
Dans les coulisses des magazines municipaux, la voix des élus d’opposition tente de se frayer un chemin entre droits légaux et pratiques des majorités. Malgré un cadre juridique garantissant leur expression, ces tribunes restent souvent confinées à des espaces restreints, soumis au contrôle éditorial du maire. Ce panorama révèle les tensions entre pluralisme démocratique et communication politique, interrogeant l’équilibre entre consensus et divergence au cœur des publications locales.
Le 31 octobre 2024, le groupe d’opposition municipale « une vision pour Commequiers », de la ville éponyme, publie sur son site internet un communiqué affirmant que, par la décision du maire, ils ne pourront pas publier leur tribune dans le bulletin municipal de décembre1. La raison ? Un retard de trois jours dans la transmission, qui devait se faire avant le 20 octobre, de la tribune à l’équipe de rédaction et ce alors que le magazine est publié en décembre, dénonce Sonia Charlos, cheffe de l’opposition.
Peut-être serait-ce, selon elle, un moyen pour la majorité de mieux discréditer sa tribune en y répondant de fait2.
C’est l’occasion de revenir sur l’histoire et les usages du bulletin municipal. Il s’agit d’un journal, dont la fréquence de publication dépend des communes et plus généralement de leur nombre d’habitants, qui traite de l’activité municipale et qui a pour but de communiquer sur l’action de la ville et sur son actualité, sa vie. Rédigé par les agents municipaux, sous l’autorité du maire, il est distribué gratuitement aux administrés la plupart du temps et le plus souvent par voie postale. Le maire est considéré comme le directeur de publication, il a le pouvoir de mettre en valeur l’action positive de la majorité municipale. Les lois Defferre de 1983 redéfinissent les compétences des communes et poussent ces dernières à adopter une stratégie de développement économique qui puisse passer par la communication. De ce fait, les magazines municipaux qui existaient déjà dans les plus grandes villes se développent en vue de donner à voir une image positive de la municipalité, au travers de l’action de la majorité municipale ou bien des actions et évènements qui couvrent le territoire.
Mais alors, quel chemin peuvent se frayer les oppositions dans ce bulletin ? Permet-il à ces élus de prendre part à l’information municipale ?
Un cadre légal permettant la participation des élus d’opposition dans le bulletin municipal
Le bulletin municipal incarne un espace au sein duquel la liberté d’expression de l’ensemble de l’échiquier politique local doit pouvoir s’exercer. Pour garantir ce pluralisme, un cadre juridique précis régule la participation des élus d’opposition dans ces publications, ainsi que le contrôle exercé par la majorité.
La loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité3 a constitué une avancée majeure : elle a introduit dans l’article L.2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) le principe d’un droit d’expression pour les conseilleurs municipaux n’appartenant pas à la majorité4.
Ce texte impose aux communes de plus de 3 500 habitants – et, depuis une réforme de 2021, à celles de plus de 1 000 habitants – de réserver un espace d’expression dans leurs bulletins ou supports d’information aux élus de l’opposition dès lors qu’ils diffusent des informations générales sur la gestion et les réalisations du conseil municipal.
Ce droit a été conçu pour refléter la pluralité des opinions politiques locales. Il se matérialise le plus souvent sous la forme d’une tribune ou d’un encart dédié. Il n’existe cependant pas de réglementation précise sur l’emplacement de ces expressions dans le bulletin, ainsi les retrouve-t-on majoritairement en fin de parution. Les modalités d’exercice, comprenant la fréquence, la taille et les délais de soumission de ces contributions, sont précisées dans le règlement intérieur du conseil municipal afin de garantir un cadre structuré mais adaptable.
Le maire est le directeur de la publication5. Son rôle est de ce fait central dans la gestion du bulletin municipal, et lui confère un pouvoir de contrôle sur l’ensemble des contenus diffusés dans le bulletin, y compris ceux produits par l’opposition. Cette fonction, qui peut être déléguée par arrêté à un adjoint ou conseiller municipal6 implique une responsabilité pénale pour les délits de presse, notamment en cas de publication d’articles diffamatoires, injurieux ou portant atteinte à l’ordre public. Cela concerne également des propos dépassant le « cadre communal »7 ou « revêtant le caractère d’une propagande électorale »8.
Si ce contrôle est légitimé par la loi pour prévenir les abus, il peut être perçu comme une arme à double tranchant. En effet, des cas de censure abusive, tels que la suppression ou la modification arbitraire des tribunes d’opposition, ont été constatés et sanctionnés par la justice administrative. À titre d’exemple, le Tribunal administratif de Montreuil en 20179 et la Cour administrative d’appel de Marseille en 201910 ont rappelé les limites de ce pouvoir en condamnant des pratiques discriminantes envers l’opposition.
Une pratique soumise au bon-vouloir de la majorité municipale
L’inexistence d’une réglementation précise concernant l’expression de l’opposition dans les bulletins municipaux constitue le point de départ d’une asymétrie marquée entre la parole du maire et celle de l’opposition. En effet, malgré les droits octroyés par la loi de 2002, le maire est souvent érigé en « totem ». Il parle « du haut d’un rôle sacralisé, il parle le premier (éditorial), il parle à tous et au nom de tous, il dit l’intérêt général ». En revanche, l’opposition se voit assigner un rôle marginal et perçu comme perturbateur, incarnant le « messager du malheur », ce qui accentue l’inégalité de leur visibilité11.
Cette asymétrie se renforce par une approche dépolitisée des supports municipaux. Les bulletins municipaux visent fréquemment une présentation consensuelle, cherchant à minimiser les conflits ou désaccords politiques12. Par conséquent, l’opposition est perçue comme une source potentiellement perturbatrice, ce qui justifie, selon les majorités municipales, un encadrement strict de leur expression. Cet encadrement se manifeste concrètement par des rubriques attribuées à l’opposition souvent réduites à leur strict minimum, voire mal intégrées graphiquement. L’agencement des pages et leur présentation visuelle contribuent également à diminuer la crédibilité de l’opposition, par exemple en positionnant leurs propos à côté de sujets considérés comme moins sérieux.
Dans cette optique, des stratégies sont développées pour limiter encore davantage les espaces d’expression de l’opposition. Les majorités municipales adoptent des techniques subtiles mais efficaces, visant à réduire la portée des contributions adverses. Si le contenu critique est parfois toléré, les messages jugés trop conflictuels ou inappropriés sont fréquemment modérés, voire exclus, sous couvert de la responsabilité juridique du maire en tant que directeur de la publication.
Enfin, cette dynamique est exacerbée par la problématique de la proportionnalité. Dans certaines municipalités, l’espace réservé à l’opposition est calculé proportionnellement à leur représentation au conseil municipal. Une telle répartition, bien qu’apparemment équitable, peut en réalité creuser les disparités, en réservant une place infime aux minorités politiques. A contrario, certaines oppositions jugent une répartition proportionnelle inéquitable13, considérant que la définition des périmètres de l’opposition est définie par la majorité. La loi ne prévoit pas d’encadrer la parole de groupes mais bien d’individus élus au travers d’une autre liste que celle arrivée majoritaire à l’issue du second tour des élections14.
L’usage de la participation effective des élus d’opposition dans le bulletin municipal
Mais la stratégie de « cacher » l’opposition n’est pas forcément toujours quelque chose de productif. En effet, en réduisant l’espace de parole de l’opposition, la majorité municipale peut se donner une image de non-respect envers les voix d’oppositions, qui, parfois, peuvent représenter une part importante de la ville. Par le règlement de répartition des sièges, la majorité municipale est souvent surreprésentée dans le conseil malgré une différence dans les scrutins qui peut être minime. De ce fait, la part de la population qui soutient l’opposition peut être assez importante, et, obstruer la pleine communication de l’opposition dans le bulletin municipal, peut créer des tensions avec une partie assez importante de la ville qui peut juger cela non légitime.
De plus, mettre en avant la parole de l’opposition peut être positif. Cela peut représenter un moyen de montrer la négativité de l’opposition et de les discréditer. Comme l’explique Christian Le Bart : « les opposants donnent toujours l’impression de jouer contre leur camp : en dramatisant les problèmes locaux, ils noircissent le territoire ; en critiquant le maire, ils insultent la collectivité que celui-ci symbolise »15. Alors si à chaque tribune l’opposition se montre négative, il est possible qu’une partie de la population s’en détache, jugeant ces derniers trop négatifs, et parfois, par extension, sans attache au territoire qu’ils critiquent perpétuellement. Ceci est d’autant plus vrai dans un bulletin municipal qui présenterait un projet très populaire au sein de la ville, si l’opposition s’illustre en critiquant ce projet, cela peut nuire à leur image, et s’ils acclament ce projet, ils donnent raison à la majorité municipale.
Conclusion
Le bulletin municipal apparaît de fait comme un outil de communication primordial, il assure l’information communale aux administrés et donne à voir une image positive de la ville auprès des citoyens et des acteurs économiques. Aussi, malgré le risque de dépolitisation de ce dernier, la loi encadre une expression de l’opposition municipale qui permet de nuancer les propos rapportés. Si chaque commune peut décider du fonctionnement de son bulletin municipal, il apparaît que les oppositions sont le plus souvent critiques de la place qu’elles peuvent y obtenir. Et si la réponse affirmant que l’expression doit y être proportionnelle à la composition du conseil de la commune peut sembler valable, la règle de l’élection municipale qui offre une prime majoritaire à 50% à la liste arrivée en tête complexifie d’autant plus l’expression d’une opposition non représentative du vote des citoyens.
Oréna CIGAR, Matteo LABRIC, Emmy MARC, Pierre MIROIR (promotion M1 2024-2025)
- À consulter ici : https://une-vision-pour-commequiers.fr/actualite, consulté le 5 décembre 2024. ↩︎
- À l’heure où nous écrivons cet article, le bulletin municipal n’a pas encore été publié. L’affaire est donc à suivre… ↩︎
- Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité (1) – Légifrance. (s. d.). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000593100 ↩︎
- Version en vigueur depuis le 23 mars 2024 : « Dans les communes de 1 000 habitants et plus, lorsque des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal sont diffusées par la commune, un espace est réservé à l’expression des conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale. […] Les modalités d’application du présent article sont définies par le règlement intérieur du conseil municipal.» Article L2121-27-1 – Code général des collectivités territoriales – Légifrance. (s. d.). https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049312989 ↩︎
- Selon l’article 6 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 : « Toute publication de presse doit avoir un directeur de la publication. » Or, en vertu de l’article L.2122-18 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est seul chargé de l’administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal. » Associé, A. (2022, 12 janvier). Le maire, directeur de publication. https://www.courrierdesmaires.fr. https://www.courrierdesmaires.fr/article/le-maire-directeur-de-publication.14352 ↩︎
- Ibid ↩︎
- En vertu de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. ↩︎
- Cela représente une violation de l’article L. 52-8 du Code électoral selon lequel : « Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs. » Les obligations du maire en tant que directeur de publication. (2014, octobre). MAIRES DE FRANCE, 70-71. ↩︎
- Cas a été jugé par le Tribunal administratif de Montreuil le 28 juin 2017 (n° 1705129) concernant une atteinte aux droits de l’opposition municipale dans le bulletin municipal. Landot, É. (2022, 22 avril). L’opposition a voix au chapitre dans le bulletin municipal, mais aussi en ligne. . . Ce dont la majorité peut, également, bénéficier. https://blog.landot-avocats.net/2022/04/22/lopposition-a-voix-au-chapitre-dans-le-bulletin-municipal-mais-aussi-en-ligne-mais-la-majorite-aussi/ ↩︎
- Cas similaire du 12 juin 2019 (n° 18MA04529 – 18MA04530) Landot, É. (2022, 22 avril). L’opposition a voix au chapitre dans le bulletin municipal, mais aussi en ligne. . . Ce dont la majorité peut, également, bénéficier. https://blog.landot-avocats.net/2022/04/22/lopposition-a-voix-au-chapitre-dans-le-bulletin-municipal-mais-aussi-en-ligne-mais-la-majorite-aussi/ ↩︎
- Le Bart, C. (2017). Les bulletins municipaux : Une contribution ambiguë à la démocratie locale. In A. Mercier (Éd.), La communication politique : (Nouvelle édition revue et corrigée) (p. 169‑174). CNRS Éditions. https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.21195 ↩︎
- Stéphanie Wojcik. Le débat en ligne à l’échelle municipale : une dépolitisation sous contrainte ?. Les partis politiques à l’épreuve des procédures délibératives, Presses Universitaires de Rennes, pp.69-85, 2009, ⟨10.4000/books.pur.13375⟩. ⟨halshs-01148882⟩ ↩︎
- La Cour administrative d’appel de Marseille a, ainsi, considéré que « si les espaces alloués aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale par [le] règlement intérieur ne représentent qu’une faible partie de ces publications, les dispositions précitées ne prescrivent pas que ces espaces soient proportionnels au pourcentage de voix obtenu par les groupes d’opposition lors des élections ou au nombre de leurs élus dans l’assemblée municipale ». Cour administrative d’appel de Marseille, 5ème chambre – formation à 3, du 2 juin 2006, 04MA02045, inédit au recueil Lebon. Consulté 5 décembre 2024, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007594119 ↩︎
- Article L2121-27-1—Code général des collectivités territoriales—Légifrance. (s. d.). Consulté 5 décembre 2024, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049312989 ↩︎
- Le Bart, C. (2017), ibid. ↩︎