Après un mois d’ouverture libre au public, la Tour Paris 13 vient de fermer ses portes, le 1er novembre 2013. Le principe de cette œuvre éphémère d’envergure exceptionnelle : 36 appartements d’un immeuble de 9 étages voué à la destruction (soit 45 000 m² de surface) et réquisitionné pour la création par 102 artistes urbains de 18 nationalités différentes. Le projet a été décidé conjointement par M. Philippe Moine, Conseiller de Paris délégué à la culture dans le 13e arrondissement, Mehdi Ben Cheikh, directeur de la Galerie Itinerrance et le bailleur de l’immeuble ICF la Sablière. La Tour 13, qui a rapidement profité du bouche à oreille, est devenue en quelques jours un véritable centre d’attraction, et cela même pour les médias, qu’ils soient français1 ou étrangers.2 Avec une moyenne de 6 heures de queue, à patienter dans la file d’attente la dernière semaine, nombreux sont les Parisiens (et les autres) à ne pas avoir réussi à atteindre le Graal. Des pétitions sont donc apparues sur le net afin de demander un délai d’ouverture. Seulement voilà, l’accord entre les différentes parties était clair depuis le départ : les artistes auraient carte blanche pendant 6 mois, mais l’immeuble ne serait ouvert qu’au mois d’octobre et pas un jour de plus, pour cause de démolition imminente. Pourquoi une telle intransigeance ? C’est que l’immeuble est situé à proximité des quais de Seine, place prépondérante dans la politique de renouvellement urbain menée depuis 2001 par le maire de Paris Bertrand Delanoë, notamment dans le 13e arrondissement. Le choix d’y installer une exposition temporaire de street art n’est pas anodin : il est même directement lié aux transformations urbaines du 13e. Le projet de la Tour Paris 13 n’est en effet pas une action isolée mais fait partie d’une stratégie globale de revalorisation identitaire de l’arrondissement.
Le 13e arrondissement pour re-dynamiser la capitale
La politique d’urbanisme de la mairie de Paris a pour objectif annoncé d’endiguer les départs pour la province – la ville ayant perdu 170 000 habitants entre 1975 et 2000 (chiffres avancés par la mairie3) – et redonner à la capitale française une image de mouvement et de dynamisme. Une question s’est rapidement posée : comment renouveler 10% du territoire parisien, dans une ville où l’espace disponible est quasi inexistant ? Les autorités se sont vues dans l’obligation de reconsidérer et repenser des quartiers jugés peu attractifs et qui avaient été délaissés jusqu’à présent. Le 13e est alors apparu comme une évidence : un arrondissement ouvrier, relativement peu touristique du fait de ses nombreux terrains industriels, de ses installations ferroviaires et du peu d’immeubles d’habitations qu’il comporte. La mairie socialiste décide alors de reprendre le plan d’aménagement de la ZAC « Seine Rive Gauche », entreprise en 1991 par le Conseil de Paris (alors sous direction RPR) et le renomme « Paris Rive Gauche ».
Aujourd’hui, entre ses nombreuses tours de bureaux et ses immeubles d’habitations d’architecture moderne, l’arrondissement présente un urbanisme original, initié par la construction de la Bibliothèque nationale de France (ouverte en 1996). De nouvelles infrastructures novatrices ont ajouté un côté avant-garde et vivant à cet ancien quartier industriel : le pont-à-rubans Simone de Beauvoir (une double passerelle piétonne, qui se distingue des autres ponts parisiens à l’architecture ancienne plus classique) ; la piscine flottante Josephine Baker, adossée au quai François Mauriac ; les Docks – Cité de la mode et du design (qui font office le jour de galeries d’exposition et de centre commercial et la nuit de salons de défilés de mode et de lieux de clubbing).
Ce renouvellement urbain s’est accompagné de l’implantation d’un quartier étudiant (transferts dans la zone Rive Gauche des campus de Paris VII et de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine en 2007, par exemple). L’objectif avoué : attirer une nouvelle population jeune et rendre ainsi l’arrondissement vivant et dynamique. Dès lors, la création d’une nouvelle identité pour le 13e arrondissement a été travaillée et diffusée par la mairie autour des idées de « modernité » et de « culture ».
La mise en avant d’une politique culturelle axée sur les arts urbains
Grâce à la Ville de Paris, un nouveau théâtre, le Théâtre 13 / Seine, a vu le jour, et un nouveau Conservatoire sera inauguré à la rentrée. (…) Le 13e bouge, innove. C’est l’arrondissement du « street art », du cinéma, des métiers du livre et de la création. »4 Cette phrase de M. Moine illustre la volonté affichée par la mairie du 13e en matière de politique culturelle. Face aux arrondissements historiques du centre de la capitale, contre lesquels il ne peut touristiquement parlant pas lutter, le 13e entend exister d’une autre manière. Les arts de la rue sont ainsi valorisés depuis 2 ans maintenant par le maire socialiste de l’arrondissement, Jérôme Coumet. Son idée ? Mettre en avant le côté « branché » de son arrondissement, à l’image des grandes capitales culturelles européennes que sont Berlin ou Londres.
Philippe Moine a ainsi réussi à allier le monde des arts urbains et les autorités locales, prenant à contre-pied la politique de répression des tags et grafitis sur la voie publique, entreprise en 1980 par la ville de Paris. En définitive, chacun y trouve son compte. Certains artistes de renommée mondiale (comme OBEY Giant ou Inti) ont reçu l’autorisation de s’afficher légalement sur des murs d’immeubles de logement social qui leur sont alloués. En retour, leurs œuvres (visibles depuis la ligne aérienne de la ligne 6 du métro) sont une formidable publicité pour l’arrondissement, qui bénéficie désormais d’une certaine cote sur le plan artistique. La mairie propose même désormais aux touristes des « randonnées Street Art », ainsi que 19 projets artistiques longeant la voie de tram T3 nouvellement créée. Ces balades, présentées comme « une manière bien agréable de découvrir l’arrondissement »5, encouragent le visiteur à flâner dans les rues du quartier comme dans un musée en plein air, et, allant d’œuvre en œuvre, de remarquer des endroits qui lui étaient jusque-là inconnus.
Le projet de la Tour 13 est le point d’orgue du mois d’octobre 2013, désigné comme Mois du Street Art dans le 13e». Parallèlement, la municipalité avait accueilli 10 jours durant l’exposition d’art urbain « Le Street Art investit la Mairie du 13e ». Une table ronde (qui a notamment vu la participation des artistes reconnus MissTic et C215) avait également été organisée afin de discuter de l’évolution dans les mentalités de cette pratique, marginalisée il y a quelques années et désormais reconnue comme un art à part entière. Au final, le succès médiatique de la Tour 13 est une publicité non négligeable pour la marie du 13e, car il aura amené les Parisiens à (re)découvrir la facette artistique de l’arrondissement. La politique de renouveau identitaire menée depuis des années par la mairie – celle d’un arrondissement novateur, à la population plutôt jeune et d’origines culturelles variées – s’en retrouve, elle, encouragée.
Zelda Martin
Easy Viajar (Espagne) : http://www.easyviajar.com/informacion/paris-exposicion-de-arte-urbano-en-la-torre-13-10951)
Capital (Chili) : http://www.capital.cl/cultura/fotos-la-abandonada-torre-paris-13-se-viste-de-arte-urbano/