Alors que la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne (PFUE) depuis le 1er janvier 2022, et ce jusqu’au mois de juin, la question de la médiatisation de l’Europe est plus que jamais mise au premier plan. Une difficulté se pose : comment traiter l’actualité européenne lorsqu’on observe dans le même temps une « nationalisation » de l’information ?
Dans cette perspective, le média Le Taurillon a accordé un entretien à la salle 421 pour présenter sa contribution au traitement de l’actualité européenne — ceci lors du cours « Médias et médiatisation de la politique en Europe » dispensé par M. Yohann Garcia, doctorant à l’Université Paris-Est Créteil. Le 17 février 2022, nous avons eu l’occasion de recevoir à l’UPEC Sophia Berrada, étudiante en école de journalisme et rédactrice en cheffe du Taurillon depuis août 2021 et Chérine Zidour, en service civique depuis 4 mois.
Ce média associatif naît des Jeunes européens France (JEF) il y a 15 ans à la suite du référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) de 2005. Avec 300 000 lecteur·ice·s revendiqué·e·s chaque mois[1], il se donne pour mission d’informer et d’analyser l’actualité avec « un angle européen », en partant d’un constat simple : aujourd’hui encore, l’actualité européenne reste appréhendée par un prisme essentiellement national.
« Un jour viendra… Les États-Unis d’Europe »
Afin de contextualiser le positionnement du média, Chérine Zidour et Sophia Berrada nous ont rappelé le discours d’ouverture au Congrès international de la paix de Paris (1849) par Victor Hugo, appelant ainsi à la constitution des « États-Unis d’Europe ». Ce souhait de fédérer les pays européens, partagé par le Taurillon, rejoint aujourd’hui leur envie de sensibiliser à la citoyenneté européenne. C’est aujourd’hui ce qui en fait un média tant pédagogique qu’engagé.
Pour bien comprendre le fonctionnement du Taurillon, il faut savoir que ce média associatif s’appuie sur un comité de rédaction composé de neuf membres. Résolument participatif, toute personne a la possibilité de contribuer à l’écriture d’articles. De cette manière, les contributeur·ice·s peuvent tout aussi bien être étudiant·e·s, chercheur·e·s ou ancien·ne·s journalistes. La particularité de ce média européen est qu’il couvre l’actualité européenne en sept langues : du français, en passant par l’anglais et allant jusqu’au roumain, chacun·e y trouve son compte. Ce média pro-européen fait ainsi entrer en compte une diversité d’acteur·ice·s, tant au niveau de son fonctionnement que de son audience. Le but du Taurillon selon nos deux intervenantes : proposer un contenu dont l’analyse dépasse les cadrages nationaux à un public de citoyen·ne·s européen·ne·s.
Alors, comment se fabrique l’angle européen ? « C’est très large et peut concerner tout ce qui peut se passer au sein de l’espace européen, au sens géographique. En général on choisit une actualité nationale d’un pays autre que la France. On se base aussi sur des statistiques comme Eurostat. Il y a aussi des questions qui se posent dans plusieurs pays, comme l’euroscepticisme qui va faire l’objet d’une série d’articles. Dernièrement, les Pandora Papers qui impliquent plusieurs personnalités politiques européennes ont permis d’interroger l’action de l’Union européenne sur l’évasion fiscale[2][3]… » explique Sophia Berrada, rédactrice en chef.
Une ambition pour l’Europe : dans quelles limites ?
Plus tard dans l’entretien, Sophia Berrada et Chérine Zidour nous ont confié vouloir professionnaliser leurs pratiques journalistiques. Leur projet est de développer la notoriété du Taurillon, afin qu’il obtienne plus de visibilité à l’instar d’autres médias ancrés dans le paysage de l’information paneuropéenne tels qu’Euractiv ou Euronews. Cette ambition se matérialise par le souhait d’améliorer la présence du média en ligne sur les réseaux socionumériques et de collaborer avec d’autres médias. À terme, nos deux intervenantes rêvent d’embaucher un·e premier·e salarié·e, ce qui leur permettrait de pérenniser Le Taurillon en tissant davantage de partenariats ou encore en organisant des formations.
Le Taurillon fait l’expérience de plusieurs constats analysés par des travaux sociologiques. Qu’il s’agisse du faible nombre de correspondant·e·s présent·e·s[4] pour rendre compte des décisions prises au sein des institutions européennes, ou encore d’une faible personnalisation de la vie politique européenne[5], la couverture de l’Europe politique demeure marginale. Dans ces conditions, difficile de parler d’« espace public européen » au sein duquel se produirait une opinion publique éclairée au sens où l’entend le philosophe Jürgen Habermas[6]. Un défi qui anime quotidiennement les membres du Taurillon.
Être bénévole, une opportunité humaine et professionnelle
Pour terminer notre échange, nous voulions savoir ce que Le Taurillon apportait à ses membres, en termes d’expérience et d’ouverture vers le(s) « monde(s) du journalisme ».
De son côté, Sophia Berrada nous a expliqué qu’en bientôt deux ans, ce média avait su répondre à son envie de pallier le manque de traitement de l’actualité européenne à un autre niveau que national. Un « défaut de pratique journalistique » qui selon elle commence dès la formation des futur·e·s journalistes : « Les journalistes sont assez mal formé·e·s sur les questions européennes. Je crois qu’à l’école on n’a eu qu’une matinée sur les institutions européennes, mais le reste de la formation reste très franco-français. C’est un cercle vicieux, déplore-t-elle. Même les profs ne nous encouragent pas à traiter l’information européenne, il faut négocier, c’est une vraie bataille ! » En plus de l’avoir formée à l’écriture journalistique, Le Taurillon lui permet de prendre part quotidiennement à la construction d’une information éclairée sur les questions européennes qu’elle considère comme un enjeu démocratique primordial.
Interrogée sur la trajectoire des autres membres, Sophia Berrada résume : « Il y a deux profils : d’abord ceux issus du monde du journalisme, plutôt minoritaires. Il y en a pas mal qui viennent des affaires européennes. Et puis il y a les “alumni”, les anciennes et les anciens pour qui Le Taurillon a servi de catalyseur et qui sont aujourd’hui chez POLITICO ou Contexte (affaires réglementaires). On a aussi un ancien de chez nous qui est maintenant journaliste chef du service Europe de Ouest-France. »
Quant à Chérine Zidour, coordinatrice du média dans le cadre de son service civique, cette expérience est un moyen de prendre part à une rédaction et de faire découvrir l’Europe sous un autre prisme que celui des institutions européennes par la création de volets documentaires sur l’art et le photojournalisme. Elle souligne particulièrement les opportunités offertes par le média qui lui a permis de rencontrer et d’interviewer une multitude d’acteur·ice·s sur des sujets lui tenant à cœur. « Chaque semaine il y a la plénière du Parlement européen. Quand on est en salle de presse, il y a très peu de journalistes. On est l’un des rares médias à couvrir les plénières du Parlement européen, même si c’est un rendez-vous important. Avec Le Taurillon, j’ai eu la chance de rencontrer et d’échanger avec beaucoup de personnes. Par exemple l’eurodéputée Fabienne Keller que j’ai interviewée en Zoom pour faire un article sur la situation à la frontière du Belarus[7] ou la captivante traductrice Marie Vrinat-Nikolov pour un entretien poétique autour de son métier[8]. Prochainement, je vais aussi lancer une série sur le photojournalisme avec l’interview d’un photographe de l’agence Magnum ! »
Le Taurillon a, finalement, un rôle « catalyseur ». Au-delà de l’expérience personnelle, il façonne les parcours et offre de nouvelles perspectives professionnelles à ses membres. Ces éléments ne sont pas sans rappeler les observations de Florian Tixier qui a consacré une thèse à l’univers journalistique européen et s’est intéressé tant à ses acteur·ice·s qu’à leurs pratiques sociales[9]. Analysant le journalisme participatif à travers des médias tels que Le Taurillon, MyEuropInfo, Europe&Me ou encore Cafébabel Bruxelles, le chercheur met en évidence le rôle socialisateur de ces instances dont certaines constituent de véritables « tremplins » au sein d’autres arènes influentes, comme l’arène politique bruxelloise.
Compte-rendu rédigé par Sara Khettabi et Julie Kluge
Promotion du M1 Communication politique et publique (2021-2022)
[1] « À propos », Le Taurillon [en ligne]. Disponible sur : <https://www.taurillon.org/a-propos-5493>. URL consultée pour la dernière fois le 8 avril 2022.
[2] Zidour, C. (2021), « Pandora papers : un nouveau scandale financier pour l’Union européenne » [en ligne], Le Taurillon, publié le 19/11/2021. Disponible sur : <https://www.taurillon.org/pandora-papers-un-nouveau-scandale-financier-pour-l-ue>. URL consultée pour la dernière fois le 8 avril 2022.
[3] Thévenot, A. (2021), « Pandora Papers : une fuite financière qui éclabousse l’Europe et ses représentants » [en ligne], Le Taurillon, publié le 22/11/2021. Disponible sur : <https://www.taurillon.org/pandora-papers-une-fuite-financiere-qui-eclabousse-l-europe-et-ses>. URL consultée pour la dernière fois le 8 avril 2022.
[4] Baisnée, O. (2003). 3. Une actualité « invendable ». Les rédactions françaises et britanniques face à l’actualité européenne. In G. Garcia & V. Le Torrec, L’Union européenne et les médias. Regards croisés sur l’information européenne, p. 47-53.
[5] Hubé, N. (2003). 4. L’Union européenne à la « Une ». Un cadrage difficile d’une actualité peu visible. Regard comparé sur la presse française et allemande. In G. Garcia & V. Le Torrec, L’Union européenne et les médias. Regards croisés sur l’information européenne, p. 67-89.
[6] Habermas, J. (1962), L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’allemand par M. B. de Launay, Paris, Payot, 1993.
[7] Zidour, C. (2021), 5e volet de sanctions pour la Biélorussie : jusqu’où l’UE devra-t-elle aller ? [en ligne], Le Taurillon, publié le 20/12/2021. Disponible sur : <https://www.taurillon.org/5eme-volet-de-sanctions-pour-la-bielorussie-jusqu-ou-l-ue-devra-t-elle>. URL consultée pour la dernière fois le 8 avril 2022.
[8] Zidour, C., Yané, C. (2022). « Marie Vrinat-Nikolov : “Ce que je cherche à transmettre, c’est l’imaginaire et la musique portés par une écriture”» [en ligne], Le Taurillon, publié le 11/01/2022. Disponible : <https://www.taurillon.org/marie-vrinat-nikolov-ce-que-je-cherche-a-transmettre-c-est-l-imaginaire-et>. URL consultée pour la dernière fois le 8 avril 2022.
[9] Tixier F. (2019). Incarner l’Europe dans et par les médias. Les militants d’information européenne et la construction d’un monde transnational du journalisme européen. Thèse de doctorat : Université Libre de Bruxelles/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.