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Le préfixe « re-» comme marqueur de rhétorique du déclin : une variété d’usages dans les discours politiques français

Article de Minute du 26 octobre 2016, sur le site web de l’hebdomadaire (www.minute-hebdo.fr). Capture d’écran.

Article de Minute du 26 octobre 2016, sur le site web de l’hebdomadaire (www.minute-hebdo.fr). Capture d’écran.


« Retrouver le souffle de la France » Cet intitulé ne vous choque pas ? Rien ne vous dérange dans cette formulation utilisée comme titre d’article dans Minute ? C’est bien normal, car elle ne se veut pas polémique au premier abord : elle n’est pas faite pour déstabiliser. Pourtant cet énoncé, ces quelques mots, présentent une force rhétorique dont nous allons exposer les fonctionnements et les enjeux.

La dynamique des préfixes « de-» et « re-» traverse les discours des années 1930-1940

Dans un texte initialement publié en 1995, le chercheur Maurice Tournier[1] évoquait l’utilisation du préfixe « re-» dans les discours d’extrême droite. Selon lui, « le préfixe « re-» signifie la reprise de l’existant pour le reconstituer, l’améliorer, mais il est également à interpréter comme doté de valeurs de retour en arrière, retour au point de départ. Le préfixe“ re-” est soit itératif (redire) soit à valeur spatiale ou temporelle avec l’idée de retour en arrière, soit à valeur intensive (réchauffer), soit restaurateur. » En ce qui nous concerne, nous nous intéresserons particulièrement au préfixe « re-» dans sa valeur restauratrice. C’est cette valeur qui est mobilisée dans « Retrouver le souffle de la France », en cohérence avec une longue trajectoire du préfixe « re-» dans les discours d’extrême droite.
Maurice Tournier explique que ce « re-» restaurateur est aussi celui de la formule « Révolution nationale »[2] reprise par Pétain dans son message du 8 octobre 1940, qu’il aurait préféré appeler Redressement national ou Rénovation française. Quelques années plus tôt, en 1938, Doriot proposait de « Refaire la France ». Tel est encore le préfixe du slogan de 1940 « remettre la France au travail », ou celui du redressement, titre d’une organisation antirépublicaine née en 1925, le Redressement français de Mercier, repris d’ailleurs par le journal du socialo-fasciste Zoretti en 1938.
Par le recours au préfixe « re-», on peut désigner un retour en arrière ou au point de départ, un changement complet, voire un cycle. Mais Maurice Tournier montre aussi le parallélisme entre le préfixe « re-» restaurateur et le préfixe « de-», décliniste, comme dans les mots : « décadence », « déchéance », « déclin », « décomposition », « défaite », « dégénérescence », « dégradation », « démission », « dénationaliser », « désastre », « désordre », « destruction ».
Selon Maurice Tournier, l’extrême droite va donc prôner dans ses discours le « redressement » face au « clin », suggère de « former » contre la « cadence de la France », proposer du « renouveau » pour éviter le « sarroi ».

Le préfixe « re-», créateur de présupposition

Si tous ces mots en « re-» retiennent notre attention, ce n’est pas seulement pour des raisons morphologiques. En effet, ils nous intéressent aussi pour les présupposés qu’ils mettent en œuvre. Le présupposé, c’est l’idée que ce qui est énoncé est supposé vrai préalablement. C’est ce qui, dans un énoncé, est une supposition nécessaire à sa validité logique. Par exemple, l’énoncé « Il faut fermer la porte » présuppose que la porte est ouverte. Dans le cas des exemples donnés par Maurice Tournier, ces préfixés en « re-» ont en commun de donner à voir comme évident que quelque chose a été perdu : « revivre » présuppose que l’on est mort et que l’on a été vivant avant. C’est donc une rhétorique de la perte qui est utilisée à travers certains usages du préfixe « re-». Les présupposés peuvent être porteurs d’idéologies, de sens, d’inflexions politiques ou sociales. Il n’est donc pas surprenant de constater que la communication des politiques utilise avantageusement les présuppositions. Les politiques savent que les mots sont de très bons outils car, en les utilisant bien, on peut à travers eux faire accepter des points de vue qui pourtant ne font pas consensus. D’ailleurs, c’est également pour cela que les présuppositions ne sont pas polémiques. En effet, si on accepte un énoncé, on accepte comme évidentes les présuppositions qu’il contient. Cependant, bien entendu, une bonne connaissance du contexte de l’énoncé permet souvent de débusquer ces présupposés.

« La perte identitaire » : un élément constitutif de la rhétorique de l’extrême droite

Comme il est dit précédemment, on a vu au fil du temps surgir abondamment dans les discours de l’extrême droite les préfixes « dé-» et « re-»[3]. La présence de ces préfixes a pour effet de sens d’évoquer la perte identitaire, l’idée d’un déclin. Par conséquent, ces préfixes sont révélateurs des sujets de prédilection du parti[4]. On observe par exemple dans les discours d’extrême droite, et dans la presse sympathisante du Front National, que l’utilisation des termes « déclin » et « islam » dans le même texte sont très nombreux[5]. On remarque pareillement qu’un lien de causalité est réalisé systématiquement entre ces deux termes[6]. Le parti tente alors de pallier à ce supposé « déclin » en proposant dans son programme plusieurs points mettent directement en cause les musulmans. Par exemple, comme le prétend Minute, le « gel de tous les projets de mosquées actuellement en cours, dans l’attente d’une enquête nationale sur leur financement ». L’islam serait donc la cause du déclin de la France. Ce sont des sujets récurrents à l’extrême droite et chez ses partisans. On peut le voir en parcourant les colonnes de National Hebdo, de Présent, ou de Rivarol via l’intitulé des articles qu’ils publient. Il serait long d’établir la liste des articles publiée par Minute qui font le lien entre islam et déclin. En voici tout de même quelques exemples : « L’Âme de la France », « Le duel, cette passion française », « Dans l’enfer de l’islamisme carcéral », « Le guide du parfait Dijhadiste », etc… Plus précisément, dans l’article intitulé « Deux milliards par an pour les faux réfugiés »[7], on peut lire « C’est l’honneur de la France de protéger ceux qui, sans son aide, seraient en grand danger. Mais notre système est à bout de souffle. ».
Aujourd’hui, la perte identitaire fait partie intégrante de la sémantique de l’extrême droite et du Front National[8]. Cette corrélation entre perte identitaire de la France et islam peut être appuyée par cette citation de Marine Le Pen tiré de l’ouvrage de Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Marine Le Pen : « Rien ne change et chaque jour de plus le pays s’enfonce dans le sentiment d’un déclin inexorable, d’une perte d’influence, d’une rétrogradation, d’une descente aux enfers. »[9]. Par ailleurs, l’auteur précise que ce type de citation est le plus souvent associé à une idée de « préférence nationale », ou de « racisme antifrançais »[10]. L’emploi de ces formulations et de ce vocabulaire est le reflet d’un nationalisme prenant pour cible l’islam qui se propagerait de plus en plus en Europe ces dernières années[11]. Ces discours mettent ainsi en scène une logique de rassemblement « patriote » face à la perte identitaire qui touche la France mais qui présuppose en réalité, une dénonciation accusant l’islam d’être responsable d’un supposé « déclin » de la France.

 L’exemple du journal « Minute » : où il s’agit de « retrouver le souffle de la France »

Prenons l’exemple de l’article titré « Retrouver le souffle de la France », où l’on retrouve les deux phénomènes vu précédemment, à savoir celui de la présupposition et la présence du préfixe « re-». Ce titre accompagne un article paru le 26 octobre 2016 sur le site de l’hebdomadaire Minute. Il n’est pas étonnant de retrouver le vocabulaire propre au Front National dans le journal Minute, puisque ce dernier se positionne également à l’extrême droite[12]. Ainsi, Minute présuppose, à travers l’énoncé « Retrouver le souffle de la France », que la France a eu un souffle un jour et qu’elle l’a perdu. La perte d’un souffle n’est pas une affirmation fondée dans le sens où le souffle ne renvoie à aucun élément en particulier et reste abstrait. Le journal Minute, par conséquent, ne se base sur rien de tangible ou d’objectivable pour avancer cette affirmation. Le souffle n’étant pas normé, il n’existe pas de chiffres ou d’éléments concrets pouvant confirmer ou infirmer cette idée. On comprend que Minute renvoie au fait que la France, ayant perdu son souffle, serait en déclin. Mais quel déclin le journal Minute vise-t-il en définitive ? S’agit-il d’un déclin économique, politique, social ou encore culturel ? Or la perte d’un souffle, dans chacun de ces domaines, peut-être réfutée. Il n’existe pas de consensus de la part des experts, aussi bien au niveau économique qu’au niveau social. Aucun scientifique ne déclare, en s’appuyant sur des recherches, que la France a perdu son souffle économique par exemple. Les grilles d’analyse sont nombreuses, et les spécialités peuvent présenter des lectures et des explications différentes. Le taux de chômage peut certes être un indicateur du « déclin » d’un pays, mais les chiffres du chômage oscillent surtout en fonction des choix politiques et techniques qui fondent leur calcul[13]. Ainsi, quand le journal Minute présuppose que la France est en déclin et rend incontestable une thèse pour laquelle il est impossible de se prononcer[14]. Par conséquent, à travers l’allégation selon laquelle « la France a perdu son souffle », Minute prend clairement parti en faveur d’une certaine vision du monde, derrière un titre d’article très anodin en apparence.
Or, en poursuivant notre lecture, il est notable dès le chapeau qu’il n’est pas question d’économie mais d’une perspective nationaliste et xénophobe, à travers la thématique de « l’identité nationale ». La phrase du chapeau est significative à cet égard : « quinze portraits d’hommes et de femmes qui ont fait la France et qui l’ont faite chrétienne. Un rappel utile, alors que les mosquées se multiplient en France. » Le déclin de la France, cette « perte de souffle » serait due à l’islam. Minute sous-entend que la France récupèrera son souffle et mettra fin au déclin en s’appuyant sur ses origines catholiques et en mettant fin à la multiplication des mosquées jugées « envahissantes ». Dans son article, l’auteur, Joël Prieur, retranscrit des passages du livre de François Huguenin intitulé Les grandes figures catholiques de la France (Editions Perrin). Ces paragraphes renforcent cette marque nationaliste du texte avec l’utilisation des formulations suivantes: « unité nationale », « Il faut avoir une forme de foi un mélange de foi chrétienne, de confiance en soi et de foi dans la France… ». Le présupposé de Minute véhiculé dans le titre établit un lien de cause à effet entre l’islam et la « perte du souffle », c’est-à-dire, selon Minute, le déclin de la France.

Au-delà des appartenances partisanes : un préfixe « re-» également amplement utilisé par la droite

Certes, le préfixe « re-» participe abondamment aux discours d’extrême droite. Toutefois, ceux-ci n’en sont pas les seuls utilisateurs. En effet, ces dernières années, nous avons pu remarquer que la droite, comme la gauche, ont utilisé ce préfixe dans leurs discours.
Tout d’abord, dans les discours de Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007, on peut voir à de nombreuses reprises l’utilisation du préfixe « re-». Dans son discours au meeting de Bercy, lors de l’entre-deux tours, on peut noter cette récurrence du préfixe : « Je propose aux Français de renouer en politique avec la morale, l’autorité, le respect, le travail, la nation. Je propose de reconstruire un État qui fasse réellement son métier. Je propose de refaire une République une et indivisible contre tous les communautarismes et tous les séparatismes. Je propose de rebâtir une nation fière d’elle-même ».[15] On peut constater un rythme quaternaire par les quatre répétitions de « Je propose » qui apparait ainsi dans une anaphore rhétorique, mais aussi par la redondance du préfixe « re-» comme morphème constitutif de quatre verbes. On retrouve cette même forme un peu plus loin dans ce passage : « J’ai pris conscience du besoin que la politique représentait pour redonner une espérance à ceux qui l’ont perdue, pour qu’ils aient le sentiment de pouvoir redevenir les acteurs de leur propre histoire. J’ai pris conscience de la nécessité pour la politique de redevenir l’expression d’une volonté aux yeux de ceux qui ne se sentent plus eux-mêmes la force de vouloir ».[16] On peut ainsi remarquer que le recours à des préfixés en « re-» est abondant dans certaines prises de paroles de Nicolas Sarkozy. On ne peut manquer de relever que Nicolas Sarkozy se fait le porteur d’un discours de la perte alors que le pouvoir politique en place à l’Élysée, au même moment, appartient au même bord politique (présidence Jacques Chirac). La situation de campagne électorale, dans le cadre de laquelle les candidats doivent nécessairement se mettre en scène dans ce qu’ils apportent et proposent est un élément d’explication.
Au cours de la campagne présidentielle de 2016-2017, on peut voir que François Fillon, candidat du parti Les Républicains a aussi recours au préfixe « re-»[17]. Dans son discours pour sa candidature à la primaire de la droite, le 28 août 2016, il utilise ainsi des formulations telles que « Renouer les fils de l’Histoire ! », « Retrouver nos racines pour comprendre notre passé et nous projeter dans l’avenir. » ou « Il suffirait de si peu de choses pour que la France retrouve confiance en elle-même. […] Il suffirait que la réussite redevienne une valeur. ».[18] On retrouve cette idée quelques mois plus tard dans le discours de François Fillon le soir de sa victoire à la primaire, lorsqu’il dit : « Notre renaissance sera l’œuvre de tous ».[19] L’utilisation du préfixe « re-» devant un verbe ou un substantif permet aisément de présupposer une perte, un déclin, voire un effondrement, pour ensuite mieux le dépasser et mettre avant son discours comme la solution au problème. On peut donc faire un rapprochement entre les deux exemples énoncés : la droite adopte un discours décliniste, et cette idée d’un déclin serait cohérente avec le constat que la droite établit de la France, après le résultat de cinq ans de gouvernement de gauche contre lequel l’opposition s’est battue.
Par ailleurs, le discours décliniste s’est notamment installé dans la « Charte de la primaire » de la droite et du centre où il est inscrit : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France ».[20] Cette phrase est l’exemple d’un discours décliniste qui donne à voir comme une évidence le fait que la France aurait besoin d’une alternance et qu’elle aurait besoin d’un redressement.

Affiche de la charte de l’alternance que les électeurs devaient signer pour pouvoir voter à la primaire de la droite et du centre les dimanches 20 et 27 novembre 2016

A gauche aussi, on voudrait s’employer à « redresser », « redonner », « relancer »

Notre curiosité nous a amenées à observer des discours de gauche. On se souvient que le gouvernement Jean-Marc Ayrault, sous la présidence de François Hollande, a créé le « Ministère du redressement productif ». Le nom du ministère en lui-même présuppose que la production française est en berne, et qu’il faut un ministère consacré à rattraper les erreurs du dernier gouvernement. Mais on peut voir que d’autres personnalités/membres du Parti Socialiste utilisent aussi le préfixe « re-» pour insister sur l’idée de déclin de la France. Lors du fameux discours du Bourget de François Hollande, pendant la campagne présidentielle de 2012, le candidat du Parti Socialiste répète six fois la phrase « Je veux redonner confiance à la France/la jeunesse/aux Français »[21]. Il présuppose donc que la confiance a été perdue, nourrissant ainsi une rhétorique de la perte et du manque. Dans son discours de candidature, Arnaud Montebourg a aussi recours au préfixe « re-», et ceci dans un rythme ternaire : « Devant ce discrédit généralisé de la politique, il faudra assumer le courage de construire une démocratie nouvelle capable de faire entrer les citoyens dans le système politique, supprimer les privilèges de l’oligarchie, rétablir la confiance dans l’action publique, et se donner les outils pour bâtir les compromis dont nous avons besoin. C’est ainsi que la France pourra rebondir, se relancer et se retrouver. »[22]
De son côté, Benoît Hamon, le candidat du Parti Socialiste lors de la même campagne, a certes pour slogan « Faire battre le cœur de la France » et non pas « Refaire battre le cœur de la France ». Mais, de fait, dans ses discours, il ne contourne pas totalement l’emploie du préfixe « re-» porteur d’un discours de perte, par exemple lorsqu’il dit vouloir « Redresser le pays s’annonçait difficile, éprouvant. » ou encore lorsqu’il se prononce « Pour que la France retrouve le rang d’une nation respectée parce que ses valeurs sont universelles et qu’elle est exemplaire dans l’accueil des réfugiés »[23]. Il peut sembler étonnant de trouver un discours de perte et l’utilisation du préfixe « re-» par les politiciens de gauche. Cependant, force est de constater que ce discours s’est développé ces dernières années autant chez les politiciens de droite que de gauche.

Un discours de la perte à droite comme à gauche : une politique désenchantée ?

Jérôme Jaffré, dans un rapport sur le baromètre politique français, a constaté, il y a presque dix ans : « Le déclinisme est une littérature et un discours de droite (Nicolas Baverez, Éric Zemmour) mais aussi de gauche (Jacques Julliard). Cependant les sondages montrent que deux types de “déclinisme” existent dans l’électorat français au début du XXIe siècle : le “déclin-puissance” davantage ressenti par l’électorat de droite et le “déclin-valeurs” par l’électorat de gauche »[24]. Par conséquent, si le préfixe « re-» peut être symptomatique d’un discours décliniste, il n’est pas seulement étiqueté à l’extrême droite mais s’inscrit de plus en plus dans les discours politiques français en général. On peut supposer que le discours décliniste est une réponse au désenchantement et à la défiance des individus à l’encontre des dirigeants politiques. Toutefois, au-delà des discours politiques proprement dits, notamment en contexte électoral, on peut relever que le discours sur la perte constitue un topos récurrent dans différentes domaines, comme le montre le travail de Julie Bouchard à propos d’un supposé « retard français ».[25]
Par ailleurs, l’utilisation du préfixe « re-» n’est pas nécessairement réactionnaire ou décliniste. Par exemple, les mots tels que « regarder », « recevoir », « rechercher » ne présupposent pas en eux-mêmes un déclin ou une perte. Comme on peut le constater, certes les morphèmes sont porteurs de sens mais ils ne sont ni monosémiques ni univoques.
Au fil de cet article, nous avons vu que, si la rhétorique de la « perte identitaire » trouve ses origines profondes à l’extrême droite, un discours du manque, de la perte, voire d’un certain déclin peut se rencontrer dans les discours de différentes formations politiques, à droite comme à gauche. Les discours déclinistes ne sont donc pas, par eux-mêmes, des marqueurs de position partisane, pas plus que ne l’est l’usage du préfixe « re-».
Ainsi, il reste à interroger la signification de l’ampleur des discours de la perte dans les discours politiques contemporains. Il semble raisonnable de poser l’hypothèse que l’utilisation de ces discours par les politiciens serait le résultat d’un contexte de crise sociale et économique qui touche la France et perdure depuis plusieurs années. Le manque de réponse de la part des femmes et des hommes politiques a engendré une méfiance à leur égard et une perte d’intérêt de la part des citoyens. Les politiciens, dans l’espoir de regagner la confiance des citoyens et de mettre fin au désenchantement politique, auraient ainsi recours à des discours de la perte. Cependant, ces derniers ne s’inscrivent pas nécessairement dans la logique réactionnaire qui fonde originairement ce type de discours.
Au terme de ce travail et de cette réflexion, une question persiste : par des usages réitérés de discours de perte et de déclin, les hommes et les femmes politiques ne renforcent-t-ils pas – qu’ils le veuillent ou non – des discours d’extrême droite porteurs de cette rhétorique ?

Caroline Com et Marion Jaille


[1] Maurice Tournier, « Les deux préfixes d’un certain discours politique », Propos d’étymologie sociale. Tome 2: Des mots en politique, ENS Editions, 2004, pp. 61-63 (paru initialement sous le pseudonyme de Maurice Jury le 27 février 1995). [online] : http://books.openedition.org/enseditions/1710
[2] Sur le mot « révolution » et sa trajectoire, voir aussi Alain Rey, « Révolution ». Histoire d’un mot, Gallimard, 1989.
[3] Maurice Tournier, « Les deux préfixes d’un certain discours politique », Propos d’étymologie sociale. Tome 2: Des mots en politique, ENS éditions, 2004, pp.61-63 (paru initialement sous le pseudonyme de Maurice Jury le 27 février 1995). [online] : http://books.openedition.org/enseditions/1710
[4] Alice Krieg, « Vacance argumentative : l’usage de (sic) dans la presse d’extrême droite contemporaine », dans Mots. Les langages du politique, Paris, Presses de Sciences Po, n°58, mars 1999, pp. 11-34. http://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1999_num_58_1_2523
[5] Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Seuil, 2014.
[6] Cécile Alduy & Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots : décryptage du nouveau discours frontiste, Seuil, 2015.
[7] Pierre Tanger, « Deux milliards par an pour les faux réfugiés », Minute, 30 avril 2015, [online] : http://www.minute-hebdo.fr/tout-minute/societe/842-deux-milliards-par-an-pour-les-faux-refugies
[8] Cécile Alduy & Stéphane Wahnich : Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau discours frontiste, Seuil, 2015.
[9] Michel Eltchaninoff , Dans la tête de Marine Le Pen, Actes Sud, 2017.
[10] Michel Winock, « L’histoire de l’extrême droite », L’Histoire, n° 219, mars 1993.
[11] Nicolas Lebourg et Jean Yves Camus, Les droites extrêmes en Europe, Seuil, 2005.
[12] Erwan Lecoeur, Dictionnaire de l’extrême droite, Larousse, 2007.
[13] Voir par exemple l’article de Jacques Freyssinet,  «L’inépuisable controverse sur “le” chiffre du chômage », Alternatives économiques, n°333, mars 2014. En ligne : http://www.alternatives-economiques.fr/linepuisable-controverse-chiffre-chomage/00048317
[14] Alain Chaffel, Le déclin français : mythe ou réalité ?, Paris, Bréal, coll. « Thèmes et Débats », 2013, p. 128.
[15] Discours de Nicolas Sarkozy au meeting de Bercy le 29 avril 2007.
[16] Discours de Nicolas Sarkozy au meeting de Bercy le 29 avril 2007.
[17] Sur le discours de François Fillon, candidat aux élections présidentielles de 2017, voir également sur ce blog l’article de Clément Lebourg, « François Fillon et la doxa libérale : l’appel à “libérer l’économie” », 23 mai 2017 : http://avril21.eu/non-classe/francois-fillon-et-la-doxa-liberale-lappel-a-liberer-leconomie
[18] Discours de François Fillon pour sa candidature à la primaire de la droite et du centre à Sablé sur Sarthe le 28 août 2016.
[19] Discours de François Fillon après sa victoire la primaire le 27 novembre 2016.
[20] Article 2.2 de la Charte de la primaire de la droite et du centre.
[21] Discours de François Hollande au meeting du Bourget le 22 janvier 2012.
[22] Discours d’Arnaud Montebourg au meeting de Frangy-en-Bresse le 21 juillet 2016.
[23] Discours de Benoît Hamon au meeting de Saint-Denis le 28 août 2016.
[24] Jérôme Jaffré, Le baromètre politique français (2006-2007), Centre de recherches politiques de Sciences Po, 2007, p. 13.
[25] Julie Bouchard, Comment le retard vient aux Français. Analyse d’un discours que la recherche, l’innovation et la compétitivité. 1940-1970, Presses Universitaires du Septentrion coll. Information-Communication, 2008.