Le 21 février dernier, le Master 1 Communication politique et publique en France et en Europe accueillait Fabrice Pozzoli-Montenay (@FPM_Paris sur Twitter).
C’est avec sa casquette de Secrétaire de la section française de l’Association des Journalistes Européens (AJE) que Fabrice Pozzoli-Montenay (FPM) assiste à une séance du cours de « Communication de l’Union Européenne ». Il est attentif, participe de temps en temps, mais tâte surtout le terrain et cherche à connaître son futur auditoire. C’est devant lui qu’il va donner un point de vue sur le traitement de l’actualité européenne par les médias, plus particulièrement français. Résumé de sa prestation.
Le rubriquage des sujets européens : un choix difficile
Pour Fabrice Pozzoli-Montenay, mettre l’Europe dans des journaux est un casse-tête permanent pour tous les médias. En effet, de par son contexte transversal, l’actualité européenne casse les règles établies. Par la nature même des sujets évoqués, ses nouvelles peuvent rentrer dans différentes rubriques. Cela peut poser des problèmes dans les rédactions françaises car ces dernières, à l’inverse des britanniques, n’ont pas l’habitude de travailler en équipe et restent attachées à l’image du journaliste solitaire, face à sa copie, signant de sa plume un article rigoureusement écrit. Traiter d’Europe, c’est très souvent traiter d’économie poursuit Fabrice Pozzoli-Montenay. « L’Europe existe avant tout en tant qu’entité économique. » C’est aussi pour cela que la Commission Européenne rappelle régulièrement qu’elle n’intervient pas sur les droits de l’homme, sur la liberté de la presse. La seule entité qui a vocation à traiter des droits de l’homme est le Conseil de l’Europe.
L’information à la française
En s’appuyant sur les exemples donnés par Fabrice Pozzoli-Montenay, on peut constater que la France a un style bien à elle dans son traitement de l’actualité européenne. Ainsi, au sein de l’hebdomadaire Marianne, lorsque l’interdiction de fumer est apparue dans les sujets à traiter, une partie de la rédaction affirmait que cela reposait sur une décision de l’Union Européenne. Un rédacteur du magazine est alors allé voir le rédacteur en chef pour lui expliquer que l’Europe n’avait rien à voir dans cette décision, mais ce dernier a quand même décidé de blâmer l’UE dans un billet paru dans l’hebdomadaire.
Ce type d’exemple contribue au jugement très acerbe que porte Fabrice Pozzoli-Montenay envers la presse française : « En France, la presse manque clairement de sérieux au niveau de l’information qu’elle donne car elle ne les vérifie pas. Son déclin a commencé le jour où on a arrêté le croisement de l’information. Je constate le manque de sérieux des journalistes français. » Un jugement très tranché, sans langue de bois, comme il aime à le rappeler.
Les journalistes français à Bruxelles
La crise actuelle de la presse française a entrainé de sévères purges au sein des services traitant d’Europe. Pour Fabrice Pozzoli-Montenay « L’Europe on la traite depuis Paris, parfois on a un correspondant mais ce n’est pas toujours le cas car c’est trop cher : cela impacte sur la qualité de l’information ». Bien que la télévision soit la première source d’information pour les citoyens, sa situation reste assez particulière. En effet, toutes les chaines du monde ont au moins un correspondant basé au service de presse de l’Union Européenne de Bruxelles, le plus grand du monde. Mais F. Pozzoli-Montenay souligne que la plus grosse chaine européenne en terme d’audience, TF1, n’a pas de journaliste à Bruxelles car elle n’en a jamais senti le besoin. « C’est très révélateur de ce qui se passe en France ! TF1 se ‘contrefiche’ de l’Europe ».
L’une des raisons pour lesquelles on parle peu d’Europe est qu’elle ne vend pas. Pour les journalistes TV, un sommet européen est compliqué à bien illustrer et donc « mortellement ennuyeux » pour les téléspectateurs. De plus, il existe une confusion des journalistes qui n’utilisent pas les bons termes. « On généralise avec Bruxelles mais on ne sait si on parle du Parlement, du Conseil, de la Commission… » Le temps étant précieux, les rédacteurs et autres reporters préfèrent « faire court » avec un terme générique. Aussi, l’AJE relance souvent les chroniqueurs car l’information transmise n’est pas compréhensible. Son secrétaire argue que « si les journalistes se permettent autant d’approximations et d’erreurs factuelles sur l’UE, c’est aussi qu’ils ne risquent pas de retour de bâton, contrairement aux acteurs politiques français (préfets, ministres, experts, conseillers, etc.). Les représentants de l’UE ne menacent jamais les journalistes de rétorsion… Une attitude démocratique, mais perçue comme une faiblesse par certains ».
Mais depuis 2008, avec la crise mondiale et européenne, la tendance tend à s’inverser en France et on parle davantage des nombreux sommets (« de la dernière chance » ?) organisés. Une dynamique européenne s’est mise en place au niveau politique et a ainsi permis au temps de parole de remonter. En 2007, le temps d’informations consacré à l’Europe dans les journaux télévisés était de 2% et lorsqu’on parle de politique étrangère en France, cela ne représente pas plus de 4% du temps des JT. On a des temps de présence à l’antenne très faible. Deux numéros de l’observatoire géostratégique de l’information, sous la direction de Eddy Fougier, traitent de l’information européenne. On a tout d’abord « JT du 20 heures : le grand désert de l’info européenne » et La lettre de l’Ina Stat sur « L’Europe loin des projecteurs » de juin 2008.
En ce qui concerne la radio, le groupe Radio France se considère comme à part car il aborde l’actualité européenne au moins une heure par semaine (toutes stations cumulées). Fabrice Pozzoli-Montenay considère ce temps « faible » bien que ce soit « la radio qui en parle le plus ». Le groupe a eu la démarche de créer un poste de rédactrice spécialiste de l’actualité sur l’Europe afin pour que cette dernière influence ses confrères à traiter de ces sujets.
Les locaux régionaux de Radio France sont supposés traiter de leur côté l’information européenne, en plus de leur mission de prioriser la proximité. Il se retrouver alors face à un paradoxe que les rédacteurs en chefs résolvent en « oubliant l’Europe et en ne traitant que du local ». Les rares fois où des sujets européens sont abordés, c’est sous l’angle du régional en mentionnant l’intervention économique de l’UE dans le financement d’infrastructures (routes, universités, etc.) et cela varie d’un journal à l’autre.
Concernant la presse quotidienne régionale (PQR), Ouest France a depuis toujours été en faveur de la construction européenne. C’est certainement aujourd’hui le journal de PQR français qui traite le plus de l’Europe en terme d’intérêt général et en terme d’actualité locale. Cette volonté vient très clairement de la direction, de l’identité de Ouest France. Mais depuis 5 ans, avec le départ de François-Régis Hutin de la direction du journal, on remarque « une baisse quantitative de l’info européenne » analyse Fabrice Pozzoli-Montenay.
Et l’internet de l’Europe ?
Le média internet européen a trouvé une place à part avec les pure players. Mais la cible des publicités, nécessaire à la survie des journaux européens, est restreinte et peu d’annonceurs ont besoin de communiquer au niveau européen. Depuis le « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, on constate une augmentation de l’importance accordée au média internet. Mais l’UE reste un sujet de fracture extrêmement forte au sein des journaux et est source de clivage extrêmement important au sein des rédactions. « On est arrivé à un point où il y a des affrontements de personnes entre services, des luttes de pouvoir » commente FPM, concluant que « dans les journaux on s’est dit que puisque les français sont opposés à l’Europe, on va aller dans leur sens et taper sur l’Europe ».
Internet est un des rares médias qui se prête bien au traitement de l’information car il génère très peu de charges (studio TV, impression, etc.). On trouve actuellement des sites qui arrivent à se développer au niveau européen : le site Café Babel, à la base français, est aujourd’hui présent dans douze pays européens. Il emploie plus d’une dizaine de personnes, vit d’aides de l’UE et produit un contenu à destination des étudiants. On trouve aussi sur la toile des sites comme Presseurop qui appartient au groupe Courrier International. Proposé en sept langues européennes, le site traduit les grands titres de la presse du vieux continent. Le site myeurop.info, héritier du journal papier « L’Européen » veut quand à lui montrer que tous les aspect de la vie sociale ont du répondant ailleurs. Le site les Euros (traduit en trois langues) est s’aligne sur le style de Café Babel mais est géré par des étudiants plus âgés ou par de jeunes actifs. Euractiv, catégorie en presse spécialisée, se fait l’écho de toutes les grandes discussions au niveau européen.
La simplicité d’internet et sa réactivité font de lui le seul média ayant une répercussion très rapide. L’outil internet aide à un dialogue européen. Selon FPM, il favorise énormément à la construction de l’identité européenne.
Les médias européens
Parmi les grands médias européen il y a Arte (symbole de l’amitié franco/allemande). Son audience a beaucoup baissé depuis ces dernières années à cause, notamment, de l’arrivée du satellite et du câble. Une autre chaine importante est Euronews, peut-être le seul média transeuropéen qui fonctionne. Il touche les 400 millions d’habitants de l’Europe et est celle qui fait le plus d’audience devant la BBC… Elle est financée à 100% par la Commission Européenne. On peut considérer que c’est pour l’instant une réussite.
Ce portrait global que dresse le Secrétaire de la section française de l’Association des Journalistes Européens explique sa frustration vis-à-vis du journalisme à la française. Déçu par les médias de l’hexagone, critiqué par ses confrères, il a trouvé refuge dans l’antre des rédactions des pays voisins au sein desquels sa vision de l’Europe est plus facilement appréhendée. L’information européenne à la française est-elle si critiquable ? Selon FPM ce serait le cas sur les grands médias nationaux mais pas sur internet. Eurosceptiques fan de TV et pro-européens, du clavier ?
Claire Brunelle et Nicolas Daghero