Sept mois après les élections européennes de juin 2024 et lors d’un voyage d’étude de toute la promotion, les étudiantes et les étudiants du master Communication politique et publique en France et en Europe ont pu rencontrer Philipp Schulmeister. Directeur en charge des campagnes du Parlement européen, il effectue lors de notre échange un bilan de la communication dévolue aux dernières élections et nous présente les piliers de son activité : anticiper, préparer, évaluer.
Travaillant au sein du Parlement européen depuis 1998, Philipp Schulmeister y a exercé plusieurs rôles dans le domaine de la communication au sens large du terme : attaché de presse pour un groupe parlementaire, membre du cabinet du secrétaire général du Parlement, ou encore chef du département de l’opinion publique. La direction Campagnes qu’il coordonne désormais élabore, coordonne et met en œuvre des stratégies paneuropéennes visant à sensibiliser les citoyens sur l’impact de la législation européenne sur leur vie quotidienne – et ceci en parallèle des relations presse, médias et autres activités conduites par la DG COMM.

Tous les cinq ans, la direction Campagnes a également la charge de l’organisation de la campagne de communication des élections européennes, qui se doit de respecter une neutralité vis-à-vis des groupes politiques européens et des candidats des listes et partis nationaux. En ce sens, son rôle est dédié à la communication publique institutionnelle. Aussi, ce compte-rendu de rencontre montre comment Philipp Schulmeister cherche, par la communication, à inciter les citoyens européens à voter. En tant que directeur des campagnes du Parlement européen, il nous a permis de comprendre les enjeux et le rôle de la communication de cette institution.
Les enjeux de la communication de l’Union européenne
Communiquer sur le Parlement européen est une mission essentielle à son bon fonctionnement. En effet, c’est une assemblée élue par les citoyens européens, il est donc nécessaire qu’ils soient informés de l’impact des votes et des directives sur leur vie quotidienne afin, par la suite, de prendre part aux scrutins.
Cependant, avant de communiquer sur les modalités électorales, le travail de Philipp Schulmeister et de son équipe consiste à informer les citoyens sur les enjeux du vote. Ses missions, en tant que directeur des campagnes est de démontrer le rôle du Parlement européen en amont des campagnes. Le but est de mettre en avant l’importance de la démocratie et le rôle majeur de l’Union européenne dans la vie quotidienne de ses citoyens.
Ce travail de fond permet de progressivement œuvrer à la création d’un sentiment d’appartenance à l’Union européenne, d’européanité, grâce à une communication choisie. C’est ensuite qu’une campagne d’information sur les dates du vote, en concertation avec les vingt-sept membres est mise en place. La communication à l’échelle de l’Union européenne nécessite une compréhension fine des électeurs, de leurs motivations, ainsi que des différentes dynamiques nationales.
Des contraintes à prendre en compte
En dehors des élections européennes, le sujet de l’Europe politique n’est que marginalement évoqué dans la presse nationale[1]. Ainsi, la direction générale de la communication doit inciter au vote et surtout trouver un biais pour que ce vote se concrétise comme un réel engagement des citoyens. Pour ce faire plusieurs considérations sont à prendre en compte.
L’Union européenne, pour ses campagnes, communique dans chaque langue officielle des pays membres. Elles sont au nombre de vingt-quatre. Pour chaque langue, la question des accents compte. C’est pour cela que, dans le cas des clips vidéo par exemple, les textes français et belge ne sont pas doublés de la même manière.
L’intelligence artificielle s’introduit de plus en plus dans la communication afin d’alléger la charge de travail mais aussi le coût de production. Cette efficacité est indispensable quand les délais imposés par les partenaires de diffusion (chaines télévisés, diffuseurs publicitaires, journaux…) souhaitent vérifier la pertinence des campagnes et de fait imposent des délais de transmission assez courts.
Enfin la pré-diffusion d’une campagne est très contrôlée pour éviter des fuites qui limiteraient l’impact lors du lancement. Lors de la campagne 2024, le clip vidéo présentait le témoignage de personnes âgées de différents pays de l’UE transmettant leurs histoires pendant la Seconde guerre mondiale et l’importance de protéger les valeurs et les principes de la démocratie. À la suite d’une indiscrétion, un groupe politique de députés a mobilisé des témoignages analogues dans sa propre campagne, ce qui a conduit la direction de la communication institutionnelle à modifier sa stratégie.
Le défi de s’adresser aux Vingt-Sept
L’organisation d’une campagne de communication pour inciter au vote doit répondre à plusieurs difficultés inhérentes à la multiplicité des pays membres et des contextes socio-culturels. D’abord, la campagne de communication doit convenir à tous les États membres, en prenant en compte les différents contextes sociopolitiques de ces pays. Il convient de s’assurer qu’aucun segment du clip de campagne ne soit stigmatisant à l’égard d’un contexte national.
Ensuite, la campagne doit s’adresser à tous et émaner du Parlement européen en tant qu’institution publique. Elle ne peut pas porter de message politique afin de ne pas mettre en avant un groupe parlementaire ou ignorer une partie de la population.
Le message aura donc pour objet la promotion de la démocratie et de l’acte de vote. Il s’agit de retranscrire ce message de sorte qu’il trouve un écho auprès du plus grand nombre d’Européens. L’objectif est d’inciter un engagement « euro-citoyen » par le vote tout en considérant ses paramètres sociologiques et géographiques.
Entre deux campagnes
Les campagnes européennes ayant lieu tous les cinq ans, la question du rôle de la direction générale de la communication entre les campagnes se pose. Philipp Schulmeister a tout d’abord souligné que les élections commencent à se préparer deux ans avant afin d’analyser les points forts et axes d’amélioration de la campagne précédente. Une vidéo de bilan a été réalisée afin de rendre compte du travail produit à l’attention du public, mais aussi en interne afin de montrer aux équipes qui travailleront sur les campagnes de 2029 ce qui a fonctionné ou non. La stratégie de campagne pour 2029 ne se mettra en place réellement qu’un an à l’avance : c’est un choix qui intervient après une campagne européenne 2019 considérée comme ayant moins bien fonctionné avec une campagne plus longue dans le temps.
Une communication à moderniser
Philipp Schulmeister a également souligné l’enjeu majeur que représentent les compétences internes au service. La DG COMM tend à internaliser de plus en plus ses productions par souci de simplicité. En effet, externaliser les services se révélait souvent être une perte de temps et d’énergie, car les critères de production de campagnes européennes sont très précis, et former chaque nouvel acteur prend beaucoup de temps pour des résultats plus ou moins efficaces. Il estime qu’il y a un travail à faire pour moderniser les pratiques de communication, afin d’être plus efficaces, mais aussi plus en accord avec les enjeux actuels de la communication, quand Philipp Schulmeister qualifie lui-même avec humour les méthodes de la DG COMM de « dinosaures ».
Cet entretien nous a permis de mieux appréhender les campagnes paneuropéennes et leurs enjeux. Nous remercions chaleureusement Philipp Schulmeister et ses équipes d’avoir pris le temps de nous rencontrer.
Orphée Akiapo, Lola Jaballah, Mattéo Labric, Pierre Miroir, Zoé Tanguy, master 1, promo 2024-2025
[1] L’actualité de l’Union européenne représente, en 2022, 5,7 % du temps d’antenne des principaux journaux télévisés historiques en France. Cf. Théo Verdier, L’Union européenne dans les médias, Fondation Jean Jaurès, juin 2023, p. 3.