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Le Salon International de l’Agriculture, terre fertile de communication politique

Jacques Chirac au Salon International de l’Agriculture en 2004. Source : SIPA

S’il est un évènement qui concentre une forte attention politique et médiatique, c’est bien le Salon International de l’Agriculture (SIA). Avec plus de 1000 exposants et plus de 600.000 visiteurs cette année (2023), le Salon de l’agriculture se hisse à la seconde place du podium des salons les plus visités en France, après le Mondial de l’automobile[1]. Le Salon est devenu au fil des années un rendez-vous politique incontournable – et d’autant plus en période de campagne présidentielle. On se souvient par exemple des visites de Jacques Chirac, devenue la « coqueluche » du Salon, ou encore de la fameuse petite phrase de Nicolas Sarkozy, répondant « Casse-toi pauvre con »[2] à une personne qui avait refusé de serrer la main de l’ancien Président, en 2008. Dans un cas comme dans l’autre, l’enjeu communicationnel et réputationnel est considérable. Pour quelles raisons chaque année les hommes et femmes politiques se bousculent-ils Porte de Versailles ? Est-ce uniquement pour des raisons d’image ?

Un évènement investi par la communication politique

Le Salon de l’agriculture est, pour les hommes et femmes politiques, une occasion de se rendre visible et public particulièrement digne d’intérêt. En effet, comme le souligne Clément Viktorovitch, docteur en science politique et intervenant à Sciences Po Paris, ce salon est l’occasion pour les politiques de produire une grande quantité d’images à faible coût. Les caméras des rédactions nationales y sont présentes en grand nombre[3]. Rappelons à cet égard que l’image en matière de communication politique constitue un point névralgique de la construction de l’ethos, c’est-à-dire l’image de soi, que le locuteur renvoie, consciemment ou non, à son auditoire. Cette appréhension du salon, c’est ce que les politistes Pierre Mayance et Ivan Chupin désignent comme le « salon visible »[4], c’est-à-dire le salon médiatique, caractérisé par les échanges avec les exploitants agricoles, la mise en scène de la proximité, des photos avec les animaux et les petites phrases[5].

Emmanuel Macron au Salon International de l’Agriculture en 2023. Source : Thierry Lindauer / La Montagne

Aussi, outre l’enjeu majeur de réputation, ce salon représente pour les hommes et femmes politiques une manière de se mettre en scène, de se montrer comme proche de la France rurale. Cette France mise à l’honneur à l’occasion du salon, et, ipso facto, ses acteurs : les exploitants agricoles. Cette mise en scène de la proximité avec les territoires est construite à travers des images dans lesquelles des élus rompent le pain avec les Français en dégustant toutes sortes de produits et spécialités qui leur sont proposés. Et ce, d’autant plus dans un pays comme la France, qui s’enorgueillit de sa gastronomie et son art de la table. Cette communication n’est donc pas politiquement anodine. Elle s’insère dans une stratégie élaborée en amont de la visite.

Ce que j’ai pensé du salon

Je me suis rendu au SIA le lundi 27 février 2023 aux alentours de 9h30 et j’en suis sorti aux alentours de 14h. J’ai commencé la visite par le pavillon 5 (régions d’outre-mer et pays étrangers), puis je suis allé au pavillon 3 (régions métropolitaines) avant de me rendre au pavillon 1 (élevage), 6 (chiens et chats) et ai terminé par le pavillon 4 (services et métiers de l’agriculture). J’ai particulièrement aimé le pavillon 3 consacré aux produits de régions métropolitaines. En tant qu’Haut-marnais, je me suis arrêté, sans trop de surprise, au stand du département (voir photo), où j’ai eu l’occasion de discuter avec des brasseur-malteurs et apiculteurs haut-marnais tout en découvrant leurs produits. En outre, je me suis rendu au SIA en ayant lu le travail d’Ivan Chupin et de Pierre Mayance concernant la présence de multinationales et de groupes d’intérêts au sein du pavillon 1. Ce qui m’a particulièrement frappé réside dans le nombre de stands tenus par des multinationales citées précédemment. Pour être précis c’est notamment la présence d’un 4×4 Ineos à quelques mètres de l’entrée du pavillon 1 qui m’a étonné, me demandant quel était le lien avec le thème de ce salon.

Des stratégies de communication diverses

Avec un total avoisinant les 200.000 mètres carrés, le Salon de l’agriculture s’étend sur sept grands pavillons ; chacun correspondant à certains territoires, animaux et autres filières agricoles. De fait, les équipes de campagne des hommes et femmes politiques sélectionnent minutieusement, au préalable, les pavillons qu’ils visitent, en lien étroit avec la sociologie de leur électorat respectif.

Par exemple, le pavillon 1 comprend des éleveurs, la vache égérie – « Ovalie » cette année –, le service de presse, mais aussi des multinationales telles que Lactalis, McDonald’s, Lidl, Danone ou… Ineos Automotive (marque automobile). Ce pavillon est un incontournable pour tout candidat dans la course à la magistrature suprême, considérant que ces grandes multinationales sont en lien direct avec le pouvoir politique. C’est notamment le cas d’Emmanuel Macron, à la fois en 2017 en tant que candidat mais aussi cette année, en tant que Président.

Dans un autre registre, Marine Le Pen, a tendance à passer une bonne partie de sa visite dans le pavillon 5 ; pavillon consacré aux produits de France d’Outre-mer. Ce qui ne semble pas anecdotique étant donné les scores électoraux que réalise la candidate d’extrême-droite dans ces « territoires oubliés »[6], mais aussi une manière de montrer que cette dernière n’est pas raciste[7].

Sans passer en revue chaque stratégie, il paraît important d’évoquer la stratégie opérée par le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à savoir le simple boycott de l’exposition. Ivan Chupin toujours, envisage cette stratégie comme un message politique fort, le candidat insoumis étant farouchement opposé au modèle agricole actuel qu’il juge « productiviste »[8].

DEGEZELLE Noah


[1] Flurin, R., & De La Chesnais, É. (2023, 5 mars). Le Salon de l’agriculture a accueilli 615.000 visiteurs cette année. LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-salon-de-l-agriculture-a-accueilli-615-000-visiteurs-cette-annee-20230305

[2] Nicolas Sarkozy « Casse toi pauvre con ! » | INA. (s. d.). ina.fr. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09216918/nicolas-sarkozy-casse-toi-pauvre-con

[3] Viktorovitch, C. (2023, 26 février). Le Salon de l’agriculture, rendez-vous populaire et politique. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/le-salon-de-l-agriculture-rendez-vous-populaire-et-politique_5653733.html

[4] Chupin, I. & Mayance, P. (2018). Des rencontres discrètes : Journalistes, politiques et groupes d’intérêt au Salon international de l’agriculture. Savoir/Agir, 46, p.75-81

[5] Krieg-Planque, A. (2011). Les « petites phrases » : un objet pour l’analyse des discours politiques et médiatiques. Communication & langages, 168, 23-41. 

[6] André, A. (2016, 25 mars). Les Outre-Mer, terres de conquête électorale de la droite et de l’extrême-droite. Europe1. https://www.europe1.fr/politique/les-outre-mer-terres-de-conquete-electorale-de-la-droite-et-de-lextreme-droite-2702548

[7] Trembaly, P. (2018, 4 mars). Au Salon de l’agriculture, le parcours politique révèle un « Salon invisible » et des clashs maîtrisés. Le HuffPosthttps://www.huffingtonpost.fr/politique/article/au-salon-de-l-agriculture-le-parcours-politique-revele-un-salon-invisible-et-des-clashs-maitrises_118830.html

[8] Chupin, I. & Mayance, P. (2018). Des rencontres discrètes : Journalistes, politiques et groupes d’intérêt au Salon international de l’agriculture. Savoir/Agir, 46, p.78