L’année 2014 aura été celles des commémorations : le centenaire de la Première Guerre mondiale, les soixante-quinze ans du déclenchement de la Seconde, les soixante-dix ans du débarquement, les vingt-cinq ans de la Chute du Mur de Berlin… Autant d’événements-clés de ce « court XXe siècle » (E. Hobsbawm) qui a construit l’Europe d’aujourd’hui. Mais, curieusement, l’Union européenne est la grande absente de ces opérations de communication. Ainsi, malgré une volonté affirmée par les ex-pays de la Triple Entente, comme la France, la Belgique ou la Grande Bretagne, de commémorer les cent ans de la Grande Guerre, la Commission Européenne s’est trouvée dans l’impossibilité d’organiser un événement commun, plusieurs Etats refusant d’y participer. Des cicatrices mémorielles qui interrogent le projet européen dans un contexte d’émergence de l’euroscepticisme.
Pourquoi commémorer les 100 ans du début de la Grande Guerre ?
Les commémorations de la Grande Guerre ont débuté le 28 Juin 2014 à Sarajevo. Malgré l’engouement de certains pays européens, comme la France, la Grande Bretagne et la Belgique, beaucoup de pays ont été absents des cérémonies. Les dirigeants européens célèbrent à ce moment le centenaire du début d’un conflit militaire sans précédent, la guerre de 14-18, plus connu sous le nom de Grande Guerre. Pendant quatre années, une trentaine d’Etats et d’Empires se sont affrontés à travers le monde, faisant plusieurs millions de victimes.
La fin de la Première Guerre mondiale se traduit par des bouleversements géopolitiques. En effet, les territoires se réduisent, s’agrandissent, les Empires deviennent des Etats, et les Monarchies se transforment en d’autres régimes politiques. C’est la dissolution des Empires, Austro-Hongrois, Russes et Allemands. Ainsi plusieurs Etats apparaissent dans la carte de l’Europe, dont l’Autriche, la Roumanie, la Hongrie ou encore la Yougoslavie. Quant à l’Allemagne, elle perd une partie de son territoire, comme l’Alsace-Lorraine.
Aujourd’hui encore, cette guerre continue de fasciner par l’ampleur des bouleversements engendrés et par la violence du conflit. Les commémorations permettent alors de faire un travail de mémoire et de se souvenir que cette guerre a tué plus de 10 millions d’hommes, appelés à servir leur pays. En France, ces célébrations sont d’autant plus importantes qu’une très grande partie des combats se sont déroulés dans l’est du pays. En effet, la ligne de front s’étendait de la Mer du Nord à la frontière suisse.
En 2011, un rapport rendu au Président de la République Française par Joseph Zimet (1) (« Commémorer la Grande Guerre (2014-2020) : propositions pour un centenaire international ») présente différents projets afin d’organiser des évènements à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre. Plusieurs idées de commémorations sont alors proposées aux pays européens : rassemblements civiques et mémoriels, numérisation de données publiques et privées de la Grande Guerre, expositions artistiques et colloques scientifiques…
Les différentes commémorations en Europe
Mais cent ans après l’assassinat de l’Archiduc François Ferdinand, qui déclencha ce conflit entre deux grandes alliances, se pose la question des commémorations dans l’Europe d’aujourd’hui. Malgré l’enthousiasme de la France à proposer différentes commémorations pour tous les pays, peu souhaitent commémorer la Grande Guerre et une division se fait sentir dans l’Europe. Ainsi, l’Italie, l’Autriche ou encore la Hongrie ne prévoient pas de célébration spécifique en l’honneur des cent ans du début de cette guerre. De même pour l’Allemagne, qui n’a prévu aucune commémoration nationale, étant un Etat fédéral : chaque Land (région) choisit de célébrer ou non ce centenaire.
Quand aux pays appartenant alors à la Triple Alliance, ils commémorent le centenaire de manière spécifique. La Pologne et la République Tchèque célèbrent la naissance de leur État nation. La Serbie quant à elle, veut mettre en avant la vérité à propos du déclenchement des hostilités en juin 1914. En effet, dès l’annonce des commémorations, les Serbes ont refusé ces cérémonies en dénonçant une approche « révisionniste » de l’histoire.
En Angleterre, la commémoration est aussi très présente : depuis cet été une œuvre constituée de 888 246 faux coquelicots a été réalisée par les artistes Paul Cummins et Tom Pipper pour commémorer les soldats tués durant le conflit. (2)
En France comme en Belgique, la mémoire de la guerre est très affective, et chacun ou presque peut parler d’un aïeul qui a connu les tranchés. Aujourd’hui, ces commémorations veulent mettre en avant l’importance de la paix et de la liberté dans le monde mais aussi en Europe. L’actualité du conflit ukrainien, par exemple, n’a pas été oubliée lors de ces commémorations, car cette crise, aux portes de l’Europe montre bien la fragilité de la paix sur le continent.
Le verdict du Monde est sévère : « Incapable de faire la synthèse, la Commission Européenne a renoncé à commémorer le centenaire de la Première Guerre Mondiale. Trop d’interprétations. Trop de souvenirs fragmentés. Trop de cicatrices. Trop lourd. Trop risqué. » (3). Ainsi la Commission Européenne n’a pas souhaité prendre de risque politique pour organiser une célébration commune avec tous les Etats européens.
Cette occasion était pourtant une opportunité pour l’Union Européenne de faire passer un message commun de son engagement à avoir une mémoire collective de ce conflit et une conscience d’unité. Si l’Union Européenne veut être le garant de la paix ne doit-elle pas avoir le courage de commémorer ensemble son histoire.
Ce centenaire de la Grande Guerre aurait pu être l’événement marquant de cette Union Européenne qui parfois, ne semble plus intéresser les Européens. Après des élections marquées par la percée des eurosceptiques, la Commission pouvait mettre en avant cette union et dénoncer le nationalisme montant dans plusieurs pays européens (4). Ce même nationalisme qui fut à l’origine du déclenchement de cette guerre.
En 2008, Dominique Schnapper, directrice de l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) s’interrogeait déjà sur la transmission de l’appartenance à une collectivité plus large. Ainsi elle indiquait « pour qu’une citoyenneté européenne puisse exister et s’exercer, il faut un espace public européen où citoyens, hommes politiques, experts et intellectuels puissent se parler, se comprendre, puissent partager un langage, une culture, des valeurs communes » (5). Aujourd’hui encore cette question est d’actualité, alors que cette commémoration européenne aurait pu être pédagogique et transmettre son histoire à travers une culture européenne et une mémoire commune, rien n’a été fait (6).
Malgré un soutien à certains projets de commémoration comme celle de Sarajevo, ou encore à l’organisation de certaines cérémonies internationales que préconisait le rapport « Commémorer la Grande Guerre », l’Union Européenne n’a pas su se retrouver pour une grande cérémonie. Durant ces quatre années de commémorations, l’Europe trouvera-t-elle l’union de célébrer la fin de ce centenaire de conflit et les premiers penseurs de l’Union Européenne ?
Clémentine Palestro
(1) Directeur général de la mission du centenaire de la première guerre mondiale.
(2) Mitchell Paul, «Pourquoi la commémoration de la guerre avec des coquelicots à la Tour de Londres est-elle devenue un événement de masse ? », http://www.mondialisation.ca/pourquoi-la-commemoration-de-la-guerre-avec-des-coquelicots-a-la-tour-de-londres-est-elle-devenue-un-evenement-de-masse/5415035, 19 novembre 2014.
(3) Kauffmann Sylvie, « Grande Guerre l’onde de choc », Europa In Le Monde, supplément du 16 Janvier 2014.
(4) « Résultat des élections européennes 2014 », http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/election-results-2014.html
(5) Cheneviere Cédric, Duchenne Geneviève, « Les modes d’expression de la citoyenneté européenne : Actes de la journée d’étude organisée à Louvain-la-Neuve le 19 mars 2010 », Presse universitaire de Louvain, 2011, p 8.
(6) Stroobants Jean Pierre « Le rendez vous manqué de l’Europe avec le centenaire » ; Le journal du centenaire In Le Monde, supplément Novembre 2014.
Sources :
Pierre Lemaitre, « Grande Guerre : une mémoire fragmentée » ; Le Monde, 1er juillet 2014.
Antoine Flandrin, « Dix jours de commémorations pour le centenaire de l’attentat de Sarajevo », Le Monde, 20 juin 2014.
Nathalie Versieux, « Allemagne 14-18, le grand gène », Libération, 2 mai 2014.