Compte-rendu du dossier « Succès et échecs de la communication en diplomatie », troisième partie du numéro 81 de la revue Hermès (2018), paru sous le titre « De la communication en diplomatie ».
La revue Hermès intitule son numéro 81 « De la communication en diplomatie » et y traite principalement des mutations de la diplomatie envisagées au prisme de la communication. Ce dossier, coordonné par D. Wolton, analyse à travers de nombreux d’exemples les relations convergentes entre la communication et la diplomatie : contrairement à la doxa qui oppose volontiers les exigences d’une diplomatie secrète et celle d’une communication qui se voudrait « transparente », Wolton évoque la communication et la diplomatie comme les deux « branches de l’ADN »[1].
En effet, les notions « d’incommunication » et « d’acommunication » relient les deux disciplines. La revue n’explique pas toujours clairement la définition de ces termes mais nous pouvons comprendre qu’ils cherchent à désigner l’absence de communication ou encore les malentendus et les quiproquos comme inséparables du développement de la communication[2] aussi bien que des pratiques diplomatiques. Dans son introduction, Wolton explicite en effet brièvement la notion « d’incommunication », qui évolue dans un système où « tout le monde s’exprime et que personne n’écoute dans ces jeux permanents d’interaction »[3]. Si, en effet, l’incommunication peut être vue comme un échec, elle peut toutefois être alimentée par des outils et moyens de communication qui visent à construire du sens commun entre les interlocuteurs. Ces deux notions quasi-synonymes d’incommunication et d’acommunication sont présentes dans l’ensemble des articles que nous avons étudiés.
Essentiellement consacré aux mutations de la diplomatie, ce dossier s’articule autour de trois parties distinctes, qui expliquent l’entremêlement et les rapports de force entre diplomatie et communication. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à la troisième partie : « Succès et échecs de la communication en diplomatie », qui illustre à travers plusieurs exemples ces rapports de force entre communication et diplomatie.
Cette troisième section traite des notions présentées dans les articles d’introduction de la revue, à partir d’exemples concrets, afin de permettre une meilleure compréhension des phénomènes en jeu. La revue cherche également à présenter les mérites des diplomates dits « classiques » en évoquant les qualités requises pour réussir dans les relations diplomatiques car la communication joue un rôle prépondérant dans la diplomatie depuis l’Antiquité. Et faut-il rappeler que la communication a été utilisée à des fins stratégiques de propagande, notamment pour imposer la vision d’un pays ?
Communication et gestion des relations diplomatiques
Un premier ensemble d’articles s’attache aux formes nouvelles de la diplomatie en les confrontant à la notion de communication dans le but de construire un lien de confiance entre deux états. D. Herbet, auteur de l’article « Entre communication et incommunication : le traité de l’Élysée (1963-2018), de la réconciliation à un nouveau traité », explique la manière dont les relations diplomatiques entre la France et l’Allemagne ont évolué depuis le traité signé par le chancelier Konrad Adenauer et le président Charles de Gaulle le 22 janvier 1963. Ce traité fait office de trait d’union entre les deux États puisqu’il s’agit de créer des liens durables à travers les relations internationales, la politique ou la défense. Mais Herbet analyse différents éléments de discours politiques dont l’enjeu est de mettre en avant les différents moments d’« incommunication » au cours des échanges bilatéraux franco-allemands.
Dans un contexte de crise qui implique une communication bilatérale entre un État et un groupe d’États (ici l’Union européenne), J.-F. Crombois et D. Elagina exposent, dans l’artice « La crise ukrainienne : un défi pour la diplomatie européenne », les sanctions prises par l’UE à l’encontre de la Russie à la suite de l’intervention militaire russe, en donnant plusieurs définitions de « l’incommunication ». Les réactions russes sont analysées comme des signes ou des traces d’une « incommunication » entre les acteurs. Pour élargir leur analyse au-delà de la crise ukrainienne, les auteurs s’inscrivent dans une démarche pour repenser la relation entre la Russie et l’UE et pour comprendre les formes de cette « incommunication » en adoptant un regard critique sur la position de l’UE vis-à-vis de la Russie. Ils expliquent à quel point la communication n’y prend pas la forme d’un dialogue constructif en mobilisant dans leur analyse la notion de « soft power » : celle-ci désigne la capacité d’influence et de persuasion d’un État auprès d’autres acteurs, pour les conduire à penser de la même façon ou à agir dans un sens donné.
La promotion des pays par la communication : le développement du « nation-branding »
Dans un deuxième groupe d’articles, les auteurs s’attachent à montrer comment communication et action diplomatique peuvent servir à mesurer la réputation des pays, notamment en renforçant leur influence politique et culturelle ainsi que leur attractivité à travers le monde. Les pays du Moyen-Orient tels que le Qatar et les Émirats arabes unis mobilisent des formes de « nation-branding » pour promouvoir leur identité nationale sur la scène internationale. Dans « La diplomatie sportive, enjeu stratégique pour le Qatar », T. Côme et M. Raspaud analysent la nouvelle stratégie de communication du Qatar, qui place le sport au cœur de ses relations diplomatiques. Grâce au sport, le pays bénéficie d’une couverture médiatique internationale qui lui permet d’asseoir sa légitimité dans le monde. Un autre cas peut être assimilé à cette utilisation de la communication pour parfaire ses relations diplomatiques : les Émirats arabes unis ont choisi de passer par la « diplomatie culturelle ». En effet, W. Guéraiche, dans l’article « Diplomatie culturelle, une expérience rhétorique ? L’exemple du Louvre Abu Dhabi, musée universel », décortique les discours émiriens qui rencontrent l’influence de la diplomatie culturelle française dans les pays du Golfe. Toutefois, ces méthodes de communication connaissent des limites et des décalages. La diplomatie culturelle peut être parfois taxée d’opportunisme faute de prendre en considération les objectifs des diplomaties nationales. Et la communication du Qatar peut subir les effets pervers de sa recherche d’influence internationale fondée sur le sport, qui peut s’avérer préjudiciable pour l’image du pays. La réputation du pays est souvent confrontée à la dissonance entre les valeurs sportives que sont la transparence et l’égalité des chances, et les réalités sociales du pays.
La communication : outil d’influence, d’information et d’engagement
Un troisième groupe d’articles explique comment des organismes réputés apolitiques utilisent la communication pour influencer le monde diplomatique. L’article intitulé « L’Unesco au risque de sa politisation : symptômes d’une incommunication dans les relations internationales » réussit à démontrer que malgré la volonté de l’Unesco de se placer au-dessus des problèmes politiques des États qu’elle représente, l’organisation apparaît comme politisée. Elle reproduit ainsi un modèle de fonctionnement étatique, ce qui témoigne de la difficulté à trouver un positionnement dénué de toute forme de militantisme sur la scène diplomatique. Les enjeux pour les différents États sont visibles à travers l’organisation puisque « certains se servent de l’organisation pour leurs propres intérêts » tandis que « d’autres reproduisent leurs querelles diplomatiques » selon Irina Bokoya, ancienne directrice de l’Unesco. C’est l’argument sur lequel se sont appuyés les États-Unis pour quitter l’organisation en 1984.
Dans « Inscrire la diplomatique intellectuelle dans une capacité d’agir : l’Unesco et l’argument des think-tanks », L. Desmoulins et C. Rondot font quant à elles référence aux think tanks comme outil de communication diplomatique au service de l’Unesco, qui développe son influence grâce au soft power. Les think tanks serviraient à produire leur « capacité de dialogue » et à parachever l’institutionnalisation de leur rôle au sein de l’Unesco ainsi que leurs stratégies d’influence et de persuasion comme « relais de décision ». L’article évoque également l’organisation en elle-même comme un think tank. Elle aurait ainsi une capacité à agir et à réinventer la dimension axiologique de son action, ce qui lui permettrait de moderniser son image un peu désuète, de compenser son immobilisme, et la politisation qu’on lui reproche.
Les risques de dérives identifiés : l’illusion d’une communication diplomatique efficace
L’article de F. Garlot et E. Dacheux apparaît comme singulier dans ce dossier, à travers une analyse qui confronte des auteurs de différents champs disciplinaires pour faire une critique de la communication des ONG de solidarité internationale. Leur but premier n’est plus de mener des actions pour soutenir la solidarité mais il s’agit désormais d’obtenir un maximum de dons pour financer leurs structures. La communication s’inspire dès lors de pratiques émanant du lobbying pour se procurer un financement plus qu’à un service d’intérêt public général. À travers cette incompatibilité entre le lobbying et l’intérêt général, les deux auteurs analysent une forme de communication diplomatique confrontée à ses propres échecs. En mettant en avant les dysfonctionnements de la communication diplomatique des ONG de solidarité internationale, les auteurs prennent davantage de recul que ceux des précédents articles qui s’attachent à décrire les effets de la communication dans la diplomatie à travers un seul aspect pour les analyser.
Vers une « communication diplomatique » ?
Au fil de notre lecture, il est apparu que de nombreuses notions permettent de dégager une certaine vision de la communication dans la diplomatie : celle-ci a une place essentielle dans la manière d’établir des relations à l’international. Cependant, au regard du contenu des articles, le titre de cette troisième partie s’avère être une promesse qui n’est qu’à moitié tenue. Les deux premiers articles exposent des exemples concrets de ce qui fonctionne ou non dans la communication tandis que les autres articles portent sur les mutations de la diplomatie et moins sur les effets produits par une absence de communication. Seul, l’article de Garlot et Dacheux évoque un large éventail de notions qui sert à une meilleure compréhension de la relation entre communication et diplomatie. Par ailleurs, la revue fait l’éloge des diplomates dits « régaliens, professionnels, de la représentation et de la négociation internationale »[4] et se consacre en grande partie à la diplomatie en la distinguant et/ou en la séparant de la communication.
En rapport avec le titre annoncé, ce numéro de revue reflète la difficulté à distinguer la communication de la diplomatie puisqu’un certain nombre de notions évoquées restent floues : des notions préexistantes utilisées par les auteurs, mais qui ne permettent pas de dégager une seule et unique définition. Par exemple, la notion d’« incommunication » est définie de différentes manières tout au long des articles, sans faire consensus.
Gaëlle Bira (@GaelleRachelb), David Cissé (@cissedaoud), Adèle Epossi Mbonjo (@AdeleEpossi), Morgane Jupiter (@MorganeJupiter), Jessica Luron (promotion M2, 2018-2019)
[1] Wolton Dominique, « Ouverture », Hermès, La Revue, 2018/2 (n° 81), p. 9-14, https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-2.htm-page-9.htm.
[2] Dominique Herbet dans « Entre communication et incommunication : le traité de l’Élysée (1963 – 2018), de la réconciliation à un nouveau traité » s’appuie sur les propos de Wolton pour analyser les formes d’incommunication.
[3] Wolton Dominique, « Ouverture », op. cit.
[4] Gilles Rouet et Luciana Radut-Gaghi, « Communication et diplomatie plurielles : introduction générale », p. 17.