« Pour être Français, être blanc c’est la base », affirme Aurélien Verhassel, représentant dans le Nord de la France de Génération Identitaire, l’organisation de jeunesse du mouvement d’extrême-droite Bloc Identitaire[1]. « Face à la racaille, face à ceux qui veulent fliquer notre vie et nos pensées, face à l’uniformisation des peuples et des cultures… »[2], le Bloc Identitaire, le GRECE, Terre et Peuple, Polémia installent leurs locaux partout en France et occupent la toile. Génération Identitaire à lui seul affirme regrouper depuis 2012 plus de 3 000 adhérents âgés de 18 à 35 ans. Contrairement aux apparences, le militantisme de la mouvance identitaire s’appuie sur une organisation bien rodée. En effet, il s’est largement démarqué par son utilisation précoce de l’Internet afin de faire circuler une « nouvelle » idéologie, dans un but de fédérer dans la sphère numérique. Mais ses stratégies de communication ne s’arrêtent pas là. Reposant sur ce que le sociologue Samuel Bouron qualifie de mécanisme de « reconstruction et déconstruction »[3] de l’identité, le Bloc Identitaire poursuit la socialisation de ses nouvelles recrues dans des camps d’entrainement qui prennent les allures d’universités d’été. Ainsi, la mouvance fédère en ligne, s’entraîne en coulisses et agit dans les villes et les campagnes devenues théâtres de leurs actions.
Gramscisme numérique et marketing idéologique
Aussi paradoxal que cela puisse paraître les militants identitaires s’inspirent, dans la refonte de leur idéologie, du concept « d’hégémonie culturelle » de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, en misant sur un changement de mode de combat[4] : il s’agit de mener une lutte autour de « valeurs » socialement acceptables pour gagner en légitimité auprès de la société civile et y favoriser l’émergence de son idéologie[5]. Cette notion de gramscisme numérique relève d’une véritable opération de « rebranding » au sens marketing du terme, initiée au début des années 2000. L’exemple d’Unité Radicale, ancien nom de Bloc Identitaire est à cet égard significatif. Après la tentative d’assassinat de J. Chirac perpetrée par l’un de ses membres en 2002, qui conduit à une dissolution du mouvement, ses leaders souhaitent redorer son image. Ils créent un site transitoire – aujourd’hui inaccessible – qui doit symboliser son renouveau. Cette nouvelle communication « 2.0. » est travaillée dans l’architexte du site internet avec de nouvelles couleurs, une ligne éditoriale définie, l’introduction d’un « changement de combat »[6], et une volonté de distinguer l’action du mouvement, en adoptant une posture de victime[7]. Mais le « rebranding » est aussi un changement de nom qui vient donner naissance au terme « Identitaire ». Ce label devient une référence y compris pour ses ennemis politiques. La présence de la mouvance sur le web s’est accrue et la formation progressive d’un réseau organisé permet d’aller bien au-delà du militantisme numérique et d’afficher le mouvement sur le terrain moins de la violence physique que symbolique.
La « belle » violence et le « juste » combat
Pour esthétiser la violence[8] on troque les poings pour les symboles et les armes pour les mots. La mouvance identitaire, malgré ses nombreux combats (impérialisme américain, racisme « anti-blancs », immigration), s’est concentrée à partir de 2006 sur la lutte anti-Islam, canalisant ainsi son action principalement sur ce sujet[9]. Sur cette même thématique, ils construisent un combat qu’on peut qualifier de métonymique : ils s’emparent des symboles (la partie) caractérisant l’Islam (le tout) dans diverses opérations visant à mener à bien la lutte. On pourra citer comme exemple la distribution de soupe de lard aux SDF excluant de fait les Musulmans[10], les « apéros saucisson-pinard » à la Goutte d’Or pour lutter contre son « islamisation »[11] ou encore les campagnes anti-voile faisant référence « à la Vierge Marie », plaçant ainsi les femmes en victimes de l’islamisation[12]. Au-delà de ces exemples, il convient également de s’interroger sur ce qu’il se passe en coulisses et au-delà de la préparation d’une mobilisation en particulier, où s’opère un (re)formatage du militant identitaire.
Les coulisses du combat : entre corps et langue
Dans la continuité de la refonte du combat et des nombreuses campagnes médiatiques menées par la mouvance identitaire, on assiste à une uniformisation de son vocabulaire. « Unification du monde blanc »[13], « immigration-invasion », « lorsque nous arriverons, ils partiront »[14]… un tel champ lexical messianique participe de la construction d’un personnage identitaire pensé comme un « héros » prêt à se sacrifier pour la lutte. Yannick Cahuzac et Stéphane François expliquent que cette parole est en lien direct avec la fabrication du personnage en lui-même, puisque « la parole est surveillée, pour éviter tout dérapage ». Et pour canaliser cette violence verbale, le héros est avant tout soldat. En effet, dans ce qu’il appelle une « université d’été, » le Bloc Identitaire forme et entraîne ses recrues dans des camps d’entraînement. Des jeunes hommes y enchaînent les courses, les combats de boxe, les pompes tels des soldats dévoués à la cause. Au delà de l’image du jeune éphèbe entraîné à la bataille, ce camp intègre une autre forme de militarisation, cette fois idéologique, à travers des cours d’histoire et des ateliers de communiqués de presse. La journée se termine par le chant militaire « les cosaques »[15]. Ainsi on forme les militants à l’importance de bien communiquer, et de se comporter en bon ambassadeur. Cette logique de valorisation des héros est paradoxalement très similaire à celle du djihadisme[16] avec la célébration d’une « armée salvatrice » qui, à l’instar de celle de Daesh, repose sur le mythe d’un « âge d’or » et la restauration d’une pureté originelle. Cette pureté se retrouve entre langue et corps, afin de bien mener l’action sur le « terrain ».
L’évangélisme identitaire : rétablir une vérité
Une telle ambition est nourrie par un système assurant la pérennité de l’idéologie et sa circulation : la création de la « fachosphère », microsociété de l’indignation. Elle consiste en une maîtrise des réseaux sociaux dont les contenus mêlent posture victimaire et dramatisation. Lorsque leur page Facebook est supprimée, « Les Identitaires » diffusent un communiqué sur leur site intitulé « La censure de Facebook continue : la page ‘Les Identitaires’ vient d’être supprimée ! » dans lequel ils dénoncent une « collusion scandaleuse entre le pouvoir politique et un réseau social en situation de monopole »[17]. Cette fachosphère existe d’autre part grâce à la production d’outils de communication audiovisuels de plus en plus professionnels, pour renforcer sa légitimité. Cette volonté d’être présents à tous les niveaux du digital se justifie car l’action numérique viendrait organiser l’action de terrain. Toute cette stratégie est appuyée par une maîtrise professionnelle des outils médiatiques alternatifs : gérer leur image, « réinformer ». Pour cela tous les outils médiatiques numériques reprennent les codes de la presse traditionnelle tout en les dénonçant avec des termes tels que « merdias »[18] ou encore « journalopes »[19]. Cette dénonciation mêlée à un objectif de « réinformation » vient déjouer un traitement médiatique défavorable à la cause de la mouvance identitaire. Cette stratégie médiatique vient soutenir et légitimer son action et idéologie par divers sites tels que fdesouche, les-identitaires ou encore l’agence de presse du BI Novopress. Ainsi ils se posent comme les seuls à « voir les choses » pouvant « vaincre l’ennemi ».
La mouvance identitaire apparaît donc comme une sphère d’influence résolument organisée. Si le but des nouvelles générations est sensiblement le même que celui de leurs aînés, on assiste depuis dix ans à un type différent de mise en scène. En effet, les acteurs changent de rôles et récitent de nouveaux textes, le spectacle est pour ainsi dire mieux préparé. Ce « théâtre identitaire » gagne donc en visibilité, et si son traitement médiatique n’est pas favorable, ils sont symboliquement mieux armés pour raconter leur version de l’histoire.
Harefo KEITA, Clémence MAHE, Bénédicte MAHINGA, Victor MANCIET (promotion 2018-2019)
[1] D’Angelo, Robin « Génération Identitaire à découvert. Épisode 2 : La vitrine de l’extrême droite radicale », Libération, 02/05/2017
[2] Site de Génération Identitaire
[3] Bouron, Samuel « Des ‘fachos’ dans les rues aux ‘héros’ sur le web. La formation des militants identitaires », Réseaux, 202-203/2, 2017, pp. 187-211
[4] Taguieff, Pierre-André « Origines et métamorphoses de la nouvelle droite », Vingtième Siècle, n°40, 1993.
[5] Gramsci, Antonio Textes, Editions Sociales, préface Alain Tosel, 1983, p. 21
[6] Cahuzac, François, « Les stratégies de communication de la mouvance identitaire », Presse universitaire de Lorraine, 2013/4, 275-292
[7] Luyt, Guillaume et Robert, Fabrice « Lettre ouverte à Maxime Brunerie » 22/07/202
[8] Casajus, Emmanuel, « Identité de groupe chez les Identitaires : esthétiser les siens, se distinguer des autres»,¿Interrogations?, N°21. L’actualité de l’extrême droite, décembre 2015
[9] François, Stéphane « Les nouveaux militants de l’extrême droite ressemblent à leurs grand frères », Slate, 2014
[10] Article « Cette soupe populaire est illégale », Le Parisien, 15/11/2010
[11] Article « Un « apéro saucisson et pinard » à Paris contre « l’islamisation » », L’Express, 14/06/2010
[12] Tract du blog « Soutien Vardon »
[13] Déclarations de Nicolas Lebourg à BFMTV à propos du suicide de Dominique Venner en 2013.
[14] Site « Les identitaires »
[15] Vidéo du Bloc Identitaire, « Camp Identitaire 2012 – Xème édition – Génération Identitaire », YouTube, 26/08/2012
[16] Pauline Béras, Manon De Lalande, Méryl Gamer et Ornella Gomis, « Prévenir la « radicalisation » des jeunes exposés à la propagande djihadiste : une analyse du cas français », Avril21, 17 décembre 2018. Url: http://avril21.eu/non-classe/prevenir-la-radicalisation-des-jeunes-exposes-a-la-propagande-djihadiste-une-analyse-du-cas-francais
[17] Communiqué officiel, « La censure de Facebook continue : la page « Les Identitaires » vient d’être supprimée ! » 25/05/2018
[18] Léo Cogos, Manon Majesté, Youssara Id Chrife, Camille Dely et Alizé Etchegory « www.facho.eu : quand l’extrême droite européenne tisse sa toile », www.Avril21.eu 09/11/2015
[19] Deborde, Juliette « Comment «journalopes» et «merdias» se sont répandus sur les réseaux », Libération, 05/01/17