Les étudiants du Master 1 Communication politique de l’UPEC ont eu le plaisir d’accueillir le 7 octobre dernier Valérie Peugeot, vice-présidente du Conseil National du Numérique et, entre autres activités, Présidente de l’association VECAM. Elle a explicité le rôle du Conseil National du Numérique (CNNum) et présenté aussi les points importants du rapport sur l’inclusion numérique, instance encore peu connue du grand public. Retour sur une intervention qui a suscité de nombreux débats au sein de la promo.
Un parcours professionnel atypique
Valérie Peugeot débute son intervention en nous présentant un parcours professionnel et militant éclectique. Titulaire d’un double diplôme en Droit et Science Politique et après un bref passage au Parlement Européen en tant qu’assistante parlementaire, Valérie Peugeot travaille et milite depuis 15 ans dans le milieu associatif et plus particulièrement auprès de l’association VECAM dont elle est actuellement la Présidente. Cette association promeut les usages sociaux et démocratiques des Technologies de l’Information et de la Communication tout en donnant aux citoyens les moyens de s’interroger, comprendre, débattre et s’approprier les transformations liées au numérique. Actuellement chercheuse au laboratoire de Sciences Humaines et Sociales d’Orange Labs, elle continue sa carrière en tant que vice-présidente du Conseil National du Numérique depuis Janvier 2013.
A partir de son expérience du monde associatif, de l’entreprise et des institutions publiques, Valérie Peugeot revisite certains sujets liés au numérique pour les aborder sous différents angles au sein du Conseil National du Numérique. Une volonté de faire « bouger le monde ». Celle-ci nous a dévoilé les principaux points que traite le rapport Citoyens d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiations, Pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion du CNNum. Explications.
Le Conseil National du Numérique
Créé en Avril 2011 par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, le CNNum a connu sa première refondation à la suite de l’élection de François Hollande. L’ancienne mouture, essentiellement composée de « grands patrons du numérique » a laissé place à une organisation plus « hétérogène », comme nous le dit Valérie Peugeot. Cette fois-ci composée d’enseignants, de chercheurs, de créateurs de petites entreprises, de grands patrons du numérique mais également d’associations. La mission de ce Conseil National est d’émettre recommandations et avis sur les questions relatives à l’impact du numérique sur la société et l’économie. Afin d’émettre ces recommandations le Conseil se fonde sur le savoir-faire des gens du métier. Un important travail d’écoute d’une pluralité d’acteurs est organisé avant d’entreprendre le travail de groupe et la restitution des avis. Toutefois, Valérie Peugeot relativise l’influence que le CNNum peut avoir sur les décisions publiques : « il y a un certains sujets sur lesquels nous ne sommes pas entendus, notamment le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme ». Même s’il est difficile d’évaluer les effets du CNNum car c’est un travail qui s’inscrit dans la durée, celui-ci a ses victoires lorsqu’une recommandation est prise en compte ou qu’une association s’appuie sur ces rapports pour fortifier son argumentaire. Cela a été le cas de la proposition de loi dans la « lutte contre le système prostitutionnel » lorsque l’article 1 qui prévoit le blocage de sites de proxénétisme hébergés à l’étranger a été retiré de la proposition de loi suite à une recommandation du Conseil. Le Conseil National du Numérique effectue un travail de sensibilisation à l’intérieur du gouvernement et des administrations ou encore un travail de légitimation auprès des associations mais n’a en aucun cas vocation à remplacer les experts. Il essaie, avec les moyens qui sont les siens, d’amener un regard décalé par rapport aux institutions qui réfléchissent sur les questions du numérique.
De plus, nombre de sujets ne sont pas uniquement du ressort du « national », certains sont liés aux collectivités territoriales et d’autres doivent être portés à l’échelle européenne. C’est le cas de l’optimisation fiscale (ce qui renvoie aux moyens pour une entreprise de réduire sa charge fiscale) avec Google et Starbuck.
Le Conseil peut être saisi par le gouvernement mais peut également s’autosaisir lorsque les membres estiment que c’est nécessaire, notamment sur le thème des libertés numériques.
Un thème qui nous paraît particulièrement intéressant : la neutralité d’internet
Valérie Peugeot estime que la neutralité du net, un principe fondateur d’Internet, est aujourd’hui attaquée de toutes parts et devient difficile à défendre. Le principe fondamental est que tout contenu doit pouvoir circuler de la même manière. Dans une société où les données sont de plus en plus lourdes, les opérateurs télécom souhaiteraient que les utilisateurs de gros volumes de données payent plus dans la mesure où les infrastructures à installer leur coûtent plus cher. Valérie Peugeot nous confie que ce serait une catastrophe pour la neutralité du net car cela donnerait un avantage considérable aux grosses entreprises et défavoriserait les plus petites qui ont moins de moyens.
La problématique des infrastructures n’est pas la seule, nous sommes dans un système où les acteurs créaient chaque jour de nouveaux services qui se concentrent autour des géants du web tels que Google et qui pourraient bien, à terme, tuer l’innovation et mettre en danger la vivacité du marché. Suite à ce constat, des recommandations sur les régulations à mettre en place pour garder l’innovation propre au web ont été faites.
Focus sur l’inclusion numérique dans le rapport « Citoyens d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiations, Pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion »
Parce que le sujet lui semble tourner en rond au niveau européen, le gouvernement français a demandé un rapport au Conseil National du Numérique sur la question. L’utilisation de l’internet est différente pour chacun et lorsque que l’on commence à en maîtriser quelques techniques, de nouvelles apparaissent. Valérie Peugeot estime certes, qu’Internet permet l’ouverture sur le monde mais peut aussi être facteur d’exclusion en fonction de l’usage que l’on en a. Selon une enquête du CREDOC, datant de 2012, un quart des personnes interrogées déclaraient que le numérique était une source d’angoisse au travail. Le rapport montre qu’il y a un manque réel de formations aux techniques de l’internet au sein des entreprises. Le rapport « Citoyens d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiations, Pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion » du Conseil National du Numérique révèle quatre leviers d’action pour réduire l’e-exclusion.
Il est d’abord indispensable de poursuivre une politique ciblée de soutien à l’accès à internet ainsi que l’accompagnement des usagers. Pour cela, le rapport propose de développer des « tarifs sociaux » ciblés pour l’internet et le mobile, de créer un « trousseau numérique » mis à disposition de tous les Français, ou encore de prévoir un poste d’agent du développement numérique dans les territoires pour penser ce qui va être transmis dans les tuyaux. Il y a aujourd’hui une obligation de s’intéresser aux usages et pas qu’aux infrastructures.
Ensuite, la littératie : dans une « société du numérique » il faut être capable d’être créateur de contenu et avoir une culture informatique. Il faut comprendre comment fonctionne l’économie du numérique. Pour cela le Conseil préconise un bouquet de compétences évolutives pour une véritable culture numérique. Cela signifie de former les enfants au numérique dès leur plus jeune âge mais également les intermédiaires tels que les enseignants, les travailleurs sociaux et les formateurs professionnels ainsi que tous les publics exclus.
Dans la mesure où l’on assiste à une dématérialisation croissante des démarches administratives (déclarations, inscriptions etc.) il est important de mettre en place des médiations pour que cette dématérialisation ne soit pas une double peine pour tout ou partie de la population (les personnes qui ne parlent pas bien français ou qui ne savent tout simplement pas utiliser un ordinateur ou internet). Ce mouvement de dématérialisation doit être accompagné en introduisant des médiations dans tous les territoires pour encadrer les personnes éloignées du numérique, les réseaux des Espaces Publics Numériques (EPN) ne suffisent plus, il faut élargir les missions mais aussi former les intermédiaires. On peut par exemple envisager que les travailleurs sociaux des maisons de retraite aident les personnes âgées à utiliser Skype pour communiquer avec leur famille. On peut également imaginer des maisons de services communalisées où l’on pourrait avoir accès à plusieurs services publics à la fois (CAF, Pôle emploi etc.) en maillant le territoire et en se basant sur des logiques de mutualisation grâce à des médiateurs numériques au plus près de leurs habitants.
Enfin, renforcer le « pouvoir d’agir » des citoyens en soutenant l’innovation sociale présente partout en France et qui a besoin d’être encouragée car, comme le dit Valérie Peugeot, « l’innovation est autant sociale que technologique ». Pour cela, le travail de sensibilisation des élus locaux est très important. Nombre d’entre eux pensent infrastructures et haut débit ou réseaux sociaux et pas assez enjeux sociaux et politiques du numérique.
Samedi 5 Octobre a été lancée une concertation nationale sur le numérique. Au-delà des rapports déjà rendus, il y un souhait de la part de l’Etat de faire monter les questions relatives au numérique dans la société française et d’aboutir à un certain nombre de dispositions. Le système de concertation est une plateforme en ligne, ouverte à tous les citoyens dans le but d’écouter le plus largement possible ce que les Français ont à dire sur ce sujet-là.
Vous pouvez participer à cette concertation sur la plateforme suivante www.contribuez.cnnumerique.fr.
Le Conseil National du Numérique est présent sur Twitter : @CNNum.