Compte rendu de DESRUMEAUX Clément et LEFEBVRE Rémi (dir.), « Faire campagne », Politix, n° 113, 2016.
Les campagnes électorales sont loin d’obéir à un modèle uniforme et la revue Politix nous propose un panorama instructif : qu’il s’agisse des acteurs impliqués, des lieux ou encore des événements qui les composent, chaque article apporte des éléments singuliers qui mettent en lumière des aspects souvent méconnus des campagnes électorales à travers le monde.
La revue Politix propose dans l’une de ses livraisons de 2016 des regards croisés sur les évolutions observées dans la conduite des campagnes électorales en France et à l’étranger. Dans l’article d’introduction de ce dossier, Clément Desrumeaux et Rémi Lefebvre expliquent que selon le contexte, les façons de faire campagne diffèrent, et de nombreux facteurs sont pris en compte pour opérer des choix techniques. Le “choix des armes” se fait notamment en fonction d’une structuration historique et sociologique, et pas seulement en vertu d’une évolution technologique comme il est courant de le penser.
Les techniques électorales évoluent en effet dans le temps, et les chercheurs veulent décrire ces évolutions et en déterminer les causes. Selon Pippa Norris, les changements dans les manières de faire campagne sont induits par les évolutions technologiques. Elle classe ses résultats en trois grands groupes : les campagnes prémodernes, les campagnes modernes, fondées sur la télévision et l’apparition des sondages, et les campagnes postmodernes, auxquelles s’ajoute notamment l’utilisation d’internet. Toutefois ses travaux sont assez largement discutés par les contributeurs de ce dossier de la revue Politix. Tout d’abord, des questions subsistent : pourquoi les acteurs politiques préfèrent-ils user de certaines méthodes au détriment d’autres pratiques ? Comment est-il possible que des techniques que l’on pensait obsolètes ou au contraire indispensables soient remises au goût du jour, ou bien totalement délaissées subitement ? Comment expliquer que certaines méthodes soient utilisées par des groupes d’acteurs politiques totalement différents, et qu’elles circulent dans le temps et l’espace ?
C’est précisément pour dépasser une analyse simpliste et évolutionniste que les chercheurs ont constitué le dossier “Faire campagne”. Ils mettent en lumière, pour y répondre, une notion abordée par Charles Tilly, celle des répertoires d’actions, et en l’occurrence, des « répertoires de campagne ». Nous verrons, grâce à l’étude des articles qui composent ce dossier, que ces répertoires sont mobiles : ils évoluent, se transforment, circulent et même s’échangent entre les différents acteurs qui mènent une campagne. L’article de Sébastien Vignon démontre ainsi que l’urbanisation d’une zone rurale et les changements démographiques qu’elle apporte nécessitent une révision du mode opératoire mobilisé pour atteindre les électeurs. Clément Desrumeaux et Camille Goirand ont choisi tous deux d’enquêter sur des pratiques étrangères et la manière dont elles sont influencées par les cultures partisanes en présence. Rémi Lefebvre, lui, s’est attaché à décrypter de quelle façon les « Bostoniens » sont parvenus à moderniser le porte-à-porte au sein du Parti Socialiste, tendant à faire de cette pratique traditionnelle un mode opératoire où le management et l’expertise prennent le pas sur la politisation. Enfin, l’article écrit par Julie Gervais et Guillaume Courty s’intéresse à une catégorie de professionnels souvent oubliée quand on aborde la notion de campagne : les groupes d’intérêt. Cette étude cherche à mettre en lumière les raisons pour lesquelles certains lobbyistes connaissent un meilleur succès que d’autres dans leurs sollicitations auprès des candidats politiques.
Dans l’article « La modernisation du porte-à-porte au Parti Socialiste : réinvention d’un répertoire de campagne et inerties militantes », Rémi Lefebvre étudie la manière dont la nouvelle forme de porte-à-porte importée des États-Unis par les « Bostoniens »[1] durant la campagne présidentielle de 2012 arrive à s’imposer alors qu’elle bouleverse les traditions, et il nuance cette réussite par les résistances et limites qui s’imposent au projet des trois communicants. Pour cela, Rémi Lefebvre utilise notamment des entretiens avec les Bostoniens et avec des cadres du Parti Socialiste. Il se fonde aussi sur l’observation du fonctionnement des fédérations, et sur l’analyse des kits distribués aux militants.
Avec cette étude, Rémi Lefebvre en arrive à la conclusion que le trio de conseillers réussit à moderniser le porte-à-porte en mobilisant simultanément plusieurs techniques, et en imposant des méthodes managériales aux fédérations. Ces méthodes s’appuient sur des formations militantes, des kits explicatifs pour réaliser un porte-à-porte efficace et des outils numériques de mesure de l’avancée de la campagne. La campagne de 2012 est une sorte de test et sert de terrain d’expérimentation aux Bostoniens pour prouver que les stratégies américaines peuvent aussi s’appliquer en France. L’idée était alors que si les résultats chiffrés de cette étude se révélaient positifs, alors ce porte-à-porte moderne pourrait être reconduit de manière légitime, car son efficacité aurait été étayée et prouvée. Les trois communicants s’appuient par ailleurs sur une forte médiatisation de leur action : partout en France, la presse est conviée à suivre les militants dans leur cheminement. L’effet recherché est de montrer une équipe soudée et de motiver les militants.
Pourtant, ils doivent faire face à des difficultés : certains cadres historiques du Parti Socialiste se dressent contre une « ingérence managériale », et refusent d’utiliser les outils mis à leur disposition, pour deux motifs. Ils ne tolèrent pas l’idée d’être surveillés, et sont opposés à la mise en concurrence des sections, prévue pour augmenter leur productivité. Les résultats chiffrés récoltés sont donc biaisés par la participation inégale des différentes sections à la collecte des données relatives aux sessions de porte-à-porte.
L’autre problème que décèle Rémi Lefebvre est la différence de nature entre le porte-à-porte américain et le porte-à-porte français : outre-Atlantique, cette technique tend plutôt à entrer en contact avec les électeurs et identifier leurs caractéristiques pour ensuite pouvoir leur envoyer une communication ciblée : c’est ce qu’on appelle le canvassing. En France, le porte-à-porte est une méthode traditionnelle ancrée dans les pratiques des sections, dont chacune possède une recette spéciale, mais dont l’objectif est le même à chaque fois : faire passer le message politique directement pendant la rencontre avec l’habitant. Dans ces deux approches, la différence se situe donc au niveau de la politisation de la pratique : en France, les militants doivent s’approprier un discours et être en mesure de tenir un argumentaire pour convaincre un électeur, en Amérique, les participants au porte-à-porte sont plutôt des “petites mains”.
L’auteur conclut sur le fait que l’effet de science a bien été produit, car des données ont été récupérées, mais elles ne sont que peu probantes car disparates, et biaisées par un refus de participation de la part de certaines sections. Le cœur de l’étude tend donc plus à démontrer comment on peut réformer et opérer un changement en profondeur d’une activité de campagne traditionnelle et par quelles méthodes, plutôt qu’à évaluer l’efficacité de cette activité modernisée.
Chercheur à l’université d’Amiens, Sébastien Vignon travaille sur divers champs d’études concernant la mobilisation électorale, les comportements électoraux et la construction des rôles politiques. Il déplore que la ruralité apparaisse comme un “angle mort scientifique” dans les études de campagnes électorales : nombre de chercheurs ne s’intéressent pas à ce sujet, car le degré d’interconnaissance inhérent aux milieux ruraux implique un contrôle social plus fort et plus tangible qu’en ville, et a pu suggérer que l’étude de leurs évolutions n’était pas intéressante.
Or, dans son texte « Des maires en campagne. Transformations des répertoires de mobilisation électorale et des registres de légitimité politique dans les mondes ruraux », Sébastien Vignon observe précisément des transformations dans les comportements de campagnes des candidats en milieu rural. Il met ainsi en relation le phénomène de périurbanisation et de recomposition sociale des zones rurales, avec l’émergence de nouveaux modes de campagnes. Ceux-ci seraient notamment liés à de nouvelles attentes émanant de populations urbaines récemment installées. Il se demande donc quels sont les moyens et les stratégies mis en œuvre par les maires ruraux pour se faire élire ou réélire. Pour mener son étude Sébastien Vignon cible les communes de moins de 3 500 habitants en Picardie ; au lendemain du 2e tour des municipales de 2014, il a envoyé un questionnaire à chaque maire. Il utilise les réponses à ces questionnaires et les compare à des questionnaires similaires envoyés en 2001. Il procède ensuite à une typologie des communes étudiées, qu’il va organiser en zones afin d’étudier les récurrences de certaines aires géographiques. Il porte aussi une attention particulière au matériel de campagne. Enfin il s’appuie sur quinze entretiens menés avec des maires ruraux de la zone étudiée.
Sébastien Vignon constate des évolutions dans les différentes méthodes pour capter les suffrages, mais aussi un glissement de la légitimité mayorale, qui évolue sensiblement, en raison de l’arrivée de nouvelles populations. L’auteur apporte plusieurs réponses à la question qu’il pose en début d’article. La périurbanisation modifie les façons de faire, au point que l’auteur peut évoquer une « reconstruction des transactions électorales » ; les populations des zones périurbaines ayant tendance à augmenter, les interactions avec les électeurs sont moins personnalisées qu’elles ne l’étaient lors des précédents scrutins. Dans le but de capter les suffrages de cette nouvelle population et de répondre à ses attentes, il souligne une certaine professionnalisation des dispositifs électoraux.
L’auteur apporte dans cet article un éclairage intéressant et trop peu présent dans la recherche en sciences politique, concernant les méthodes de campagne en milieu rural et particulièrement sur les transformations qu’elles subissent. On peut cependant regretter dans cet article l’absence d’analyse des élections périphériques qui se tiennent dans ces régions et dont les dynamiques sont liées aux mêmes territoires, comme les élections cantonales ou les élections intercommunales. Une étude de l’impact de la loi NOTRe serait aussi la bienvenue, notamment sur les aspects concernant la modification des constitutions de listes et des modes de scrutins.
Dans l’article « Une approche configurationnelle des styles de campagne. Les mobilisations électorales législatives en Grande-Bretagne (1997-2005) », Clément Desrumeaux évoque le sujet dont il est spécialiste : maître de conférences en sciences politiques à Lyon 2, il travaille principalement sur les campagnes électorales, partis et mobilisations politiques. Ce texte décrit, de manière précise, les façons dont se distinguent différents types de campagnes électorales menées en Grande-Bretagne. Pour cela il se base sur près de 3 000 documents : des archives financières, journalistiques, privées, ainsi que les résultats d’entretiens semi-directifs qu’il a menés auprès de candidats, agents électoraux et journalistes.
Il commence par analyser les différences entre les campagnes à travers la notion de la « force au jeu », concept introduit par Norbert Elias, sociologue allemand. Cette force au jeu est la capacité à dominer le jeu, ici politique, en influant notamment sur les règles de celui-ci. Cette influence, dans le cadre du jeu politique, dépend du statut du candidat, à savoir sa motivation, ses études, ses relations… et elle détermine la circonscription où le candidat sera envoyé pour faire campagne.
Ensuite Clément Desrumeaux propose à ses lecteurs une vision concrète de ce qu’il explique. Il décrit comment le contexte dans lequel le candidat politique fait campagne influence sa façon de procéder. Ainsi un candidat qui fait campagne dans une circonscription qu’il pense gagnée d’avance se comporte en candidat « oligarque ». Ces candidats ont souvent un parcours politique local antérieur, beaucoup de ressources humaines et financières, et ont un avantage énorme par rapport à leur concurrent. Apparaissant comme le candidat « naturel » du parti, ils sont choisis à l’avance et ont le privilège de mener une campagne longue et réfléchie. Ces campagnes sont souvent peu médiatisées car l’imprévu n’est pas au programme. Cette analyse montre l’importance et l’influence du parcours professionnel d’un candidat : les partis font confiance au candidat qui, ayant déjà travaillé en politique locale, leur apparaîtra comme ce candidat « naturel ». Celui-ci mène campagne avec toutes les ressources nécessaires, et il gagne sans surprises.
Sur un terrain considéré comme « perdu d’avance », les campagnes sont plus vivantes car on y envoie souvent des candidats qui veulent en profiter pour se démarquer et lancer leur carrière politique. Ce sont généralement des candidats peu entourés et disposant de peu de moyens. Enfin certaines circonscriptions sont imprévisibles, et c’est là qu’ont lieu les campagnes les plus dures et les plus médiatisées. Ces campagnes concurrentielles sont souvent menées par des candidats sortant de grandes universités, ou ayant déjà eu une expérience dans la communication. En effet elles sont largement imprévisibles et doivent être menées par de véritables orateurs. Il n’est d’ailleurs pas rare que la justice intervienne pour des faits de diffamation, ce qui traduit une forte conflictualité des échanges.
Ce texte assez complet analyse donc les logiques qui construisent un candidat, et ce dès le début de sa carrière. Il explique également comment se créent les relations d’interdépendance qui existent entre le candidat et le terrain sur lequel il sera envoyé pour faire campagne, puisque rien n’est dû au hasard. Chaque candidat est choisi pour un contexte de campagne bien précis, et donc pour un terrain, une circonscription donnée. Facile d’accès et très concret, ce texte propose un réel état des lieux du paysage électoral britannique actuel.
Dans leur article « Les représentant.e.s d’intérêt et la campagne présidentielle de 2012. Rapports au politique et formes de coopération avec les candidat.e.s », Guillaume Courty et Julie Gervais étudient pour leur part le comportement, les actions ainsi que la sociologie des groupes d’intérêt à l’œuvre durant l’élection présidentielle de 2012.
Dans un premier temps, les chercheurs entreprennent de catégoriser les différents acteurs. Ils notent que les groupes représentés sont variés : associations, ONG (qui parlent de plaidoyer plus que de lobbying, notamment pour des raisons d’image) ou des entreprises. Les auteurs montrent ensuite que les périodes d’action des groupes d’intérêt sont, elles, assez semblables : elles se situent principalement durant les élections présidentielles. Durant cette période électorale, ils mettent également en évidence deux types de carrières au sein des groupes d’intérêt. Le pôle « communicants » est assez jeune, international, souvent novice en politique. Ces profils sortent pour la plupart d’école de commerce, d’ingénieur ou de journalisme et débutent dans la vie professionnelle. Avec la création de filières d’études spécialisées en lobbying et en représentation des intérêts, l’effectif de cette catégorie tend à augmenter. Le second pôle est celui des professionnels de la politique : ils ont une expérience dans le monde politique et proviennent majoritairement de filières de droit ou de sciences politique. Ils sont semblables en tout point aux hommes politiques. « Ils partagent une conception du métier orientée vers le champ politique et travaillent davantage avec et sur les institutions ».
Dans un second temps les auteurs mettent en lumière les deux principales actions de ces représentants d’intérêt : les courriers adressés à un candidat et la réalisation d’évènements et conférences. Les auteurs relèvent surtout que ces représentants sont « inégaux.ales devant la campagne ». En effet, 89,1 % d’entre eux n’obtiennent pas de réponse, 60,1 % des demandes de rencontre n’ont pas été honorées et seulement 29,7 % de ceux qui ont envoyé quatre documents ont obtenu une réponse. La façon dont les candidats reçoivent ces demandes de la part des représentants d’intérêt est ensuite abordée. Dans le cas de François Bayrou, c’est un « « pôle études », animé par des « plumes » et placé sous la responsabilité́ du directeur de cabinet qui était au centre du traitement des demandes reçues par le candidat ». Les auteurs utilisent cet exemple pour confirmer la porosité entre le monde politique et les groupes d’intérêt. Ils montrent que les acteurs présents dans les groupes d’intérêt sont aussi ceux du monde politique, révèlent « l’importance du tropisme politique » et remarquent que les carrières des représentants d’intérêt sont directement liées aussi bien aux succès électoraux qu’aux défaites ; en effet une fois le candidat éliminé il n’est pas rare de voir une partie des membres de son équipe rejoindre des groupes de représentants d’intérêts.
Cet article se montre assez critique envers l’état de la recherche sur les élections ainsi que sur les groupes d’intérêt. Les auteurs militent pour une vision plus large du rôle des représentants d’intérêt et invitent à prendre en compte le fait que les acteurs concernés sont affectés par certaines contraintes du monde politique comme l’agenda, les auteurs parlant ici de « subordination structurale ». Dans cet article, Guillaume Courty et Julie Gervais proposent donc un état des lieux de la recherche sur le sujet des représentants d’intérêts tout en indiquant les points manquants dans les études de leurs collègues et en réalisant une analyse sociologique de la profession ainsi que la démonstration d’un véritable lien entre les représentants d’intérêt et le personnel politique.
Dans « Le ‟PT LIGHT” en campagne. L’institutionnalisation du Parti des Travailleurs (Brésil) vue depuis ses campagnes électorales, 1980-2010 », Camille Goirand, professeure à Paris III et spécialiste de la politique au Brésil, où elle a travaillé de 2001 à 2012, montre la distance qui s’est installée entre le parti et sa base électorale.
Le « PT light » désigne par un jeu de mots qui fait référence aux sodas : l’« édulcoration » du Parti des Travailleurs brésilien. L’article vise donc à comprendre quelles mutations ont accompagné l’élargissement progressif de l’électorat dit « pétiste », depuis sa création au début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, en passant par le succès présidentiel de Lula en 2002. L’étude diachronique est permise par plusieurs études successives sur les campagnes entre 1994 à 2010. Son ancrage à Recife, qui n’est pas une ville historique du parti, permet de démontrer que « l’édulcoration » du PT n’est pas uniforme et s’accorde aux situations locales. L’auteure tente aussi de distinguer les points de vue des militants de celui de l’organisation, en se démarquant de la majorité des travaux effectués sur les campagnes électorales au Brésil, concentrés sur leurs effets sur le vote. Goirand s’appuie sur les témoignages de membres du PT, l’observation de trois meetings de lancement de campagne de candidats travaillistes à des mandats législatifs (non concurrents), en 2010, et sur l’étude iconographique, avec une comparaison des affiches des campagnes de 1980 et de 2002, des badges de cette campagne présidentielle, et de l’affichage non-conventionnel en 2006.
Si l’exercice du pouvoir a logiquement restreint la rhétorique révolutionnaire de la majorité des candidats du PT, la base militante semble s’en plaindre (p. 66). Réciproquement, les cadres du parti regrettent un manque d’entrain des militants (p. 79), et de sincérité dans la participation politique : l’accès à d’importantes ressources financières – le parti était le plus gros bénéficiaire d’argent public en 2006 – a grevé la participation bénévole de ceux qui savent que désormais, le PT peut les payer pour promouvoir ses idées et candidats.
On constate aussi que les moyens conséquents du PT permettent le recours à des méthodes classiques de la communication politique et électorale, entre agences de communication et enquêtes d’opinion, ce qui participe à un reniement de certaines convictions originelles du parti, comme en témoignent les illustrations du dossier : une affiche provocante en 1980, une autre apaisée en 2002, et une disparition quasiment intégrale du rouge en 2006, sachant que le communicant qui a participé aux succès de Lula en 2002, Mendonça, a beaucoup travaillé avec des candidats de droite. Il a pu insuffler à la direction du parti ses méthodes, qui nécessitent de gros moyens, loin de ce qui a fait la force du PT dans les années 1980 avec un militantisme spontané : les témoignages nous racontent les campagnes menées sans moyens et sans organisation (p. 76), qui ont permis la socialisation politique des militants de l’époque, alors que la croissance importante du nombre d’élus travaillistes, au fur et à mesure de ses succès, permet aujourd’hui de confier les campagnes à des personnes dotées d’une socialisation politique déjà avancée.
Les trois campagnes étudiées utilisent des logiques différentes en ce qui concerne leur relation au parti : Isaltino Nascimento, candidat sortant à l’assemblée législative de l’État, ne valorise pas son appartenance au parti. Oscar Barreto est appuyé sans conviction par ses cadres. Joao Paulo Lima e Silva est celui qui relève le plus d’une campagne « traditionnelle » du PT : ferveur populaire, présence de la couleur historique (le rouge). C’est le seul candidat qui sortira victorieux du scrutin, ce qui montre une détérioration du lien entre le parti et sa base, une fois les succès multiples intégrés aux stratégies électorales. L’image vient confirmer l’hypothèse d’un lissage que formule la chercheure : on remarque sur l’affiche de 1980 une représentation provocante de Lula, habillé en révolutionnaire, en phase avec l’identité visuelle du Che, alors qu’il est souriant en 2002, vêtu d’un costume classique, et que le slogan est aussi modifié, de « la lutte continue » à « Maintenant, c’est Lula ».
Cet article constitue une excellente étude qui propose des données riches et diversifiées : observation de meeting, étude historique et témoignage. On peut regretter que les différentes personnes interrogées soient toutes membres du parti, alors même que certaines s’en disent explicitement déçues : des entretiens avec d’anciens membres, ayant choisi de quitter le parti, auraient pu apporter de nouvelles informations. L’article apporte toutefois beaucoup à la compréhension de l’évolution des pratiques du parti, à mesure que son message se fait entendre et le place aux responsabilités.
Ce dossier permet de balayer l’idée que les campagnes électorales obéissent à des codes immuables quels que soient les contextes mais aussi l’hypothèse que les évolutions observées relèveraient principalement des innovations technologiques. Le contexte spécifique dans lequel elles se déroulent, qu’on l’envisage sous l’angle local ou international, nous enseigne beaucoup sur les diverses stratégies menées par les candidats à la représentation démocratique. De plus, l’intégration de l’article de Courty et Gervais nous rappelle qu’au sein même d’une campagne précisément située dans l’espace, l’angle de recherche choisi permet aussi de distinguer des stratégies différentes propres à chaque type d’acteur. Les étudiants en communication politique sont ainsi susceptibles de mieux intégrer le rôle du lobbyiste et son rapport au politique, particulièrement durant les campagnes électorales.
Aymeric Cotard, Anaïs Duval, Guillaume Faucher, Anthony Grally, Julie Monrose (promotion M2 2018-2019)
[1] Étudiants français expatriés aux États-Unis, les trois Bostoniens (Guillaume Liégey, Vincent Pons et Arthur Muller) participent en 2008 à la campagne d’Obama et découvrent la puissance d’une nouvelle méthode : la professionnalisation du militantisme pour remobiliser les abstentionnistes. Convaincus, ils décident d’importer ce nouveau style de porte-à-porte en France, une première fois en 2010 pour les élections régionales, puis dans un second temps lors de la campagne de François Hollande en 2012.