Comme promis tout au long de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande vient de manière récurrente au contact des citoyens français. Voilà pourquoi, jeudi 6 octobre, l’actuel Président de la République était l’invité d’une émission entière sur la première chaine télévisée française TF1, En direct avec les Français. Fendre l’armure et ouvrir le deuxième temps de son quinquennat, tel était son but. Il faut dès lors noter que c’est la première fois qu’il participe à une émission de ce genre, lui qui était d’ordinaire habitué à des conférences de presse, tous les 6 mois, dans le but de faire état de l’avancement de son mandat.
En tant qu’étudiant en communication politique et publique à l’Université Paris-Est Créteil-Val-De-Marne, et ayant une préférence partisane pour le courant UMP, j’ai jugé intéressante l’initiative d’une « Riposte Party » numérique par le mouvement de l’opposition, consistant en une contre-attaque sur Twitter face à l’intervention de François Hollande, pour tenter de décortiquer et d’analyser ses propos, annonces, vérités ou mensonges, et ce qu’il manquait ou non à son éloquence. Ayant participé à cet événement, j’écris donc ce billet en tant qu’étudiant, futur professionnel de la communication en politique, afin de proposer une analyse de cette expérience et de l’intervention du Président de la République.
L’idée de « Riposte Party » remonte à quelques années, ces évènements eurent lieu notamment au cours de la campagne présidentielle de 2012, ce n’est donc pas en soi une pratique novatrice provoquée par la venue du chef de l’exécutif sur TF1. Par exemple, le Parti Socialiste avait lancé, à la Bellevilloise à Paris, une soirée sur le même principe afin de commenter le débat de l’entre-deux tours opposant François Hollande au président sortant Nicolas Sarkozy, le mercredi 2 mai 2012.
D’ailleurs, « face à nous », ce soir là, les « supporters » de François Hollande, du côté de la rue de Solferino. En effet, avec la présence d’Harlem Désir, par exemple (quand de notre côté nous étions en compagnie de Stéphane Tiki, secrétaire national de l’UMP et Gérald Darmanin porte-parole de Nicolas Sarkozy pour la campagne pour la présidence de l’UMP), nous avons assisté à une sorte de cyber-affrontement entre les twittos des camps opposés.
Avant tout, la première chose qui m’a interpellé est la communication faite en amont de cette soirée, par l’UMP, sur Twitter, quant à l’importance d’y participer. Voulant dans le même temps imposer une forme « d’attaque surprise », j’ai donc trouvé contradictoire cet effet d’annonce préalable. En bref, durant la soirée, plus de 10.000 tweets ont été envoyés sur Twitter pour commenter en direct la prestation de François Hollande sur TF1. S’inspirant du Parti Socialiste, l’UMP avait donc mobilisé ses militants à son siège parisien à l’occasion d’une « soirée twittos ». En somme, le principe est donc de se réunir pour regarder l’émission en direct, et la commenter sur les réseaux sociaux.
Sitôt arrivé au siège ai-je l’occasion de rencontrer Geoffroy Didier, co-fondateur de la motion « La Droite Forte », vissé sur un iPhone dernier cri déjà connecté au direct diffusé par TF1, l’air perturbé et moqueur, et surtout ahuri devant les premiers mots du Président de la République. Ambiance.
Pierre-Antoine Kinserger, community manager de l’UMP, avait également préparé une affiche « #HollandeLEchec, tweetez @ump » placardée dans toute la salle destinée à cette Riposte Party.
L’organisation est rôdée. Des dizaines de cartons de pizzas livrés, des caisses de boissons et une batterie d’ordinateurs portables et de smartphones, voilà ce dont ont besoin les activistes pro-UMP de la toile. Il est important de noter que les tweets ne sont pas contrôlés par l’équipe dirigeante de l’UMP, chaque militant est libre d’écrire ce qu’il pense, bien qu’une autorégulation est présente parmi les twittos pour éviter les insultes, ou propos extrémistes. Chacun utilise à sa manière son ordinateur, tablette, ou iPhone, avec en premier lieu le logiciel TweetDeck qui permet de visualiser en direct chaque tweet se rapportant à un mot-dièse précis (un reportage de la chaine Itélé résume assez bien cela : http://www.itele.fr/politique/video/francois-hollande-lump-mobilisee-sur-twitter-99610).
Un scénario « en direct », mais néanmoins bien préparé
Alors, François Hollande a voulu s’exprimer devant les Français. Or, comme on le sait, pour s’exprimer, il faut avoir quelque chose à dire. Des annonces à faire. Aujourd’hui, première chose, c’est que les sondages laissent penser que François Hollande est à un moment phare de son quinquennat où sa crédibilité semble gravement atteinte par une impopularité au plus bas (13% de Français ayant confiance en son action d’après un sondage TNS-Sofres en novembre 2014 (1)), dans l’histoire de la Vème République (ce nombre de 13% a failli être atteint par Jacques Chirac en juillet 2006 qui tombait à 16% de confiance des Français sondés (2)).
Avant la diffusion de l’émission, il était loisible de se demander de quoi le Président allait bien pouvoir parler (quid de la réforme fiscale et de la réforme des collectivités territoriales, ou encore de celle du non-cumul des mandats des élus ? Quid enfin du pacte écologique?) ; lui qui pendant sa dernière conférence de presse le 18 septembre faisait l’objet de questions d’ordre privé du type : « Est-ce que l’éclatement sur la place publique de votre vie privée, et la sortie du livre de votre ancienne compagne, n’a pas discrédité un peu le pouvoir et vous a mis en question aussi ? » (3).
Pour revenir un temps sur la Riposte Party au siège UMP, le discours tenu était clair bien avant l’émission : « Il ne dira rien, si ce n’est qu’il aime les frites, ou qu’il récuse son ex-compagne. Il n’a plus rien à dire. » Les militants présents doutent fortement de la capacité de François Hollande à franchir le Rubicon ce soir, et pourtant, cette émission a fait un record d’audience : 7,8 millions de téléspectateurs, soit 29,8% de part d’audience, selon la chaîne. François Hollande confirme sa place au club des 5 (avec Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy et Manuel Valls) qui affriole le public devant l’écran et fait bondir l’audimat.
Pour cette interview, le dispositif scénique est rôdé. En effet, dès la bande-annonce de l’émission « En direct avec les Français », on apprend que François Hollande répondra aux questions de 4 Français « au cœur de la crise » (4). Ces Français « triés sur le volet », sont donc supposément représentatifs de tout ou partie des difficultés rencontrées par la population : sur Twitter, la rumeur enflait qu’il y aurait « un patron de PME, un jeune, un senior au chômage et une habitante de zone rurale », avant d’apprendre, peu avant l’émission, qu’il y aurait « trois femmes et un homme ».
La première, Joëlle Mediavilla (photo en bas à gauche), « la senior au chômage », 60 ans, originaire de Drancy en Seine-Saint-Denis, explique qu’elle est sans emploi, à moins de deux ans de sa retraite. Elle illustre la difficulté qu’ont les seniors à s’inscrire dans le marché du travail. C’est, face à elle, que le président a annoncé la mise en place de « contrats aidés spécifiques » pour les plus de 60 ans n’ayant pas toutes leurs annuités.
En seconde position, vint Karine Charbonnier (en haut à gauche), « la patronne de PME », qui, à 46 ans, dirige l’entreprise familiale Beck-Crespel, à Armantières. Comme le président de la République, elle est diplômée de HEC, et est la première à le féliciter, presque le remercier. Elle a concédé à François Hollande « des efforts que ses prédécesseurs n’avaient pas faits », mais a surtout réclamé plus de réformes et déploré que « 2014 ait été un choc de complexification ». Au siège, les militants UMP sont surexcités et vantent les compétences de la chef d’entreprise, qui, selon eux, serait plus à même de répondre aux problématiques du moment que le chef de l’exécutif.
Puis il y a eu Hassen Hammou, le benjamin. C’est celui qui a fait le plus réagir les internautes. Très à l’aise, il est le troisième Français à s’être présenté devant le président de la République ce jeudi soir. Titulaire d’une capacité en droit, originaire de Marseille, il a expliqué qu’il touchait actuellement le RSA. Il représente « le jeune » du panel de TF1. Mais rapidement, plusieurs personnes sur Twitter indiquent que le jeune homme est loin d’être un novice face aux médias, ni même en politique. Dans une vidéo rapidement devenue virale, on découvre en effet que Hassen Hammou était candidat sur une liste PRG dans les 15e et 16e arrondissements de Marseille lors des dernières élections municipales. Sa liste, dont il était la tête, a réuni 0,88 % des suffrages au premier tour (5).
En queue de peloton, Catherine Faucheron (en bas à droite), 35 ans, elle, est « l’habitante d’une zone rurale ». Mariée depuis douze ans, originaire d’un village près de Charleville-Mézières, elle a été la dernière à se présenter face au chef de l’Etat. Décrite sur TF1 comme assistante maternelle de 35 ans, elle aurait auparavant exercée la profession d’infirmière libérale, notamment à Manchester. Jeudi soir, elle est venue parler à François Hollande des difficultés propres à la vie en milieu rural. Elle a pris comme exemple le combat qu’elle mène pour que le collège local puisse continuer à exister, alors qu’il est menacé de fermeture.
Face à ces intervenants de la société civile, François Hollande se détend et leur pose beaucoup de questions. Il ne répond pas vraiment aux leurs, se contentant de rappeler ses réformes et d’annoncer ses projets. Notons que, pas une fois, « les Français » ne l’ont interrogé sur le social-libéralisme, les frondeurs, 2017 ou la primaire, pas une question ou une remarque sur sa vie privée.
Ethos de président : une figure « normale »
Il semble que le président, ce soir là, ait voulu se débarrasser de cet effet de spectacle et de peopolisation de la vie politique (comme l’expliquent Philippe Riutort et Pierre Le Roux, en 2013, dans La politique sur un plateau. Ce que le divertissement fait à la représentation). Et pour cause, nous n’avons assisté à rien de spectaculaire en terme d’effet de communication factice mais plutôt à un discours bien ficelé, que j’ai trouvé assez technocrate d’ailleurs. Oui, en termes d’image, le président semble être passé d’une posture et d’un éthos de présidentiable à celle d’un super ministre, quand on se réfère à ses prédécesseurs : en effet, s’il y a une chose que l’on ne peut décemment pas reprocher à François Hollande, c’est qu’il connaît parfaitement ses dossiers, tel un ministre, là ou François Mitterrand et Jacques Chirac étaient au-dessus des dossiers et se détachaient de cette allure en posant ainsi comme des présidents symboliques. Là est justement l’ambiguïté que l’on peut cibler, on attend du président qu’il soit un président, pas un ministre aguerri. Sur ces éléments, des tweets de militants UMP ont sévèrement taclé le chef de l’Etat.
Pourtant, François Hollande que l’on assassine dans l’opinion publique de président vitrine, de président du rien, qui ne dit rien, mais qui applique, s’est redressé et repositionné ce soir là, face à cette joute médiatique. François Hollande à l’air de repartir en campagne, serait-il déjà de nouveau candidat ?
Dès le début de l’interview, on évoque des problèmes de vie privée du Président de la République, son goût pour les bistros, pour les frites, ses relations intimes… Cela paraissait inévitable. La balle revient alors dans le camp des journalistes, sans doutes, qui ne semblent pas souligner correctement les attentes et besoins de réponses attendues des Français ; les questions du journaliste Thierry Demaizières s’attardant sur l’humeur, la personnalité, et la vie quotidienne du Président (« on ne sait plus qui vous êtes, on a l’impression d’avoir un Président énigmatique, est-ce que le pouvoir vous a changé ? »), quand les quatre Français invités l’interpellent eux sur des questions de société, ou d’économie.
Mais derrière tout ça, François Hollande a, selon moi, réussi une chose. Il a créé, pour ne pas dire fondé de nouveau, une relation d’empathie avec les Français. Il a renoué un lien simple et direct avec les Français. Le chef de l’Etat a choisi d’imposer son autorité, de montrer que c’est lui qui décide, lui qui agit, c’est pourquoi il a choisi de le rappeler à plusieurs moments au cours de la soirée (« Je n’ai cessé de prendre des décisions pour mon pays. Manuel Valls applique la politique que j’ai moi-même fixée »). Roland Cayrol (directeur de recherche FNSP au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)) lui souligne : « Il faudra à François Hollande absolument éviter d’être en posture d’accusé qui se défend, mais prendre de la hauteur pour montrer la voie. En général, il est plutôt bon dans cet exercice, surtout quand il a des contradicteurs ».
Certains observateurs estiment eux exactement le contraire et considèrent que François Hollande a adopté une posture figée, artificielle et a été mis en difficulté par les personnes présentes sur le plateau (en particulier, la chef d’entreprise). A ce propos, Joseph Daniel (auteur spécialiste de la communication politique) s’exprime dans Le Figaro : « Hollande aurait eu raison de sortir de son réduit institutionnel. À deux conditions selon moi: de forme, faire plus ramassé et plus direct qu’il ne nous y a habitués ; de fond: n’annoncer que ce qu’il est sûr de pouvoir tenir. » (6).
Côté Vaugirard, les esprits sont toujours surchauffés, et je me permets un court débat avec un twittos voisin quant à cette posture de François Hollande, que j’ai, pour ma part, trouvé « intéressant » et « changé » ce soir là. Plus dynamique, plus grave, et au gré de la situation actuelle des Français. Alors, bien sur, ce n’est plus le François Hollande du Bourget. Mais tout de même.
Et précisément, de mon côté, dans l’objectif de contre-attaque partisane, je me suis attelé à tacler les propositions économiques et l’image de la France sur la scène internationale dans les propos du chef de l’Etat, plutôt que sa posture, dont voici quelques exemples ici de ma participation à la Riposte Party.
Le chef de l’Etat a bien compris cette nécessité de plaire, on assiste alors à une multitude de gestes et de signes affectueux envers ses questionneurs et contradicteurs. Un sourire par ci, une petite boutade par là. Tout cela entre deux clins d’œil. Le président-invité séduit. Il est dans la même logique que son prédécesseur Nicolas Sarkozy qui appelait les intervenants par leurs prénoms (notamment dans Paroles de Candidat sur TF1 le 12 mars 2012). Ce soir il est bien rasé, ce soir sa cravate est droite ; bien qu’au siège de l’UMP, chacun continue à moquer son physique et on assiste à une furie de tweets sur les propos du président (Par exemple, Pierre Gentillet, président de @JeunesDroitePop retwittera les propos du député Henri Guaino qui écrit : «2 ans et demi pour ne rien faire, 1 heure et demi pour ne rien dire »).
Un bilan mitigé
Enfin, François Hollande le sait, lors d’émissions de ce type, soit on assène un coup fatal à sa crédibilité, soit on part dans des explications confuses qui épuisent le téléspectateur. C’est pourquoi les politiques, aujourd’hui, pour la plupart, s’invitent plutôt à des talk-shows. Apolline de Malherbe, éditorialiste politique, l’explique très bien en écrivant : « les hommes politiques trouvent refuge dans ces émissions où ils se font aimer pour eux-mêmes et n’ont pas besoin de parler de politique » (7). François Hollande a-t-il choisi de sauver les apparences dans cette période très difficile pour lui ? On a là un plateau très esthétique, une mise-en-scène réussie et une posture de rassembleur, un chef d’Etat qui ne parle que des dossiers qu’il a parfaitement en main, qui évite la polémique, et puis fi. Il ne va pas plus loin. Après tout, peut-être n’en a-t-il pas besoin ?
La Fontaine fabulait : « Ne soyez à la cour / si vous voulez y plaire / ni fade adulateur / ni parleur trop sincère » (8). François Hollande est-il encore en mesure de plaire ? On peut se demander si cette émission lui a permis de sortir la tête de l’eau et de rassembler les Français. En tout cas, les sondages semblent aller en sa faveur (3 points en gain de popularité d’après un sondage Paris Match/Ifop). Le Président de la République a le vent en poupe, mais au fond, peut-il encore aduler un peuple français dont certains citoyens semblent mépriser leur Chef d’état et rêver de le faire basculer cul par dessus-tête (n’est-il-pas choquant de voir une bannière « Hollande Démission » défiler face au Président de la République lors de la cérémonie du 11 novembre ?) ?
Alors, que lui reste-il à faire, à quelle fin se tiendront ses prochaines émissions télévisées ? François Hollande endiguera-t-il cet effet d’immobilisme et de faux suspense et répondra-t-il dans le même esprit aux questions de français qui se tournent par désespoir vers un Front National qui nous isolerait du reste du monde par un repli sur soi et un marasme économique ? Marine Le Pen qui grimpe dans les sondages (sondage Ifop réalisé les 3 et 4 septembre 2014) (9) se frotte les mains : elle n’a plus qu’à crier l’ost et rassembler ses troupes électorales. François Hollande a rappelé que la France était leader mondial en matière de cœur artificiel. A-t-il manqué de cœur hier soir ? En tout cas, sa prestation elle a pu manquer de souffle pour une partie de l’opinion.
Au final, on a l’impression que le Président de la République offre un cadeau de Noël bien en avance à l’un de ses rivaux déjà déclarés en vue de 2017, Alain Juppé : ce dernier a parfaitement cadré son agenda médiatique, invité de TF1 le soir suivant, il répondra aux mêmes interrogations que l’actuel Président. Alain Juppé n’a plus qu’à envoyer un mot de gratification à François Hollande : « Merci pour ce moment ».
Jordan DA ROCHA
Crédits Photo : Martin BUREAU / AFP
(1) http://www.tns-sofres.com/dataviz?type=1&code_nom=hollande
(2) http://www.tns-sofres.com/dataviz?type=1&code_nom=chirac1
(4) http://www.wat.tv/video/francois-hollande-en-direct-7348t_2exyh_.html
(5) https://www.youtube.com/watch?v=hFXuMBu__6E
(7) De Malherbe, A., 2007. Politiques cherchent audimat, désespérément. Paris : Editions Albin Michel.
(8) La Cour du Lion – Livre VII – Fable 7