Paradoxes de communication autour de la manifestation anti-expulsions en Espagne

La Plateforme des victimes des hypothèques en Espagne (HAP) a lancé le 19 avril un appel à la concentration près du Congrès des députés de Madrid qui s’est soldé par un échec.
 

La dite (HAP) est une association qui regroupe les associations qui ne parviennent plus à faire face au remboursement de leur crédits immobiliers et qui risquent donc d’être expulsés de leurs logements. L’éclatement de la bulle immobilière en 2008 et un taux de chômage qui touche désormais 25% de la population a créé une situation telle que les familles n’arrivent plus à payer leurs mensualités de remboursement car leurs traites augmentent de plus en plus. Ce sont donc les banques qui finissent par récupérer leurs habitations. La loi espagnole permet en effet aux banques de s’adjuger les logements des propriétaires surendettés de 60% seulement de leur valeur. L’objectif de la PAH est donc d’empêcher les expulsions locatives, faire pression sur les banques afin de renégocier les crédits immobiliers, et interpeller les autorités pour modifier la loi en vigueur. A l’aide de manifestations (escraches), regroupements devant les domiciles concernés, procédures judiciaires répétées, l’association est déjà parvenue à stopper des dizaines d’expulsions depuis sa création en février 2009 à Barcelone.

En effet, l’échec de la manifestation a été causé par la supériorité du nombre de policiers présents chargés de la sécurité du périmètre, par rapport à celui des manifestants qui atteignait à peine 200 personnes.

Le PAH a voulu protester contre la non-inclusion de son initiative législative populaire (ILP) dans le nouveau projet de loi anti-desahucios, projet créé par le gouvernement espagnol afin d’empêcher les suicides motivés par les expulsions. La dite ILP prévoyait le moratoire sur les expulsions, l’annulation rétroactive des arriérés après la perte du logement et la mise en place d’un parc de logements sociaux.
La manifestation était prévue de deux heures de l’après-midi jusqu’à la tombée de la nuit, sur la Plaza de las Cortes, mais n’a finalement duré que deux heures à cause des clôtures qui coupaient l’accès au Congrès.
A l’aide d’autocollants verts et de banderoles portant le slogan « Yes we can » ou encore « si se puede pero no quieren» (oui c’est possible, mails ne veulent pas), les manifestants ont critiqué le texte qu’approuve le Parti Populaire (au pouvoir), avec l’opposition de tous les groupes parlementaires.
En ce jour, les promoteurs de l’initiative législative pour le paiement et le freinage des expulsions (ILP) ont décidé de retirer le projet présenté au Congrès, considérant que le Parti Populaire a sapé la proposition citoyenne, pour promouvoir unilatéralement son propre texte.
Dans une forte présence policière, la manifestation s’est déroulée sans incident. Après le vote, se sont approchés du lieu de la manifestation les députés de la Izquierda Unida (Gauche Unie). Cayo Lara, coordonnateur fédéral du même parti, s’est joint à la revendication, mais sans aucune déclaration.
Il apparaît clairement que le gouvernement en place s’inscrit en faux contre la méthode (Escraches) utilisée par l’AHP, qui vise à fustiger les hommes politiques non disposés à modifier en profondeur la législation hypothécaire en vigueur.
Ce terme argentin désigne les manifestations citoyennes qui, dans les années 90, avaient pour but de pointer du doigt, en général devant leur domicile ou sur leur lieu de travail, des responsables de la répression militaire de 1976 à 1983. La pratique est redevenue d’actualité, dans une Espagne révoltée par les mises à la rue de propriétaires incapables de rembourser leurs prêts après avoir souvent perdu leur emploi.
D’après Mariano Rajoy, il s’agit d’un pur et simple harcèlement envers les politiques, qui s’avère être antidémocratique. Celui-ci n’a donc pas fixé la date du vote de l’ILP. Malgré la pression populaire, il refuse de prendre en compte ses doléances. Tout au plus, il se dispose à accorder plus de temps aux propriétaires pour rembourser les prêts et à abaisser les intérêts des arriérés. En outre, l’expression « Escraches » a été censurée il y a quelques jours dans les corps médiatiques et policiers : le gouvernement recommande d’utiliser les mots « acoso » ou « manifestacion » (harcèlement ou manifestation) pour en parler. Par ailleurs, la dernière manifestation de l’ALP, au 25 avril dernier, a été violemment repoussée par les forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à matraquer de jeunes protagonistes.

Cependant, les vents sont contraires cette prise de position. Un sondage de l’institut Metroscopia a indiqué, en février, que 85% des Espagnols, émus par les familles entières qui campent sur la place publique, soutiennent le combat des anti-expulsions. Par ailleurs, les partis d’opposition montrent au PP un «front uni», et des juges pratiquent l’objection de conscience. Leur posture apparaît d’autant plus légitime que, depuis décembre, six personnes sur le point d’être mises à la rue par des huissiers se sont suicidées.
En outre, le 14 mars, la Cour européenne de justice (à Luxembourg) a donné raison à un plaignant espagnol, en estimant que la législation nationale était «injuste». Celle-ci, en vigueur depuis 1909, autorise des expulsions dès le premier avis d’impayé, ce qui ne laisse pas le temps au propriétaire de se retourner contre les termes – souvent abusifs – du contrat signé avec la banque. La régulation astreint, de surcroît, l’expulsé à honorer des arriérés à des taux élevés.
Acculé, le gouvernement Rajoy a annoncé que la nouvelle loi «prendra en compte certaines objections» de la Cour européenne. Même si, a-t-il précisé, «en aucun cas l’annulation rétroactive des arriérés n’est envisageable». Le combat avec les collectifs anti-expulsions, pour qui ce point n’est pas négociable, est donc assuré de se poursuivre.

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Olivia Tchemako, M1 communication politique et publique UPEC

Madrid

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