« Être français, c’est une identité, pas des papiers ». Voilà le slogan que l’on peut lire sur une affiche du groupe d’extrême droite Bloc Identitaire.
Disponible sur leur site internet, un court paragraphe sur leur « propagande » précède l’affiche.
« Depuis sa fondation, le Bloc Identitaire a prouvé qu’il n’était pas un mouvement comme les autres, démontrant campagne après campagne sa capacité à investir de nouvelles voies d’action et de propagande. Mais l’innovation n’est pas tout et il faut savoir aussi répondre aux exigences de la propagande classique. »[1]
Une des « exigences de la propagande classique » à laquelle aurait voulu répondre le Bloc Identitaire est peut-être celle de l’ambigüité ou de l’équivoque. En effet, le caractère équivoque d’un message peut a priori sembler désavantageux car il le rend moins clair et explicite. Toutefois, cela lui donne l’avantage de permettre plusieurs effets de sens possibles. Moins un message est explicitement clair, plus il a d’effets de sens potentiels, et donc plus son interprétant est libre d’y accorder sa propre signification.
Cependant, dans le cas présent, l’émetteur de ce message particulier n’avait peut-être pas assez réfléchi aux effets de sens possibles.
Tout d’abord, le discours du Bloc Identitaire, tel qu’il est formulé, renvoie implicitement à un autre discours qui serait tenu ailleurs, et qui ferait ainsi partie de ce que l’on appelle « l’interdiscours ». Plus précisément, le procédé mobilisé ici est une réfutation par retournement, qui renvoie au discours que d’autres tiendraient selon lequel « être français, c’est [avoir] des papiers ». Le Bloc identitaire réfute ce discours en le « retournant » : selon lui, être français n’est pas une question de papiers, mais une question d’identité.
Pour le Bloc Identitaire, cette réfutation permet de mieux affirmer sa thèse, à savoir que les personnes ayant des papiers français ne le sont pas forcément : avoir une carte d’identité française ne serait pas un justificatif valable ou suffisant pour pouvoir prétendre être français. Il est possible de faire un rapprochement avec une expression typiquement d’extrême droite qui est « français de papier », quelqu’un qui serait donc uniquement français sur le papier mais pas en réalité.
Or, « Français, c’est une identité, pas des papiers », est un message ambigu avec plusieurs sous-entendus possibles. Il peut être interprété de manière très contradictoire, au point de se retourner contre les thèses du Bloc Identitaire.
Le Bloc Identitaire prétend qu’être français n’est pas une question de papier. Ironie de la langue, le mouvement d’extrême droite suggère malgré lui que ne pas avoir de carte d’identité française ne signifie pas pour autant que l’on n’est pas français.
Ainsi, il peut être interprété que ce slogan soutient les sans-papiers vivant en France : même s’ils n’ont pas de papiers français, ils sont véritablement français s’ils portent, profondément, les valeurs qui sont associées à une telle identité.
Belle preuve de courage politique que d’oser prendre un tel virage pour un mouvement d’extrême droite !
Cette affiche illustre l’importance des différences qui peuvent exister entre ce que l’émetteur d’un message souhaite communiquer, et la façon dont le message est finalement interprété par ceux qu’il atteint – qui, dans le cas d’une affiche collée dans la rue particulièrement, ne se réduisent pas forcément au groupe cible à qui l’on veut communiquer en priorité. Également, on voit comment il est important de se renseigner sur la source d’un message pour pouvoir analyser avec précision l’intention de sa communication. Si le même message avait été signé par un organisme de défense des sans-papiers, la dernière interprétation aurait pu être privilégiée.
Du point de vue du communicant, cet exemple nous rappelle de manière emblématique l’importance d’analyser les différents effets de sens possibles d’un message (en particulier d’un slogan) avant de le diffuser ; ainsi que l’importance d’indiquer clairement qui en est l’émetteur, si l’on souhaite que l’intention générale derrière le message soit mieux comprise.
Jérémy Herry