La communication politique au Parlement européen ou l’art d’être visible dans l’invisible

Entretien avec Hugo Pereira, assistant parlementaire en charge de la communication auprès du député européen François Kalfon.

Au sein du Parlement européen, l’équipe du député européen François Kalfon, comme beaucoup d’autres, fait face à un défi majeur : rendre visibles et compréhensibles des travaux complexes auprès d’un public désintéressé par les affaires européennes. Depuis peu, Hugo Pereira fait partie de ces communicants qui s’efforcent de briser cette bulle européenne[1].

Dans quelle mesure le rôle de communicant au Parlement européen est-il essentiel pour percer la bulle européenne ? C’est la question centrale qui émerge de notre entretien avec un jeune professionnel au cœur des institutions européennes.

À travers cet article, nous explorerons comment les communicants politiques européens relèvent le défi de percer la bulle bruxelloise. Notre analyse s’articulera autour de trois axes majeurs : d’abord, les obstacles qui limitent la visibilité du travail parlementaire européen ; ensuite, les stratégies déployées par Hugo Pereira et l’équipe de François Kalfon pour surmonter ces barrières ; enfin, les outils et canaux mobilisés dans l’objectif de déployer une communication politique adaptée à leurs besoins et objectifs.

Une décision précoce de tourner son parcours vers l’Europe

Hugo Pereira, entouré des étudiants du master 1, au sein du Parlement européen à Bruxelles, 28 janvier 2025.

Le parcours d’Hugo Pereira témoigne d’une volonté précoce de s’engager dans les affaires européennes. Après un baccalauréat économique et social avec option anglais européen, il obtient une licence de droit à l’université de Lille. Déjà convaincu de sa vocation, il s’engage dans un service civique axé sur la promotion de l’engagement des jeunes en Europe. Il poursuit avec un master en droit européen à Tours, comprenant une alternance en deuxième année.

Toutefois, insatisfait par l’aspect théorique de la formation, il décide de partir en Erasmus à Leuven, en Belgique, toujours dans la quête d’une immersion concrète dans l’environnement européen. À son retour en France, il se consacre pleinement à l’association C l’Europe, qu’il préside, et s’investit dans les élections européennes. En septembre 2024, Hugo Pereira intègre le cabinet de François Kalfon, député au sein du groupe européen S&D (PS). D’abord stagiaire chargé de la communication, il devient ensuite assistant accrédité en février 2025.

Ce parcours, très rapidement tourné vers l’Europe, le confronte aujourd’hui à une problématique majeure dans l’institution : comment rendre visible ce qui échappe à l’intérêt du citoyen européen ? Son quotidien en tant qu’assistant le plonge au cœur de ce défi européen.

L’invisibilité médiatique, défi structurel de la communication politique européenne

Les communicants font relativement face aux mêmes obstacles structurels : l’invisibilité médiatique des travaux européens, leur complexité et le fait qu’ils soient jugés par les Européens trop « bruxellois », trop éloignés d’eux. En effet, la communication politique européenne souffre d’un paradoxe. Alors que les décisions prises à Bruxelles et Strasbourg impactent directement la vie des Européens, elles peinent à trouver un écho dans l’espace médiatique national. Une réalité que confirme le jeune assistant parlementaire, reprenant les mots de son député : « On dit souvent que, lorsque l’on est élu député européen, on fait vœu de chasteté médiatique. » Celui-ci assimile cette difficulté à plusieurs facteurs structurels : l’éloignement géographique (« tout se passe toujours à Bruxelles »), le manque d’intérêt médiatique (« on n’est pas invités dans les médias ») et la complexité des sujets européens, difficiles à vulgariser et à rendre attractifs. On peut probablement corréler ce manque d’écho à un sentiment d’appartenance européenne incertain en Europe et particulièrement en France. Malgré une légère progression, près des deux tiers (62 %, +4 points) « des Français se sentent citoyens européens », en « deçà de la moyenne européenne » (72 %)[2].

Nationaliser les enjeux pour accroître la visibilité du travail parlementaire

Face à ces contraintes, l’équipe de communication a dû développer des stratégies spécifiques pour tenter d’accroître la visibilité et l’intérêt pour ces enjeux. En effet, les informations européennes sont souvent reléguées aux rubriques internationales par les médias nationaux.[3] Alors, pour attirer l’attention des Français sur ces sujets, « on est obligé de lier tous les sujets avec des préoccupations françaises contrairement à d’autres pays européens », précise l’attaché parlementaire. Pour remédier à leur aspect abstrait, la communication doit sans cesse contextualiser les débats européens en les rattachant aux problématiques françaises, créant ainsi un discours plus accessible et qui donne l’impression de concerner les citoyens. Cette approche s’inscrit dans ce que Dominique Wolton caractérise comme une « domestication de l’information européenne ».[4]

Cette nationalisation des enjeux s’est, par exemple, particulièrement illustrée lorsque François Kalfon a visité, en tant que député européen, l’aéroport francilien de Roissy-Charles de Gaulle en reliant les enjeux de fret et de transport intégrés dans le Pacte vert européen à la question, très française et nécessairement francilienne, des emplois directs générés par les activités économiques de l’aéroport.[5]

Pour rendre les enjeux européens concrets, l’équipe mise aussi sur des mises en scène locales, comme les déplacements en région relayés sur les réseaux sociaux. Ces actions servent de support pour illustrer le lien entre décisions européennes et réalités françaises.

Parallèlement, pour amplifier cette démarche, l’équipe du député diffuse sur ses réseaux sociaux, notamment Instagram, des courtes vidéos explicatives des sujets européens, notamment à destination des citoyens français. Ces vidéos ont pour but de rendre ces sujets complexes et techniques votés à Bruxelles, abordables et compréhensibles, et de les lier aux priorités et contextes nationaux.

Cette stratégie de nationalisation des enjeux européens permet de les rendre plus concrets en les reliant aux contextes et préoccupations nationales. Pour la mettre en œuvre, l’équipe du député adopte des outils et canaux de communication adaptés, qui permettent une diffusion efficace et ciblée de celle-ci.

Le recours à des outils et canaux adaptés

Le député François Kalfon est présent sur de nombreux réseaux sociaux, certains perçus comme « basiques » (Facebook, Instagram ou YouTube) et d’autres plus récents (TikTok, Bluesky ou Threads). L’objectif principal est de refléter de manière fidèle les actions, les décisions politiques et l’image qu’il souhaite renvoyer. « Certains font tout pour l’audience, sans se soucier de l’image ou du type de politique renvoyée », souligne Hugo Pereira.

Une autre difficulté sur laquelle revient Hugo Pereira est l’organisation de la vie parlementaire européenne avec les variations d’emploi du temps, entre les semaines de plénière à Bruxelles ou à Strasbourg et les diverses réunions en commissions. Cela demande une excellente gestion du temps et des priorités.[6]

Dans un souci d’efficacité, Hugo Pereira et son équipe ont adopté des outils de communication favorisant la rapidité. Canva permet ainsi de créer rapidement des visuels attractifs grâce à des templates préexistants, optimisés pour les formats des réseaux sociaux de François Kalfon. Cette réactivité est essentielle face à une forte concurrence médiatique. Pour TikTok, l’équipe utilise CapCut, un logiciel de montage intuitif, relié à la plateforme, facilitant la mise en ligne. Si la production de contenu est optimisée pour la rapidité, elle demeure néanmoins réfléchie. « Il faut prendre le temps de sélectionner les bons extraits, de les monter de manière logique tout en veillant à ce que la vidéo garde une certaine dynamique. Tout cela prend du temps ! ».

Cette importance accordée aux outils socionumériques n’est pas sans rappeler les observations de Sandrine Roginsky, concernant les communicateurs de l’Europe[7]. En effet, dans son article, elle souligne comment ces professionnels, face à la complexité institutionnelle européenne, développent une expertise technique particulière, centrée sur la maîtrise d’outils numériques. Ce constat trouve un écho particulier dans l’expérience quotidienne d’Hugo Pereira.

Par ailleurs, François Kalfon et ses équipes sont bien conscients que les publics ne sont pas les mêmes selon la plateforme. TikTok est perçu comme un réseau social de divertissement où le député peut espérer toucher un public plus jeune avec des formats courts et plus ludiques, là où LinkedIn, un réseau professionnel, est davantage propice à des sujets de fond qui seront approfondis et détaillés.

En revanche, conscients que les sujets européens ne sont pas des sujets de grande audience qui trouveront leur public sur TikTok, le député et son équipe ont opté pour une stratégie de communication qui prend pour cible primaire les quarantenaires, jugés plus aptes à s’intéresser aux prises de position et aux actions de François Kalfon. Hugo Pereira concède que si le député est sur TikTok, ce n’est pas tant pour engager les jeunes sur des sujets européens, mais plus par nécessité de l’air du temps où une bonne équipe de communication doit désormais être active sur cette plateforme. Il ajoute qu’il connaît les stratégies pour atteindre le million de vues, mais que ce n’est pas nécessairement l’objectif au regard de leur cible.

En somme, malgré la professionnalisation croissante des équipes et l’essor des outils numériques, la communication au Parlement européen reste confrontée à un défi de fond : celui de rendre visible un travail institutionnel souvent perçu comme lointain, complexe, voire invisible. La multiplication des formats, des plateformes et des tentatives de contextualisation nationale ne suffit pas toujours à combler le fossé entre Bruxelles et les citoyens. Pire encore, la tendance actuelle ne laisse guère présager d’amélioration. Selon les données recueillies par la Fondation Jean-Jaurès et Confrontations Europe, la médiatisation des élections européennes a reculé de manière significative entre 2019 et 2024 : le nombre de mentions médiatiques a chuté de 30 %[8] et le nombre d’articles et de sujets diffusés a baissé de 23 %[9]. Ces chiffres suggèrent que, malgré l’importance croissante des enjeux européens, ceux-ci peinent toujours à s’imposer dans les espaces médiatiques nationaux. La communication politique européenne risque donc de rester un exercice à contre-courant, où l’inventivité des équipes se heurte à une faible appétence médiatique et citoyenne pour les affaires européennes.

Solène Dervin, Lou-Anne Glumineau, Marius Grolleron, Loïc Maria, Adam Rauner (promotion master 1, 2024-2025)


[1]  Georgakakis, D. (2011). Don’t throw out the “Brussels Bubble” with the bathwater: From EU institutions to the field of eurocracy. International Political Sociology, 5 (3), pp. 331-334. Cette expression peut être entendue comme l’environnement professionnel immédiat des individus qui travaillent au sein ou autour des institutions européennes.

[2] EUROBAROMÈTRE STANDARD 100, L’opinion publique dans l’Union européenne, Rapport national : France, Octobre – Novembre 2023 (consultable sur : https://france.representation.ec.europa.eu/system/files/2023-12/Standard%20Eurobarometer%20100%20%E2%80%93%20Autumn%202023%20%E2%80%93%20Public%20Opinion%20in%20the%20European%20Union%20-%20France.pdf)

[3] Ce constat est partagé par plusieurs auteurs dans leurs travaux comme Olivier Baisnée (2003), Nicolas Hubé (2005) ou encore Florian Tixier (2014)

[4] Wolton, D. (1993). Naissance de l’Europe démocratique. La dernière utopie, Flammarion. Selon elle, l’information européenne serait reçue et comprise par les citoyens que lorsqu’elle est « traduite » et intégrée dans les cadres nationaux de référence.

[5] « Je visitais ce matin l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, 1er d’#Europe, accueilli par Groupe ADP et Air France, acteurs majeurs du secteur aérien européen… et Francilien ! » https://www.linkedin.com/posts/fran%C3%A7ois-kalfon-mep_europe-fret-pactevert-ugcPost-7288625102584250379-cOk9?utm_source=share&utm_medium=member_desktop&rcm=ACoAADnEePYBiQlPcmqaTvi4YSwLwBO6m1QASdI

[6] Chaque assistant dispose d’un calendrier codé (vert, rouge, orange/bleu) permettant d’organiser les activités et de concentrer les efforts de communication lors des semaines ou des jours critiques

[7] Roginsky, S. (2018). Les communicateurs de l’Europe : des acteurs frontières confrontés à l’hybridité professionnelle et organisationnelle. Communication & langages, 195 (1). Les communicateurs de l’Europe, acteurs frontières évoluant au sein ou en périphérie des institutions européennes, occupent une fonction hybride marquée par la diversité de leurs missions, ce qui facilite leur adaptation à l’hybridité organisationnelle tout en complexifiant leur professionnalisation.

[8] passant de 7 147 à 5 030 UBM (Unité de Bruit Médiatique)
Théo Verdier (2024). Une campagne française.  Étude de la couverture médiatique des élections européenne, Fondation Jean Jaurès – Confrontations Europe,  p. 5. https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2024/05/media-elec-europ.pdf

[9] passant de 4 715 à seulement 3 647. Théo Verdier (2024). Une campagne française.  Étude de la couverture médiatique des élections européenne, Fondation Jean Jaurès – Confrontations Europe,  p. 5. https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2024/05/media-elec-europ.pdf

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