Mardi 25 novembre, les étudiants du Master 1 de Communication Politique et Publique en France et en Europe ont eu le plaisir de recevoir Laurence Monnoyer-Smith, vice-présidente de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP).
Professeur en sciences de l’information à l’Université de technologie de Compiègne et chercheuse au Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Technique), elle a fait de nombreuses recherches sur les différentes formes de dispositifs de débat public et notamment sur les usages d’internet.
Son intervention à l’UPEC a porté sur la présentation de l’institution au sein de laquelle elle travaille, la CNDP, qui reste, malgré son rôle grandissant, assez peu connue des citoyens.
Débat public : des attentes fortes de la part des citoyens
Les citoyens ont de moins en moins confiance en leurs institutions et le sentiment d’un manque d’écoute et de prise en compte de leur point de vue. Ils souhaitent que leurs compétences et leur expertise du quotidien ne soient pas négligées. Le développement et l’accélération de l’accès à l’information participe de ce phénomène d’accroissement de la compétence et de l’expertise citoyenne en rendant possible la veille et l’appropriation des enjeux et de l’information.
Dans ce contexte, la CNDP fait le pari de promouvoir et de développer le débat public autour des grands projets. Le principal objectif est de redonner aux citoyens les moyens de s’exprimer sur les projets qui impacteront leur quotidien et leur avenir.
Laurence Monnoyer-Smith fait le constat d’une prise de conscience des enjeux planétaires, d’une radicalisation des controverses scientifiques et techniques, d’une complexification des dossiers, qui nécessitent l’intervention d’experts à de multiples niveaux et enfin d’une tendance de plus en plus forte à prendre des décisions engageantes sur le très long terme et pour les générations futures.
Pour l’ensemble de ces raisons, les citoyens souhaitent faire valoir leur point de vue, leur avis et ne pas confier ces questions aux seuls politiques qui ne montrent pas toujours une forte volonté d’implication.
Aujourd’hui, la manière dont le débat public est mené fait l’objet de critiques. D’un coté les citoyens se disent peu écoutés voir pas entendus, et de l’autre coté, les décideurs considèrent qu’un débat public est trop contraignant et fait perdre du temps dans la prise de décision et la mise en œuvre des projets. Il est donc nécessaire, comme l’explique Laurence Monnoyer-Smith, de garder l’esprit du débat public intact mais de renouveler profondément l’exercice.
La Commission Nationale du Débat Public : un outil de participation et d’aide à la décision
Créée en 1995 par la « loi Barnier » sur la protection de l’environnement qui fait entrer le principe de participation dans le cadre juridique français, la CNDP a pour mission d’organiser le débat public notamment sur l’opportunité, les objectifs et les caractéristiques des grands projets d’aménagement entrepris par l’Etat, les collectivités territoriales ou des acteurs privés. Depuis sa création, sa place et son rôle se sont précisés.
En 1998, la signature de la convention d’Aarhus marque une étape importante qui va renforcer le rôle de la CNDP quelques années après sa création. Cet accord international signé par 39 pays vise à améliorer l’accès à l’information et la participation des citoyens au processus décisionnel sur les questions d’environnement. Dans le cadre de cette convention devenue loi européenne, la CNDP va participer activement à l’évolution du débat public.
En 2002, la loi relative à la démocratie de proximité va élargir le principe de participation. La CNDP devient alors autorité administrative indépendante. Plus récemment, la « loi Grenelle II » de 2010 portant sur l’engagement national pour l’environnement va simplifier les procédures d’enquête publique et accroitre le rôle de la commission.
La CNDP est dirigée par un Président et deux vice-présidents. Elle comprend 22 membres qui viennent de secteurs divers. On retrouve des élus, des membres d’institutions comme la Cour des comptes ou le Conseil d’Etat, des associations, des représentants du monde de l’entreprise et des syndicats. Cette diversité d’acteurs permet à la CNDP de revendiquer son indépendance et sa neutralité.
L’ensemble des membres décide de façon collégiale de créer un débat public ou non sur les dossiers qui leur sont soumis lors des saisines. Cependant ils n’ont pas vocation à donner leur avis sur le fond des projets.
Les missions de la CNDP sont diverses. Elle doit avant tout décider de l’organisation de débats publics, qu’ils portent sur les projets dans leur ensemble ou uniquement sur des orientations générales. La commission est aussi en charge de prévoir les suites à donner après un débat. Elle a également un rôle de conseil auprès des autorités administratives et des maîtres d’ouvrage sur les questions relevant de la concertation avec le public. Enfin, elle produit des cahiers méthodologiques afin d’apporter un cadre aux débats et aux concertations.
Laurence Monnoyer-Smith a insisté sur les valeurs de la CNDP qui sont : la transparence, le débat argumenté, l’égalité de traitement des intervenants du débat, l’indépendance, notamment vis à vis des maîtres d’ouvrage, ainsi que la neutralité et l’impartialité car le débat public n’est pas le lieu de la décision.
La CNDP est donc un outil privilégié de participation et d’aide à la décision. Son objectif est d’informer le public, de veiller à sa participation et d’éclairer le maître d’ouvrage dans le but d’enrichir, de démocratiser et de légitimer la décision qui sera prise.
Débat public : organisation et fonctionnement
Plusieurs options s’offrent aux membres de la CNDP lorsqu’ils sont saisis d’un dossier. Ils peuvent choisir de lancer un débat public ou une concertation. Avant de prendre leur décision, le dossier soumis par le maître d’ouvrage est examiné. Pour lancer un débat public, il faut que le projet ait un intérêt national, un impact environnemental et un impact socio-économique. Une fois acté, le débat devra porter sur l’opportunité et les caractéristiques principales du projet. Les champs des débats publics sont multiples, tels que la création de routes, de lignes ferroviaires, de voies navigables, d’équipements culturels ou sportifs, d’équipements industriels, etc.
Alors, comment s’organise-t-il et comment fonctionne-t-il ? Une fois la décision d’organiser un débat public prise, une Commission Particulière du Débat Public (CPDP) est nommée par la CNDP pour organiser le débat. Elle est composée de 5 à 7 membres et organisée autour d’un Président et d’un Secrétaire général.
La CNDP fixe ensuite un calendrier qui s’organise généralement sur plusieurs mois. Elle prévoit d’abord un délai de 6 mois pendant lequel le maitre d’ouvrage, avec l’aide de la commission, constitue le dossier qui donnera lieu à la discussion. D’autre part, une pré-consultation est lancée et un site internet, un compte Facebook et Twitter sont créés. De la publicité autour du débat est faite sur internet et dans les médias, des ateliers sont également mis en place.
Après cette période de 6 mois, le débat est lancé par une réunion d’ouverture. De nombreux dispositifs participatifs sont alors mobilisés afin de permettre à tous les citoyens d’intervenir, de poser des questions, de donner leur point de vue. L’objectif est d’éclater les espaces de discussion afin de toucher le plus grand nombre. Les principales opérations mises en place sont les réunions publiques, les ateliers, les interventions, les débats mobiles qui peuvent se tenir dans des lieux publics notamment. Les dispositifs numériques sont également nombreux comme les forums de discussion thématisés, la rubrique questions/réponses, la retranscription de toutes les réunions publiques notamment grâce à la vidéo, un compte Facebook qui permet de diffuser de l’information et un compte Twitter qui est un espace de participation. D’autres modes de contribution plus ciblés, comme les cahiers d’acteur, permettent aux personnes morales de contribuer au débat. Laurence Monnoyer-Smith parle de dispositif hybride comprenant une partie en ligne et une partie hors ligne, ce qui est une révolution dans le débat lui-même et pour les institutions.
Généralement, cette période de débat dure 4 mois et se clôture par une réunion et la fermeture des espaces de contribution. Ensuite, la CPDP dispose de 2 mois pour faire un compte rendu des débats et la CNDP publie un bilan. Enfin, le maitre d’ouvrage prend la décision, et le débat public est alors définitivement clos et intègre l’archivage de la CNDP.
L’ensemble des moyens mis en place pour organiser le débat public a un coût estimé entre 600 000 et 1 million d’euros à la charge du maître d’ouvrage.
Aujourd’hui, la CNDP joue un rôle important dans le processus de décision des grands projets d’aménagement. Elle travaille par exemple actuellement sur des projets comme les liaisons ferroviaires Bretagne-Loire (LNOBPL) ou encore le Port Seine Métropole Ouest (PSMO). Cette institution en perpétuelle évolution fait aujourd’hui face à plusieurs défis pour accroitre l’efficacité du débat public.
En conclusion, Laurence Monnoyer Smith considère qu’il est essentiel d’avoir une meilleure discussion sur l’opportunité des projets, qu’il faut également améliorer l’inclusion des citoyens et l’ouverture des débats, et être toujours attentif au maintient de l’indépendance de la commission. A travers ces différents objectifs, la CNDP souhaite renforcer son rôle et amplifier son action.