« Faire du monde une seule et même fraternité, tel est le défi qu’il nous faut relever » Martin Luther King
A l’affiche dans les salles depuis le 11 janvier 2015, Selma n’est pas seulement un film, ni seulement le nom d’une ville. C’est l’histoire véritable d’un combat, engagé par des milliers de personnes, de toutes confessions, de toutes nationalités, transcendant les différences entre Noirs et Blancs, pour se rassembler, pour lutter contre l’humiliation, les violences, l’inégalité que subissaient depuis des années les citoyens noirs de Selma. Bien que le droit de vote soit inscrit dans la constitution américaine, les faits étaient tout autres. Voter semble devenu un acte anodin, comme un droit acquis naturellement. Mais cela n’a pas été le cas pour tous. La communauté noire aux Etats-Unis a obtenu ce droit par des combats pour finalement acquérir, de haute lutte, ce qui lui revenait de droit. Et c’est notamment cette lutte que la réalisatrice Ava DuVernay a mis en avant dans ce film poignant. Loin du piège hollywoodien, la réalisatrice afro-américaine a décidé de mettre en lumière une des batailles du pasteur King, la moins connue du grand public.
Un film au plus proche de la réalité
Dès le début, nous sommes entraînés dans un ascenseur émotionnel. Quatre petites filles meurent dans une Eglise à la suite d’une attaque à la bombe. Ce crime raciste est un meurtre parmi tant d’autres. Dans cette région, les assassinats et les crimes commis contre la communauté noire sont fréquents, mais surtout impunis. A cette époque, de nombreux Etats américains acceptent et appliquent le droit américain, permettant aux hommes et aux femmes noires d’avoir le droit de vote. Cependant, tous ne l’appliquent pas. C’est notamment le cas de l’Alabama, qui met en place un système d’inscription sur les listes électorales totalement arbitraire. Oprah Winfrey dans le rôle de Madame Annie Lee Cooper interprète avec émotion les injustices subies ainsi que les humiliations lors des entretiens d’obtention du droit de vote. Et c’est dans cette ville que Martin Luther King, joué par David Oyelowo (Le Majordome ; 2013), décide de mener son prochain combat pour les droits civiques. Un combat qu’il ne mènera pas seul, accompagné par de nombreux militants et prêtres également engagés pour les droits civiques.
Martin Luther King mobilise la population locale et entreprend une marche pacifique au départ de Selma pour tenter de gagner Montgomery, la capitale de l’Alabama. Ce jour est appelé le « Bloody Sunday », tant il a été un véritable déferlement de haine et de violence de la part de la police qui attendait les manifestants au pont Edmund Pettus. Un bain de sang à coup de matraques, de gaz lacrymogène et même de coups de fouet, qui obligea les marcheurs pacifiques à rebrousser chemin, laissant d’autres à terre, évanouis sous les coups de matraques de policiers qui s’acharnaient comme s’ils avaient perdu toute humanité. Cette violence extrême a été relayée dans le pays entier, permettant d’abord de mobiliser l’opinion publique, et de rallier ensuite toutes les personnes qui se sentaient concernés par ce combat, appelées à le poursuivre avec eux. C’est ainsi que le 21 Mars 1965, Martin Luther King, les membres du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) et du National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) avec la communauté noire locale et toutes les autres personnes touchées par ces images de violence extrême, soit des personnes de couleur noire mais aussi blanche, de confession juive, catholique, des athées ou des bonnes sœurs entament une marche de 20 km jusqu’au Capitole de Montgomery. Martin Luther King y prononce le discours « How Long, Not Long ». Cet acte de foi et cet appel ont permis la signature cinq mois plus tard, par le président Johnson, du Voting Rights Act, qui accorda le droit de vote sans restriction à l’ensemble de la communauté noire.
L’histoire qui se répète ?
L’histoire de Selma est remarquablement retranscrite à travers ce film, où rien n’est surfait ni amplifié, car ce sont des faits véridiques qui sont relatés. La dureté du film reflète la répression que subissait la communauté noire locale. Les victimes tombaient sous les balles des policiers véreux qui faisaient régner la terreur en toute impunité. Ce film soulève le passé difficile d’une Amérique torturée par ses démons, et qui a du mal à faire face à ses erreurs passées. Or l’Amérique voit ce passé ressurgir régulièrement et encore récemment : le contexte de la sortie du film Selma est à souligner car de nombreux « accidents » ont remis à l’ordre du jour le comportement de policiers de certains Etats, qui ont fait l’objet de nombreux scandales. Le plus notable est la mort de Michael Brown, un jeune noir abattu par un policier blanc à Ferguson, dans le centre des Etats-Unis, l’été dernier. Sa mort a entraîné de violentes émeutes dans le Missouri à partir du 10 août 2014. On peut aussi citer l’histoire de Trayvon Martin, abattu à bout portant le 26 février 2012 à Sanford, en Floride. L’auteur du coup de feu, George Zimmerman, un Latino-Américain de 28 ans, était le coordinateur de la surveillance de voisinage. De nombreuses affaires comme celles-ci s’accumulent et mettent en lumière les bavures policières et le racisme dont sont victimes ces jeunes noirs. Aucun policier n’a été condamné pour ces crimes et la communauté afro-américaine semble revivre le passé qu’elle pensait révolu, elle doit à nouveau se battre pour défendre ses droits. Les Noirs américains sont incontestablement pris pour cibles et font l’objet d’une plus grande répression que d’autres communautés. Ce film rappelle aux afro-américains que toutes les victoires ont été acquises par des luttes, par un combat acharné, guidé par le cœur et par l’espoir de faire changer le présent et d’améliorer l’avenir. C’est le message que nous délivre « Glory » l’une des chansons officielles du film, interprétée par John Legend & Common où « Un jour, lorsque la gloire arrivera, elle sera nôtre, elle sera nôtre. Un jour quand la guerre sera gagnée, nous serons certains, nous serons là c’est certain.» Une musique envoutante vient renforcer ce triste constat en référence aux émeutes de Ferguson.
Les Oscars : une vision encore archaïque ?
Loin des films déjà vus, celui-ci transperce le cœur et rappelle ce devoir de mémoire que semblent construire les Etats-Unis – depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis – à travers l’art et notamment le 7ème art. Pour ne citer qu’eux : le Majordome (2013), Twelve Years a Slave (l’Oscar du meilleur film 2012), sans oublier la série devenue culte « Racines », contant la triste histoire de Kounta Kinté, esclave depuis sa naissance subissant les sévices de ses maîtres. Cependant, Selma, à la surprise générale, n’est pas sortie victorieux des nominations à la 87e cérémonie des Oscars, qui s’est déroulée le 22 février dernier à Los Angeles. L’Académie qui organise la cérémonie a annoncé la liste des nommés et aucun acteur ou actrice noir ne sont représentés. Le film Selma, pourtant cité dans la catégorie « meilleurs films », n’a pas été nominé dans d’autres catégories. Ainsi ni la réalisatrice, Ava DuVernay, ni l’interprète du pasteur, David Oyelowo, pourtant nommés aux Golden Globes, n’étaient présents à la soirée des Oscars. Cette décision du jury a été vivement contestée sur les réseaux sociaux et sa composition a été remise en cause. Même si le processus est encore long, et si l’on a pu voir Twelve Years a Slave récompensé, cela reste encore bien trop rare pour les réalisateurs et acteurs noirs de recevoir un Oscar. Bien évidemment, cela ne vient pas du manque de talent, mais de la présence d’une mentalité encore archaïque. Ceci se reflétant dans le manque de diversité chez les nominés, majoritairement masculins et blancs.
Malgré les combats menés pour la cause noire en Amérique, il semble que celle-ci soit encore hantée par son passé. Les injustices encore commises envers les communautés noires à travers les violences policières, le racisme et la stigmatisation, malgré les luttes des siècles passés, nous montrent que l’histoire est un long chemin au cours duquel les combats que l’on pense avoir gagnés ne sont jamais totalement achevés. Le combat continue, car rien n’est jamais acquis, il faut sans cesse reconquérir, l’égalité durement acquise. « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » (Winston Churchill). Nous devons poursuivre les progrès accomplis, ne pas laisser s’installer la régression des droits durement obtenus, et ainsi faire honneur à nos prédécesseurs : Martin Luther King, Rosa Parks, Malcolm X, John Lewis, et bien d’autres, qui ont permis à la communauté noire de briser ses chaines.
Ainsi, ce combat n’appartient pas au cinéma mais à l’Histoire des États-Unis d’Amérique.
Gwladys Aurivel