Depuis mars 2019, des manifestations de masse réunissent une partie des Hongkongais opposés à l’ingérence du gouvernement central de Pékin. Elles ne sont pas sans rappeler le mouvement social de 2014 connu sous le nom de « Révolte des Parapluies », déjà analysé sur ce blog. A cette différence près que ce n’est pas la loi électorale, mais un amendement proposé par le gouvernement chinois qui est en cause : le Fugitive Offenders Amendment Bill. Selon les responsables des manifestants et des mouvements qui défendent les droits de l’homme, il s’agirait d’une nouvelle ingérence chinoise à Hong Kong, puisque rien n’empêchait le gouvernement chinois d’utiliser cet amendement pour demander l’extradition de tout citoyen hongkongais, en particulier des dissidents du régime communiste. En conséquence, les manifestants ont commencé à occuper les places à partir du mois de mars. Il s’agissait initialement de manifestations modestes et pacifiques ayant pour seul but de demander la révocation de l’amendement d’extradition. Avec le temps, on a pu observer une augmentation exponentielle de la violence à la fois par les manifestants et les forces de l’ordre. Les manifestations ont continué même lorsque, le 15 juin, Carrie Lam, gouverneur de Hong Kong, a annoncé la suspension de l’amendement.
Ce mouvement a suscité l’intérêt et un soutien de beaucoup de médias français, de gauche comme de droite, qui lui ont offert une importante couverture médiatique. C’est l’un des premiers paradoxes de l’événement : les actualités étrangères sont rarement – et de moins en moins – traitées avec autant d’attention par les journalistes. Le second paradoxe concerne le la nature de ce traitement par les médias français, toutes tendances politiques confondues, au sujet de ces évènements. En effet, on a affaire à des mobilisations utilisant un répertoire d’action – émeutes urbaines et confrontation directe avec les forces de l’ordre – et des revendications – autour du déficit démocratique et des droits de l’homme – qui ne sont pas sans rappeler des mouvements hexagonaux récents, dont le traitement médiatique a été pourtant sensiblement différent. Le consensus journalistique autour de la révolte de Hong Kong revêt donc un caractère d’étrangeté qui mérite une analyse. Comment expliquer ce traitement journalistique relativement abondant et consensuel ?
Les journalistes français entre information et soutien
La première caractéristique du traitement médiatique de ces événements est que l’on remarque tout d’abord un effort « pédagogique » de la part des rédactions de presse. En effet, les journalistes partent du postulat selon lequel les lecteurs français ont une connaissance assez faible de l’histoire chinoise ainsi que de la particularité de Hong Kong. Ceci explique pourquoi les journalistes commencent pas retracer les évènements structurants de la République populaire de Chine. S’ajoute à cet effort, le compte rendu de la mobilisation par des envoyés spéciaux présents sur le terrain. En effet, les rédactions font suivre les affrontements entre manifestants et force de police par des journalistes sur place qui renseignent le public sur l’avancement de la mobilisation.
Les manifestations d’Hong Kong sont ainsi largement traitées par la presse française. On remarque un consensus chez les médias français sur le caractère démocratique de cette manifestation face à un pouvoir répressif. On remarque ainsi une sympathie et un soutien généralisé des médias français envers les protestations d’Hong Kong.
Dans l’analyse de notre corpus de presse, nous notons que les journalistes utilisent une terminologie positive en référence aux manifestants dès les premières lignes, étant donné qu’ils sont qualifiés de « manifestants démocratiques ou pro-démocratie ». En outre, le langage utilisé suggère que les actions des manifestants contre la police et le gouvernement sont légitimes. Par exemple, on peut lire : « Des manifestants masqués défient le pouvoir[1] », en référence aux grandes manifestations qui ont eu lieu à la suite de l’interdiction d’utiliser des masques lors de manifestations de rue, ou « sauver Hong Kong de la tyrannie[2] » pour indiquer la nécessité de manifester pour éviter la dérive autoritaire à l’égard de l’exception du système de Hong Kong . Dans le même temps, il convient de noter que les manifestants ont beaucoup d’espace dans la presse pour expliquer leurs raisons et leurs expériences avec des interviews[3] et des approfondissements, tandis que les sources gouvernementales et les forces de l’ordre disposent généralement de moins d’espace. Les protestataires sont parvenus à s’imposer comme « définisseurs primaires » de l’événement aux yeux de la presse occidentale, pour reprendre le concept de Stuart Hall.
Dans ce contexte, les articles où sont décrites les violences des manifestants sont vraiment isolés, habituellement on parle seulement des manifestants qualifiés de « radicaux » pour les différencier de l’ensemble du mouvement, mais la violence exercée par la police est particulièrement mise en exergue. Le journal Le Monde[4], par exemple, publie un article complet pour enquêter sur les violences policières contre les manifestants Mais au-delà des scènes de violence explicite, les journaux évoquent également les techniques plus incidieuses utilisées par le gouvernement honkongais pour dissuader les citoyens de participer aux manifestations, telles que la reconnaissance faciale utilisée par la police, et le risque que les manifestants perdent leur emploi ou soient emprisonnés. Ce premier constat montre que les médias tendent à privilégier une approche mettant en exergue la lutte pour les droits revendiqué par les manifestant au dépit d’une approche « law and order » privilégié lors du sujet des gilets jaunes.[5]
Ramener les prises de positions journalistiques aux positions professionnelles et sociales des journalistes n’épuise pas l’analyse des effets propres de la réalité et de la spécificité du mouvement à Hong Kong sur leurs entreprises de définition et sur leurs luttes pour imposer un sens « légitime » à cet événement. Selon Patrick Champagne, l’événement pour les journalistes constitué comme information[6] qui est en train de (ou que dans l’avenir va) se passer et qui, sur le moment, est considéré par les journalistes comme assez important pour faire l’objet d’une présentation individuelle, singulière et valorisante, très souvent un dossier « évènement », dans ce cas des manifestations de « Hong Kong ». Les manifestations à Hong Kong ont aujourd’hui le statut « d’événement médiatique », au sens où ils s’apparentent à une réalité dont on ne peut pas ne pas traiter dans les journaux. Comme le souligne Sandrine Lévêque à propos du traitement journalistique des manifestations de novembre-décembre 1995 en France, « les routines journalistiques conduisent alors dans des logique de répétition, à privilégier ce qu’ils connaissent déjà »[7]. A ce titre, une manifestation contre l’amendement de la loi d’extradition par le gouvernement relève de faits déjà traités et surtout habituellement traité par les journalistes .
En analysant le traitement des manifestations de Hong Kong par les médias français, il est utile de faire une comparaison avec d’autres manifestations qui se déroulent en France, en particulier celles des Gilets Jaunes, étant donné les similitudes intéressantes à considérer. Tout d’abord, ces manifestations sont nées et ont été structurées pareillement, même si, dans des contextes bien différents, le mouvement hongkongais est né avant tout pour défendre l’intégrité et la démocratie honkongaise menacée par le pouvoir écrasant de République de Chine, alors que les Gilet Jaunes sont un mouvement de protestation né pour s’opposer à la hausse des taxes sur les carburants et militer plus généralement pour un approfondissement démocratique de nos institutions. Mais en général, les deux mouvements réclament plus de démocratie et des modes d’action très similaires : manifestations de rue, affrontements avec la police… On pourrait donc dire qu’il y a un paradoxe dans la mesure où, malgré ce parallélisme, la presse française continue d’encenser les manifestants d’Hong Kong, définis comme des « combattants de la liberté et de la démocratie » tout en ne faisant pas la même chose avec les Gilets Jaunes étaient souvent décrit péjorativement par des termes comme « casseurs[8]« . Les raisons de ce paradoxe se trouvent dans des différences importantes: tout d’abord, les pratiques de la police de Hong Kong sont beaucoup plus violentes et brutales, à tel point qu’elle a également utilisé des balles réelles pour disperser les manifestants. Le deuxième point concerne le contexte géopolitique: la France reste perçue comme une démocratie et un État de droit, tandis que Hong Kong traverse une phase d’ingérence politique lente de la Chine, passant de la démocratie à l’autoritarisme.
Un large part du traitement médiatique des manifestations d’Hong Kong, la plus « visible » en France, a concerné les différentes manifestations qui se sont déroulées pendant cette année. Une autre partie a concerné le traitement médiatique des événements par les médias chinois et leur silence à l’égard des manifestations.
Circulation et traitement de l’information
Sur les réseaux sociaux chinois, la recherche des mots « manifestations à Hong Kong » ne mène qu’aux communiqués du ministère chinois des Affaires étrangères qui les ont qualifiées d’ « émeutes»[9] ou de « comportement qui met en péril la paix et la stabilité à Hong Kong ».[10] Les photos de manifestants, les vidéos de violence policière sont invisibles sur les réseaux sociaux en Chine. Des sites américains comme Twitter et Facebook, accessibles à Hong Kong, qui jouit encore d’un statut semi-autonome, sont bloqués en Chine continentale. Les strictes mesures de sécurité et la censure d’internet rendent l’accès à l’information sur les manifestions plus ardu pour les manifestant. Cela constitue un frein à l’organisation de l’action collecitve.
Pour mieux comprendre les enjeux politiques et médiatiques du mouvement, on peut revenir au livre de Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent, qui propose un modèle fondé sur la distinction entre cinq classes générales de filtres qui déterminent le type d’information présenté dans les médias à propos de l’actualité internationale. Le troisième filtre est le plus évident dans cet événement car les médias doivent produire un flux permanent de nouvelles.[11] Les principaux fournisseurs de nouvelles sont les services de presse des gouvernements ou des grandes entreprises. Ces sources ont le mérite d’être reconnues en raison de leur statut mais il est intéressant d’observer que les médias français n’ont pas pris les déclarations et les nouvelles autorisées par le gouvernement chinois car elles sont considérées comme incomplètes et soumise au contrôle et à la manipulation du pouvoir.
La question de Hong Kong est complexe à traiter à la fois par les médias français, car il s’agit d’un État avec une histoire particulière, qui dans de nombreux cas est mal connue par le public français. La particularité de Hong Kong réside dans son statut autonome, qui décide formellement de ses propres lois. Ces derniers temps, il subit une ingérence de la part du pouvoir central. Cette mobilisation pourtant éloignée s’est imposé en tant qu’événement d’actualité dans le champ médiatique français. Cela s’explique car il reprend les codes, les modes d’action et les sujets faisant écho à des événements appartenant à la grille d’analyse utilisé par les médias français.
Noé Soula, Davide Sereni et Alejandra Reyes Molina (promo 2019-2020)
[1] DE CHANGY F., 2019, «A Hongkong les manifestants masqués défient le pouvoir», Le Monde. Il faut la date précise SVP et mettre le nom du journal en italiques
[2] Afp,2019, « Hong Kong: les manifestants maintiennent la pression, la mobilisation se poursuit», Libération
[3] SCHAEFFER F., 2019, « Il y a un sentiment de désespoir chez les jeunes », Les Echos
[4] DE CHANGY F., 2019, « Le rôle de la police en accusation à Hongkong», Le Monde date précise
[5] Neveu Erik. Médias, mouvements sociaux, espaces publics. In: Réseaux, volume 17, n°98, 1999. Médias et mouvements sociaux. pp. 17-85
[6] CHAMPAGNE, P., 2000, « L’événement comme enjeu », Réseaux., n° ?, p. 403-426. Vous n’avez toujours pas indiqué le numéro de la revue
[7] LEVEQUE, S. 1999, « Crise sociale et crise journalistique. Traitement médiatique du mouvement social de décembre 1995 et transformation du travail journalistique ». Réseaux, 98(7), 87-117.
[8] ANDRE’ J., 2019, «Pourquoi les ultras hongkongais ne sont pas les black blocs français», Le Point.fr
[9] Immense marée humaine pour défendre les libertés de Hong Kong https://www.lesoleil.com/actualite/monde/immense-maree-humaine-pour-defendre-les-libertes-de-hong-kong-e3539b0033813baa3f4e9f3e0b0cdeb7
[10] Manifestations à Hong Kong : le silence des médias chinois, Les Echos, 16/06/19 https://www.lesechos.fr/monde/chine/manifestations-a-hong-kong-le-silence-des-medias-chinois-1029576
[11] HERMAN E. S. et CHOMSKY N, La Fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, Agone, 2008.