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Les élections législatives aux Pays-Bas: un scrutin plein de surprises

"Le 15 sera le moment du changement",vraiment ?

« Le 15 sera le moment du changement »,vraiment ?


Les derniers mois ont été plein de surprises électorales. Les élections législatives qui ont eu lieu aux Pays-Bas le 15 mars 2017 n’ont pas manqué à l’appel. Toutes les caméras de l’Europe étaient pourtant braquées sur ce pays, dont le scrutin avait valeur de test. Après le Brexit, le référendum en Italie, une nette avance de Geert Wilders comme cela était annoncé par les sondages aurait signifié un nouveau coup dur pour l’Union Européenne. Toutefois, le parti du leader d’extrême-droite obtient un score loin de ses attentes. Avec 19 sièges, il augmente certes de 5 sièges son score des précédentes élections, mais reste loin derrière le VVD du Premier ministre Mark Rutte. Dans cet article nous essayerons de comprendre ce qui a mené à ce résultat inattendu.

Une campagne dominée par la figure et les thèmes de Geert Wilders

Si les résultats du 15 mars ont autant surpris, c’est aussi parce que toute la campagne s’est faite autour de Geert Wilders. Médiapart publiait même le 8 mars, un article consacré aux législatives néerlandaises intitulé : «Aux Pays-Bas, Geert Wilders, l’allié de Marine Le Pen, monopolise la campagne électorale[1] ». Le parti de Geert Wilders était crédité de 19% des voix et faisait la course en tête depuis un an. Afin de comprendre la montée de l’extrême droite aux Pays-Bas nous nous sommes intéressés au contexte économique et social du pays, en comparant l’année 2012 et 2017.
Nous avons constaté qu’en 2012 le chômage était de 5,8%, ce qui n’a pas changé en 2017. Cependant, la croissance économique du pays était négative en 2012 (-1,76%) alors qu’en 2017 elle est de +1,7%. Le contexte économique est donc convenable et n’explique pas l’engouement des Néerlandais pour le parti d’extrême droite.
Mais en y regardant de plus près, nous pourrions trouver un début de réponse dans le fait que malgré un contexte économique meilleur qu’en 2012, les Néerlandais subissent toujours une forte politique d’austérité et leur endettement, qui fait suite à la crise immobilière de 2012, perdure.
L’économie n’est cependant pas le sujet principal de ces élections législatives de 2017, les Néerlandais sont plutôt focalisés sur l’immigration, l’intégration et la santé publique.
En ce qui concerne le contexte social, la crise des migrants a changé la perception  des Néerlandais de leur société. Tout d’abord, d’après l’enquête menée par l’université d’Amsterdam, il y a un fort retour du patriotisme et des valeurs Néerlandaises, dû à ce contexte.
De plus le sociologue Paul Schnabel développe l’idée qu’il y a un fort scepticisme chez les Néerlandais sur le concept de multi culturalité et de la politique d’accueil des migrants. En 2015, il y a eu 59 000 demandes d’asile aux Pays Bas pour un total de 1,3 million de demandes en Europe [2](ce qui représente 20% du nombre total de réfugié). Ce nombre de personnes accueilli par les Pays-Bas est considéré comme trop élevé par une grande partie des Néerlandais.
 Cette importance du thème de l’immigration dans la campagne a clairement favorisé le discours du leader d’extrême-droite jusque-là.Penchons nous plus précisément sur le programme de Geert Wilders et sa communication électorale : Le programme de Geert Wilders est très islamophobe. Il veut « désislamiser » les Pays-Bas. Il propose par exemple d’interdire le Coran et l’immigration musulmane. Son slogan “Les Pays-Bas de nouveau à nous” s’inscrit dans cette même optique. De plus, il soutient un référendum sur la sortie du pays de l’Union européenne.
A la manière de Donald Trump il a aussi réussi à focaliser l’attention médiatique par la forte personnalisation de sa campagne et ses outrance. La communication électorale du parti PVV est très focalisée sur la personnalité de Geert Wilders. Sa stratégie communicative est de faire des promesses politiques sans explication sur leur mise en œuvre. De plus, il n’hésite pas à attaquer et provoquer ses rivaux politiques. Wilders a appelé Rutte par exemple un “homme des frontières ouvertes, du tsunami de demandes d’asile, d’immigration de masse, de l´islamisation, des mensonges et de l´escroquerie”. Un autre exemple de sa stratégie d’accusation est un post sur Twitter datant du 7 février dernier. Il a posté une photo dans laquelle on voit Alexander Pechthold, homme politique du parti D66 – parti social-libéral –, à une manifestation avec des membres du Hamas. Geert Wilders attaque Pechthold pour sa participation à cette manifestation radicale. Mais il s’agit en réalité d’un photomontage. Pechthold n’a jamais participé à cette manifestation. Geert Wilders n’hésite donc pas à faire courir des informations mensongères pour faire du tort à ses rivaux.

La stratégie de droitisation de Mark RuttePays-Bas2

Pays-Bas3
Dans un autre temps, le Premier ministre, Mark Rutte poursuit sa stratégie qui consiste à se présenter comme seule alternative à Geert Wilders. Il a sorti les Pays-Bas de la crise financière avec une politique d’austérité et il veut se positionner comme un leader fort. Mais son plus grand problème est sa crédibilité : seulement un néerlandais sur trois lui fait confiance. Il est Premier ministre depuis 2010 et pendant ses campagnes électorales il a fait des promesses qu’il n’a pas pu tenir : il a par exemple promis d’arrêter de payer la Grèce ou encore une bonification fiscale de 1000 EUR pour chaque Néerlandais.
Confronté à la popularité de Geert Wilders, il essaie maintenant de récupérer les voix des électeurs de Geert Wilders. Il a d’ailleurs publié une lettre ouverte dans plusieurs quotidiens néerlandais dont la présentation ressemble beaucoup à l’affiche de Geert Wilders. Dans cette lettre il explique que ceux qui ne respectent pas les valeurs néerlandaises doivent “agir normalement” ou quitter le pays. “Agir normalement” est aussi devenu le slogan de son parti. Cette tactique n’est pas sans faire penser à celle adoptée par Nicolas Sarkozy depuis 2002. A l’époque l’ancien Président de la République avait ainsi réussi à récupérer par l’appropriation de thématiques d’extrême-droite une partie de l’électorat FN, réduisant Jean-Marie Le Pen à 10% en 2007. Toutefois, sur le long terme on peut avoir des doutes sur l’efficacité de cette stratégie si on poursuit avec le parallèle français.

La maîtrise de l’agenda: l’affaire de la ministre turque

C’est sans doute cette stratégie de récupération des thématiques de l’extrême-droite nééerlandaise qui a incité Mark Rutte à adopter une position « dure » à l’égard de la Turquie en plein référendum sur le renforcement des pouvoirs du Président Erdogan. Les Pays Bas ont ainsi refusé l’organisation de meetings pro-gouvernement sur leur sol et ont expulsé le 12 mars, à quelques jours des élections législatives, la ministre de la famille turque  FatmaBetülSayan Kaya, venue défendre aux Pays-Bas le oui au référendum turque.
S’en ait suivi une confrontation diplomatique entre les deux pays, le président Erdogan parlant même d’un retour du fascisme. Cela a permis au Premier ministre Mark
Rutte de monopoliser l’attention médiatique les derniers jours du scrutin et d’apparaître comme le meilleur défenseur des intérêts de son pays face à l’hostilité turque.
Unanimement lues comme l’échec de l’extrême-droite et la victoire de l’Europe, ces législatives doivent sans doute être analysées avec plus de circonspection. Elles marquent déjà un net éclatement du paysage politique néerlandais. Les principaux partis sont en baisse. Au contraire, le nombre de partis représentés au Parlement, avec un mode de scrutin proportionnel, n’a jamais été aussi grand. Les Pays-Bas comptent notamment plusieurs « one issue parties », ces formations politiques dédiées à une seule cause comme le parti des 50+ qui défend les seniors, le PVdD (Parti des animaux), ou encore Denk, une nouvelle formation politique qui lutte contre la xénophobie aux Pays-Bas. Les résultats du 15 mars témoignent aussi d’une forte montée du vote protestataire et notamment anti-austérité avec la forte hausse du Parti Gauche verte de Jesse Klaver.

Camille LOURADOUR (Université Paris-Est Créteil) & Amelie TEE HALER (Université de Mayence ALL.)


[1]https://www.mediapart.fr/journal/international/080317/aux-pays-bas-geert-wilders-lallie-de-marine-le-pen-monopolise-la-campagne-electorale?onglet=full
[2]  Chiffre du service Néerlandais de l’immigration et de la naturalisation et de Eurostat.