Les étudiants du Master 1 Communication politique de l’UPEC ont eu le plaisir d’accueillir Antoine Nazaret le 27 octobre 2014. Lors de cette intervention, Antoine Nazaret est revenu sur les débuts du numérique au sein des campagnes présidentielles en 2007 et notamment celle de François Bayrou. Cet intéressant témoignage vous est retranscrit dans cet article.
Antoine Nazaret a un parcours atypique. C’est à la suite d’une rencontre fortuite avec le candidat de l’UDF (aujourd’hui UDI), François Bayrou, un soir que tout commence. Après avoir pris contact avec sa directrice de campagne, il commence à intégrer l’équipe du candidat à l’élection présidentielle de 2007 – une équipe très resserrée, entre 20 et 30 personnes. Pour Antoine Nazaret, le futur MODEM ressemblait, à l’époque, à un « club de foot amateur, à une association, mais pas à une entreprise ». Il y a une organisation très souple qui le surprend dès le départ. En effet, notre interlocuteur avait fait une campagne en 2002 au Parti Socialiste, qui selon ses propres mots, est une « grosse machine ». Lorsqu’il intègre l’équipe, il va rapidement s’occuper de tout ce qui concerne internet et le contenu vidéo.
- Un nouvel outil entraînant des changements structurels révolutionnaires
Ce qui est intéressant de noter, c’est que la campagne se passe à une époque où la vidéo prend un essor tout à fait extraordinaire mais aussi où les réseaux sociaux, tels que Facebook et Twiter, naissent. Cela va entrainer de nombreux changements structurels au sein d’un parti (UDF) qui, à la base, est considéré comme un « challenger » sans aucune chance.
Le premier changement peut être illustré par le passage d’une association à une « Start Up » en plein essor. Selon Antoine Nazaret, la structure de l’UDF va grandir très rapidement. C’est une véritable révolution, selon lui, qui est en train de se produire au sein du parti. Très rapidement, il y aura la création d’une cellule audio et vidéo. Nous sommes dans un environnement en pleine mutation qui va totalement bouleverser la campagne.
En 2007, Les équipes de campagne pensent qu’il faut proposer de la photo, du texte et de la vidéo. C’est d’ailleurs la première chose que notre invité nous confie. En effet, à l’époque il était convaincu de la puissance de cet outil pour mener une campagne.
Du fait de sa nouveauté, le parti reste souple sur les règles. Autrement dit, les communicants ont une grande liberté (chose que l’on ne retrouve plus aujourd’hui). Les premières propositions vont être des récits de journées d’un candidat en campagne (ce sont ces moments que les communicants arrivent à capter, des moments souvent privés, à la marge, en dehors de ceux couverts par la presse).
C’est aussi l’occasion pour le parti d’expérimenter de nouvelles technologies ou d’innover. Par exemple, lors du premier meeting de Lille, il y a une tentative de direct, qui se soldera par un échec. Les membres de l’équipe de campagne ne contrôlent pas tout, comme le montre l’évènement de la chute du cameraman sur Bayrou lors du meeting.
De plus, Antoine Nazaret met en avant l’importance de l’arrivée des chaînes d’information en continu qui sont preneuses des vidéos produites par les équipes de campagnes. En fait, tout à coup, les contenus audiovisuels de l’équipe de Bayrou vont être retransmis sur l’ensemble des chaines télévisées et diffusées à l’échelle nationale.
Cette nouvelle notoriété va entraîner une modernisation des règles, comme la manière de filmer le candidat (d’en bas pour qu’il est l’air plus grand avec une stature de chef), la salle (pour que celle-ci apparaisse pleine). L’image prend de plus en plus d’importance dans une campagne. Il apparaît directement que « bien filmer » et « bien partager » la vidéo, permet de véhiculer un message de façon plus efficace. Toutefois, comme c’est un outil nouveau, mal contrôlé, très vite, il va y avoir des détournement, des vidéos volées qui vont être retransmises dans les journaux télévisés, ou encore des vidéos produites directement par les partis très ludiques et artisanales. On pense ici à la vidéo « Show gars » de la campagne de Sarkozy en 2007. De tels écueils sont quasi impossibles aujourd’hui, nous explique Antoine Nazaret qui précise que les partis ont, depuis, pris conscience de l’impact de ces dispositifs audiovisuels, de leur importance et de la nécessité de les contrôler de bout en bout. Par exemple, quand Nicolas Sarkozy communique son retour en politique ; il le fait via un billet sur Facebook. Ce qui en 2007, se montrait inconcevable.
A l’époque, Antoine Nazaret insiste sur le fait que tout le monde apprend en faisant et que peu de contrôle n’est exercé par le parti sur ces contenus. Les médias sociaux naissent, réellement, en 2005 en France. Le quinquennat de Sarkozy commence sur les images « OFF » de lui qui font 4 millions de vue sur les réseaux sociaux, ce qui n’existe plus aujourd’hui. On est dans un moment de mutation important. L’exemple type, que nous livre notre invité, c’est la mise en ligne des propos d’Olivier Duhamel déclarant être pour BAYROU à Science Po Paris entrainant sa suspension de l’antenne de RTL.
Par conséquent, suite à l’élection présidentielle de 2007, la vidéo va prendre un ton institutionnel avec la mis en place de rituel politique. Il y a la production de clip vidéo dans tous les partis, un engouement naturel conduisant à la professionnalisation de ces métiers au sein de la campagne. Antoine Nazaret, nous confie que cette campagne fut une continuité d’innovation.
- Une campagne de rêve
Lors de la campagne de 2007, Bayrou finit troisième (18%). La campagne se passe extrêmement bien, à tel point que certains partisans rêvent de second tour. Le candidat va faire pratiquement 18% au premier tour et nous sommes, alors, dans un moment inédit où le « N°3 » va faire l’élection. En effet, François Bayrou se pose comme l’arbitre de l’élection. Ce phénomène sera un changement majeur.
Antoine Nazaret met en avant l’atmosphère extraordinaire qui régnait au sein de l’équipe de campagne. Ils se mettent à remplir complètement des salles, des zéniths… ce qui était inconcevable au début de la campagne et qui les surprend eux mêmes. Cette nouvelle notoriété se voit particulièrement au dernier meeting, au siège de l’UDF. Tout le monde est marqué par le nombre de personnes présentes ; il y a des correspondants du monde entier. En fait, Antoine Nazaret met en avant le fort taux de médiatisation du candidat Bayrou alors même que celui-ci devait avoir le même destin que Chevènement en 2002. Cette sur-médiatisation va entraîner de profonds changements. Toute l’équipe de campagne ne s’y attendait pas. Il y a une explosion des moyens humains, matériels et des aides provenant des militants (parfois cela sera même difficile à gérer).
- A coté de cela, il y a des combats politiques
Dans la tempête d’une campagne, l’homme politique dit à peu près trois fois la même chose en une journée (TV, Radio, Presse). Et justement, ces médias sont sous le feu des critiques du candidat Bayrou. Il les accuse parfois d’être à la botte des grands partis. C’est en cela qu’Internet va présenter un véritable intérêt pour le candidat de l’UDF. En effet, internet incarne complètement cette volonté de se délier des médias. Cet instrument lui offre une liberté de communication totalement autre et un nouveau territoire d’expression selon Antoine Nazaret. D’après lui, il y a un phénomène structurant car François Bayrou s’intéresse au blog, répond aux e-mails…. Le candidat se trouve soumis à ses propres règles et le temps de parole n’est plus un problème. Le candidat n’est pas piloté par seulement « la rentabilité de son temps », comme le montre une émission réalisée pendant la campagne de deux fois trois heures d’entretien. En terme de rentabilité, cela est dément, il aime ce côté de liberté. Toutefois, notre interlocuteur met en avant qu’il est impossible d’avoir un retour concret sur l’impact de sa campagne sur internet.
D’ailleurs, ce fut une des causes qui poussa Antoine Nazaret à évoluer vers le secteur privé (responsable du contenu vidéo chez Dailymotion). L’experience politique est très complexe à quantifier en terme de résultats , ce qui ne permet pas forcement une auto-évaluation de son travail précis, contrairement à certaines entreprises privées. Antoine Nazaret explique son choix par cette cause mais aussi par le fait que malgré le côté « magique » de la campagne de 2007, ce qui reste à la fin, c’est une défaite. Une défaite où les raisons ne sont pas directement visibles. Une défaite qui induit un changement structurel, un retour a cette structure limitée.