Une guerre de communication ? La Russie entre propagande d'Etat et stéréotypes occidentaux

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            Etat « policier » et corrompu, régime « dictatorial » ou « totalitaire », propagande et mensonges officiels… Quand les médias occidentaux traitent  de la Russie, les jugements sont rarement  cléments… Mais dans cette guerre de la communication, les Russes ne sont pas les seuls à manier l’art de la propagande. Analyse. 

            Elu l’an dernier personne la puissante du monde par le magazine Forbes – devant Barak Obama, le président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine est l’homme fort de la Russie. Arrivé comme président intérimaire fin 1999, il effectue actuellement son troisième mandat présidentiel. Tout laisse à penser qu’il se représentera lors des élections de 2018.

Le Tsar système

            Lors de son arrivée à la tête du pouvoir, la Russie est plongée dans un marasme économique et politique préoccupant. Très vite, il se construit une double image d’homme fort et d’homme providentiel : sauveur de la nation, il affirme être prêt à tout pour son pays et ses compatriotes. Cette image séduira d’autant plus le peuple russe – du moins une partie – qu’elle tranche avec celle de son prédécesseur Boris Eltsine. A cause notamment de maladies récurrentes et d’un alcoolisme notoire, ce dernier était perçu comme trop faible et indigne de la fonction présidentielle. (1)

            Au cours de ses mandats, Poutine a su nourrir le mythe politique de l’homme fort et viril. Des photos montrent le président dans des postures inattendues: torse nu à cheval, au volant d’une formule 1, nageant la brasse en Sibérie, slalomant sur les pistes de Krasnaia Poliana… Ancien agent du KGB à la tête d’une fortune estimée à quarante milliards de dollars, Poutine explique dans son autobiographie A la première personne (paru en 2000), qu’il aurait probablement dérapé dans la délinquance sans son goût prononcé pour le judo dans sa jeunesse – il est ceinture noire. Son histoire semble tout droit sortie d’un scénario hollywoodien : modeste fils d’ouvrier, ce self-made man est devenu le héros de tout un peuple par sa bravoure et son courage.

           Mais il ne s’agit là qu’un des éléments d’un dispositif de communication officielle plus sophistiqué, qui laisse peu de place aux voix dissidentes.

Vladimir is watching you

            Dans le pays qui a vu naître Tolstoï et autre Dostoïevski, force est de reconnaître qu’en 2014, les Russes ne peuvent s’informer et s’exprimer librement. Poutine veille au grain, avec des méthodes qui sont loin de correspondre aux standards démocratiques.

           VKontakte est l’équivalent russe de Facebook. Fort de plus de 100 millions d’utilisateurs (à la fois russes, mais aussi biélorusses, ou ukrainiens), il détient une part de marché de 40%, contre 25% pour le réseau social américain. Or, au mois d’avril dernier, le co-fondateur de VKontakte, Pavel Durov, a été purement et simplement débarqué de son poste de PDG de l’entreprise. Les nouveaux gérants, Igor Setchine et Alicher Ousmanov, sont réputés très proches de Poutine. L’intérêt de cette manœuvre pour le Kremlin est simple. Grâce à l’arrivée de ces nouveaux gérants, ils vont désormais avoir librement accès à toutes les données des utilisateurs. (2)

           Autre mesure emblématique : la dissolution de la plus grande agence de presse du pays, Ria Novisti. Elle a été remplacée par une nouvelle agence : Rossia Segodnia. Sa finalité est de promouvoir l’image de la Russie à l’étranger. Et à sa tête on retrouve Dmitri Kisselev. Journaliste de formation, ultra-conservateur (homophobe, anti-américain,  contre les opposants politiques, etc.), il est – lui aussi – proche du président. Pour feu l’agence Ria Novisti, cette décision « s’inscrit dans le cadre d’une série de mesures destinées à renforcer le contrôle de l’Etat sur un secteur médiatique déjà fortement réglementé ». (3)

           Les mesures répressives ne s’arrêtent pas là. Une loi votée en août dernier par le Parlement stipule que tout blogueur possédant plus de 3000 visites par jour est considéré comme journaliste et doit s’inscrire sur un registre. Si l’on peut penser que cette nouvelle législation est louable, dans les faits, elle ne sert qu’à contrôler un peu plus l’information sur Internet. L’inscription obligatoire comprend les données personnelles et le nom du blogueur : il devient de facto impossible de publier anonymement. De plus, les blogueurs n’ont pas le droit de blasphémer, d’insulter, ou d’écrire des informations erronées. Et en cas de non-respect de cette loi, ils encourent jusqu’à 1400 dollars d’amende ainsi qu’une fermeture du blog. (4)

           Le Kremlin n’hésite d’ailleurs pas, selon leur bon vouloir, à demander la fermeture de sites internet d’opposants politiques, s’ils ont l’audace de se montrer trop critiques et véhéments envers le pouvoir. C’est ce qui c’est passé pour l’opposant Alexeï Navalny, qui a été assigné à résidence. (5)

           Last but not least, le renvoi de la rédactrice en chef du principal site d’information russe Lenta.ru, Galina Timtchenko, le 12 mars dernier. Elle a alors été remplacée par Alexei Goreslavsky, connu pour ses positions pro-Kremlin. Officiellement, le responsable de cette éviction est le propriétaire du site. Mais la majorité des observateurs y voient la signature de Poutine. Fort de 12 millions de visiteurs par mois, le site revendiquait une liberté de ton et de traitement de l’information. Il s’est ainsi mis dans le collimateur du Kremlin. Avant Lenta.ru, c’est la chaîne de télévision indépendante Dojd qui avait dû mettre la clé sous la porte au mois de janvier dernier. On lui avait retiré le droit de figurer sur des bouquets satellites, la privant de facto de ses ressources. Et ce, là encore, à cause de sa liberté de ton, et de la façon dont la chaîne n’hésitait pas à égratigner le pouvoir.

           Pour Johann Bihr, responsable du bureau d’Europe de l’Est et d’Asie centrale de Reporters sans frontières, “l’éviction de Galina Timtchenko constitue un signal d’intimidation très clair et un coup majeur porté au journalisme indépendant en Russie”. Preuve, s’il en était besoin, qu’exercer le métier de journaliste au pays de Poutine est devenu un exercice pour le moins complexe. Complexe et potentiellement dangereux : près de trente journalistes, parmi lesquelles Anna Politkovskaïa pour ne citer qu’elle, ont été assassinés depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. (6)

Le diable Russe : propagande occidentale ?

           On l’a vu, le traitement de l’information en Russie est plus que discutable. Mais face à ce contrôle – réel – de la communication et de l’information en Russie, les gouvernements et médias occidentaux ne sont pas en reste.

           Dès qu’il s’agit de traiter l’actualité russe, bien des médias occidentaux – y compris en France – ont tendance à adopter une vision manichéenne. Réduire Poutine et le Kremlin au contrôle de l’information autoritaire comme vu précédemment, c’est faire un raccourci qui doit plus au souvenir de l’époque soviétique qu’à la situation actuelle.

           C’est le cas par exemple dans le traitement de l’information sur la guerre de Crimée. Certes, une partie des Ukrainiens souhaite intégrer l’Union européenne et condamnent l’ingérence de Moscou. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils souhaitent voir les américains et l’OTAN s’immiscer dans leurs affaires. Par ailleurs, de nombreux Russes sont actuellement expatriés en Ukraine.

           Quant au référendum qui s’est tenu en mars dernier, afin de savoir si la Crimée devait rejoindre la Russie, une majorité de médias occidentaux a choisi de mettre en doute les résultats de ce référendum. Avec 96,6% de « oui », ce score peut apparaître comme extrêmement élevé. Mais ce résultat peut s’expliquer, d’une part, par un taux de participation très faible (32,4%), et d’autre part, par l’appel au boycott des militants du « non ».

           Accusé par ses opposants de crimes de guerre en raison des exactions commises en Tchétchénie, Poutine a pourtant privilégié une stratégie d’enlisement plutôt que de confrontation ouverte. Il soudoie les bandes armées tchétchènes plutôt que les attaquer. Celles-ci restent ainsi isolées dans des zones montagneuses, évitant tout risque de reprise des hostilités. Même si la méthode est discutable, cela permet à la Russie de maintenir sa souveraineté dans la région en limitant les effusions de sang.

           Autre idée bien répandue, la corruption et la fraude, qui sont monnaie courante en Russie, expliqueraient à elles seules le maintien au pouvoir de Poutine. Mais la réalité est plus complexe. Face à une opposition disparate, et doté d’une base électorale solide, le président n’a pas forcément besoin de tricher pour l’emporter aux élections. D’après un récent sondage de l’organisme indépendant CREO (Centre Russe d’Etude de l’Opinion publique), 69% des Russes se disent satisfaits de la politique de leur président, tant au niveau intérieur qu’extérieur. (7)

           Un exemple de cette défiance anti-russe peut être trouvé en Allemagne. Le quotidien Bild, 5 millions de lecteurs, a lancé en avril dernier une pétition d’envergure, afin de demander le retrait de deux chars T-34 de l’époque soviétique. Ces derniers sont exposés au mémorial russe de la bataille de Berlin à la porte de Brandebourg. Or, à cause de la présence de ces deux chars, de nombreux Russes viennent s’y recueillir quand viennent les commémorations de la grande guerre. Une situation qui semble déranger le journal. (8)

           Une aversion qu’on retrouve aussi en Estonie. En 2007, le pays balte avait décidé de retirer d’un des cimetières de Tallin, une statue qui célébrait les soldats de l’armée rouge. (9)

           Aussi décalée qu’elle puisse être par rapport à la situation réelle de la Russie, cette communication occidentale hostile ne laisse pas les dirigeants totalement indifférents. L’économie russe traverse en effet une mauvaise passe. L’industrie nationale est en berne. C’est pourquoi le pays ne peut pas se permettre de vivre en autarcie, replié sur lui-même comme au temps de l’URSS. Le besoin d’établir des relations marchandes à l’international pour relancer leur économie devient, plus que jamais, vital.

           Poutine parviendra-t-il à relancer l’économie nationale avec ses partenaires européens et américains, qui montrent de plus en plus de signes d’hostilité ? Comment le gouvernement russe peut-il améliorer son image et celle de la Russie, alors que le contrôle de l’information et de la communication laisse si peu de marges au débat démocratique ? Des réponses qui seront données à ces questions découleront l’avenir politique de Poutine et celui de son pays.

Vivien Chauffaille

Crédits Photo : Dmitry ASTAKHOV / AFP

(1) http://avril21.eu/vues-d-ailleurs/poutine-la-victoire-du-culte-de-la-personnalite
(2) http://www.challenges.fr/monde/20140422.CHA2968/comment-poutine-a-mis-la-main-sur-vkontakte-le-facebook-russe.html
(3) http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/09/vladimir-poutine-accentue-son-controle-sur-les-medias-russes_3528033_3214.html
(4) http://www.huffingtonpost.fr/2014/04/22/vkcom-vkontakte-pavel-dourov-russie-moscou-internet_n_5192583.html
(5) http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/28/l-opposant-russe-alexei-navalny-place-en-residence-surveillee_4375478_3214.html
(6) CHUPIN Ivan, « Des médias aux ordres de Poutine ? L’émergence de médias d’opposition en Russie », Savoir/Agir, 28, juin 2014, p. 33-38
(7) http://fastncurious.fr/letrangere/vladimir-poutine-tsar-des-temps-modernes.html/
(8) http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/04/15/97001-20140415FILWWW00116-berlin-petition-pour-retirer-2-chars-sovietiques.php
(9) http://www.liberation.fr/monde/2007/03/05/estonie-statue-de-la-discorde_86640

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