bulgarie a connu de grands bouleversements : instauration d’une démocratie libérale, tout en faisant face à des enjeux toujours plus nombreux tels que la corruption. L’instabilité de son régime parlementaire s’explique entre autres par la difficulté de former une majorité au sein des gouvernements de coalition.
Les dernières élections présidentielles de novembre 2016 ainsi que le refus du Premier ministre actuel de former un gouvernement ont engagé des élections anticipées. Ces élections sont un enjeu majeur pour la fragile démocratie bulgare, de par la nécessaire coalition stable qu’elles devront faire émerger, mais aussi d’un point de vue géopolitique. L’arrivée de pro Russes au pouvoir pourrait entraîner un rapprochement encore plus fort entre la Russie, ce qui, dans le contexte de crise en Ukraine et des tensions internationales, mettrait à mal les relations avec l’Union européenne.
De même, il est fort probable que le climat très nationaliste et anti-migrant de la campagne présidentielle se matérialise dans le vote des citoyens. Une politique défavorable aux migrants à la frontière turque de l’Union européenne serait de mauvais augure, de même que la montée des nationalismes et autres mouvements eurosceptiques.

Par Émilia DAVODEAU et Yohann GARCIA