Le visage est figé et le sourire crispé en ce mardi 1er avril quand Jean-Marc Ayrault accueille son successeur dans la cour de l’Hôtel Matignon. Moins de deux jours après la débâcle socialiste du second tour des municipales, le populaire ministre de l’Intérieur, Manuel Valls s’installe dans le fauteuil de Premier ministre que l’ancien Maire de Nantes occupait depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée. Alors que le désormais ex Premier ministre est longuement et chaleureusement applaudi par le personnel de Matignon en rejoignant sa voiture, le nouveau reconnaît une femme dans la foule massée dans la cour, une secrétaire, se dirige vers elle et l’embrasse ostensiblement devant caméras et appareils photos, sous les rires surpris du personnel de Matignon. Derrière cette scène on devine l’intention : se mettre directement les employés dans la poche et surtout jouer la carte de l’opinion. En vrai professionnel de la communication.
Manuel Valls fait partie de ces hommes politiques qui maîtrise la communication. Déjà à l’époque de la «gauche plurielle», il officiait à Matignon pour le compte de Lionel Jospin en tant que chargé de la communication et de la presse. Il est également de ceux qui se servent de l’actualité pour affirmer leur politique à l’instar d’un Nicolas Sarkozy qui avait su, à son époque, utiliser le siège de la place Beauvau comme épicentre d’un perpétuel mouvement médiatique. Manuel Valls n’est pas un pur produit de l’élite française. Né en Espagne, devenu Français à 20 ans, n’ayant qu’une simple licence d’histoire, il se démarque en n’étant pas issu des grandes écoles ou en ne portant pas un nom qui ouvre des portes. Contrairement à François Hollande, Martine Aubry, Laurent Fabius ou encore Ségolène Royal, il apparaît comme symbole de la méritocratie française et arrive à en jouer auprès de l’opinion. C’est ce versant qu’il exprime lorsqu’il déclame d’un ton lyrique lors de son discours de politique générale (1): « Je me dis qu’il y a peu de pays au monde qui permettent à des citoyens nés à l’étranger, qui ont appris les valeurs de la République, de prendre les plus hautes fonctions de l’État. […] C’est pour ça que j’aime profondément ce pays et que je suis fier de m’adresser à sa représentation nationale. (2) »
Valls sait se mettre en scène. Dimanche à la une du Journal Du Dimanche (JDD) la légende de la photo ne laisse pas place au doute. On peut y lire : « Il a écrit son discours de mardi, sur le bureau où travaillait Léon Blum » (3). Le même jour, un reportage du journal de 20H de France 2 lui est consacré. On le voit de dos, fixant la télévision, branchée sur BFM TV qui diffuse des images du premier Conseil des Ministres du Gouvernement « Valls 1 » et commentant le reportage le Premier ministre lance une phrase lourde de sens : « C’est une belle image » (4). La mise en scène, le souci de tout contrôler. Toujours. Tout le temps.
Le souci de tout contrôler c’est aussi diriger la presse et ne pas se laissez diriger par elle. Et là encore, Valls impose sa marque. La rupture avec les couacs du gouvernement Ayrault semble nette. Sonné par la déroute des municipales (5), le pouvoir socialiste revoit sa communication : le Premier ministre nommé le lendemain de l’allocution présidentielle, son gouvernement constitué rapidement, en deux temps avec des échéances claires – faisant oublier les images de l’attente interminable du gouvernement Ayrault le 16 mai 2012, les chaînes infos filmant le micro esseulé sur le perron de l’Élysée et ce Secrétaire général qui n’arrive pas. Le plan médias est impeccable : première intervention télévisée de Valls au JT de 20h de TF1 dès sa nomination, grande interview au Journal du Dimanche le 6 avril pour l’avant-vente de son discours de politique générale du 8 avril. Un travail de professionnel.
La mise en scène c’est aussi se dévoiler. De Barack et Michelle Obama dans la réalité à Franck et Claire Underwood dans la fiction (6), la vie privée est régulièrement dévoilée par les hommes politiques. Sa compagne, Anne Gravoin, complète parfaitement l’image de Manuel Valls perçu comme à la droite du Parti Socialiste. La violoniste lui apporte une crédibilité auprès du monde culturel, ce marqueur de gauche que le nouveau Premier Ministre soigne particulièrement. Suivant ce principe, le nouveau couple locataire de l’Hôtel de Matignon posait pour Paris Match cette semaine (7)
L’ancien maire d’Evry maitrise parfaitement le concept d’ « agenda setting » théorisé par Mac Combs et Shaw l´aide de l’affaire du Watergate. Selon eux, la fonction des médias n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser mais sur quels thèmes ils doivent concentrer leur attention. Pour eux, il existe une relation entre l’ordre hiérarchique des événements présentés par les grands médias et la hiérarchie de signification attachée à ces problèmes de la part du public et des hommes politiques. Il apparaît d’après ce modèle que la perception du public, par rapport à l’événement est fonction de la place que lui accordent les médias. Les informations négligées par les médias, si elles ne reçoivent pas plus d’attention dans l’avenir sont vite oubliées. En déterminant l’agenda politique (« agenda setting »), la presse ne dit pas aux gens ce qu’il faut penser mais à quoi il faut penser. Et Valls, comme Nicolas Sarkozy en son temps, maîtrise l’agenda setting comme personne. Une phrase sur les Roms au micro de France-Inter et la classe politique fait des Roms sont sujet principal pendant de nombreux jours, une « croisade » personnelle contre Dieudonné place « l’affaire » au centre de l’agenda. Rebondir sur l’actualité, imposer ses thèmes, pour être au centre du jeu.
Mais au cours de cette semaine de grand changement, François Hollande en personne semble s’adapter à la « méthode Valls » en ayant recours au fameux « storytelling ». Plus personne ne parle des 155 villes tombées dans l’escarcelle de l’UMP et c’est voulu. Une fois n’est pas coutume, François Hollande s’est exprimé en temps et en heure pour annoncer l’arrivée de Manuel Valls à la tête du gouvernement. Résultat : exit les discussions à n’en plus finir sur la défaite socialiste, place aux portraits du nouveau « Premier Ministre ». Seconde innovation : pour son gouvernement de « combat », Manuel Valls sera donc entouré de 16 ministres. Ce chiffre n’a pas manqué d’être martelé dans les médias, à dessein. Plus qu’un gouvernement, il s’agit de mettre en scène et en images l’émergence d’une « task force » expérimentée et rassemblée, le fameux « Gouvernement de combat ». Suivant cette ligne le conseil des ministres est depuis cette semaine délocalisé du « Salon Murat » au « Salon des Aides de Camps » (8). Comme un symbole de ce gouvernement de combat. Non, promis ce n’est pas du storytelling.
Timothée Larochette
- http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2014/04/10/25001-20140410ARTFIG00355-en-2014-le-discours-de-politique-generale-de-manuel-valls.php
- http://www.revue2presse.fr/presse/une/le-journal-du-dimanche
- http://www.francetvinfo.fr/manuel-valls-parcours-de-ces-six-derniers-mois_570659.html
- Voir à ce sujet « Gouvernement Ayrault : Rideau ! » par Clémence Martin : http://avril21.eu/chroniques-electorales/gouvernement-ayrault-rideau#more-2514
- Personnages de la série House of Cards
- http://www.revue2presse.fr/archive/172882/une/paris-match
- « The agenda setting », Mc Combs et Shaw, 1972
- http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/insolites/2014/04/08/25007-20140408ARTFIG00159-le-conseil-des-ministres-change-de-salon-a-l-elysee.php