Borgen, une femme au pouvoir. Tel est le titre français de la série danoise diffusée depuis février 2012 sur la chaine Arte. L’intrigue semble simple : suivre les pas du Ministre d’Etat du Royaume du Danemark. Alors que la traduction française du titre de la série semble insister sur le sexe du chef du gouvernement, la traduction allemande insiste sur un tout autre point.
Borgen est le nom du siège du parlement et du gouvernement danois à Copenhague. Le Royaume du Danemark forme un Etat de 5,5 millions d’habitants dirigé par un Ministre d’Etat et représenté symboliquement par la reine Margrethe II (depuis 1972). En octobre 2011, Helle Thorning-Schmidt devient la première femme à occuper le poste de Ministre d’Etat.
Dans la série Borgen, c’est un Danemark dirigé par une femme qui est présenté. Le parallèle entre fiction et réalité semble alors évident. En effet, dans la série Brigitte Nyborg connaît le même « destin » que Helle Thorning-Schmidt.
Leader d’un parti d’opposition, Brigitte Nyborg devient – suite à un savant jeu de coalition – chef du gouvernement. La première saison de la série présente l’accession au pouvoir de cette responsable politique également mère de deux jeunes enfants. Un ensemble d’acteurs agit autour du nouveau chef du gouvernement : des ministres, un spin doctor, sa famille, des journalistes, des financiers. Autrement dit, un jeu d’interdépendance se met en place. C’est là que la traduction allemande du titre de la série prend tout son sens. Borgen – Gefährliche Seilschaften (Cordées dangereuses). Le terme Seilschaft, utilisé par les alpinistes, signifie l’idée d’être relié par une corde pour se protéger de la chute. Dans la langue allemande, ce mot est aussi utilisé dans le domaine politique. Le double sens montre que si l’un des participants chutent, les autres seront ralentis ou pourront chuter à leur tour.
On perçoit combien la traduction est un art subjectif et culturel. En effet, dans un pays où une chancelière gouverne depuis maintenant plus de sept ans, il ne semble pas important d’insister sur le genre féminin de Brigitte Nyborg mais plutôt sur ce que la série tente de mettre en scène : l’influence de la vie professionnelle sur la vie privée de Brigitte Nyborg. La relation entre le spin doctor et la journaliste de TV1. L’équilibre entre les valeurs et la realpolitik. Le rapport de force entre les différents partenaires de la coalition gouvernementale. La mise en place d’une stratégie de communication et de storytelling. Tant de sujets qui sont abordés dans cette série avec un point de vue très scandinave, et surtout, une pratique du pouvoir différente du régime politique français : le Danemark est une monarchie constitutionnelle. Toute la politique de Brigitte Nyborg est ordonnée par le jeu des alliances et des coalitions. A tout moment, son gouvernement peut exploser et la Ministre d’Etat perdre son poste. Dans un contexte européen, cette série peut donc sembler plus troublante pour les téléspectateurs français. Les allemands étant habitués à ce mode de gouvernement.
Cependant, le public français pourrait s’attendre à encore plus de différences culturelles en regardant cette série danoise. Mais une fois la question du genre de Brigitte Nyborg dépassée et la conception scandinave du pouvoir observée, la série renvoie à des questions posées à tous les gouvernements de notre pays. Comment donner une vision politique pour le pays ? Comment gérer un divorce en étant au pouvoir ? Peut-on accepter des échanges commerciaux avec des Etats non démocratiques ? Comment allier la défense de la démocratie en Afghanistan et la perte de soldat ? Ou encore, comment considérer les questions européennes dans un Etat où les citoyens ne s’y intéressent que très peu ?
Le premier épisode de la troisième et dernière saison de Borgen a été diffusé le 1er janvier 2013 au Danemark. La série danoise, réunissant plus d’un million et demi de Danois à chaque diffusion, est en passe de devenir un succès au delà de ses frontières. L’occasion est donnée de découvrir le fonctionnement du plus petit des Etats scandinaves. Evidemment, on peut interroger le réalisme et l’objectivité de la série, souvent assez didactique et démonstrative. Mais n’est-ce pas comme pour la traduction une question de point de vue ?