Les étudiants du Master 1 de Communication Politique et Publique en France et en Europe ont eu la belle opportunité de rencontrer Arnaud Gonzague, journaliste chargé des questions d’éducation au « Nouvel Observateur », pour aborder les problèmes de la crise de la presse et plus particulièrement des newsmag. Son intervention a été organisée par Brigitte Sebbah dans le cadre du cours sur « Les Médias en Europe ». La rencontre a été live-twittée par les étudiants sur le compte du Master : @salle421.
Les newsmag ont été crées dans les années 60. Le premier en France fut L’Express. L’idée de départ était alors de s’inspirer des hebdomadaires américains. Pour Arnaud Gonzague, aujourd’hui, la situation de ces derniers a bien évolué, mais n’est pas aussi catastrophique qu’on le pense. Seulement, il semblerait qu’ils soient victimes d’un certain mal-être, émanant du développement des technologies numériques. Développement qui les place en position embarrassante allant jusqu’à mettre en péril leur légitimité. L’objectif est alors de faire évoluer leur modèle sans brusquer le lectorat.
Le lectorat du « Nouvel Observateur » est plutôt important, puisqu’il est le premier newsmag français en termes de vente, avec 520 000 lecteurs par semaines. Parmi ces lecteurs ont compte 450 000 abonnés, le reste venant de la vente en kiosque. Le problème est qu’aux yeux des publicitaires cette vente en kiosque est bien plus intéressante, les acheteurs étant plus sensibles à la publicité. Or, ces ventes ont largement baissé ces dernières années, passant de 90 000 ventes à 60 000. Cette crise est directement liée aux nouvelles technologies.
De l’âge d’or des newsmag à la rupture des années 2000
La vocation des newsmag est de résumer de manière « intelligente » la semaine politique, économique et les grands enjeux. C’est-à-dire qu’ils doivent opérer un traitement froid de l’information, très différent de la manière dont on procède pour l’information à chaud. Auparavant, le milieu de la presse laissait la possibilité de bien distinguer ces deux mondes, puisqu’à l’époque, le lectorat avait le temps d’attendre qu’on lui amène toutes ces analyses. Les newsmag se démarquaient des journaux traditionnels car ils apportaient un cachet politique et intellectuel, une plus value unique. C’était chic d’avoir un de ces magazines chez soi, on appelait ça l’«effet table basse ». Cela s’inscrivait dans « une logique de distinction sociale d’apparence implacable » pour reprendre les termes de Pierre Bourdieu dans son ouvrage La distinction. Critique sociale du jugement.
Cependant, il y a eu une rupture dans les années 2000, avec l’émergence des chaînes d’information en continue et par la généralisation de l’utilisation d’internet. Et ce parce qu’avec ces évolutions, deux problèmes sont apparus. Premièrement, une modification des temporalités. Une semaine dans les médias, actuellement, c’est très long. Le preuve en est avec la disparition du magazine Newsweek le 18 octobre 2012, le mot « week » apparaissant trop désuet. L’occasion pour ce dernier d’annoncer son passage au tout-numérique. Cette transformation des temporalités, le « Nouvel Observateur » l’a ressent. Le lecteur aura le jeudi un journal pensé le jeudi de la semaine précédente, ce qui fait qu’évidement, l’information sera déjà obsolète.
L’alternative consiste alors à se développer sur le web. Néanmoins, il est difficile de se transformer en journaliste quotidien lorsqu’on est un journaliste magazine. Arnaud Gonzague fait une comparaison de la situation de la presse avec la transition du cinéma muet au cinéma parlant. Transition qui a laissé de côté des réalisateurs formidables, ce qui pourrait arriver à certains journalistes.
Deuxièmement, il y a un souci concernant la qualité de l’information. Aujourd’hui, les sociologues, intellectuels, philosophes n’interviennent plus seulement dans les newsmag mais absolument partout, sur Twitter, sur leur blog etc. Finalement, les magazines n’ont plus cette exclusivité.
Tout cela amène à ce que Christophe Barbier, directeur de la rédaction de « L’Express », appelle « l’effet cholestérol ». Arnaud Gonzague s’explique : au moment où le Pape François se fait élire suite au départ de Benoît XVI, l’équipe du magazine se décide à faire sa une sur le sujet. Pour cela, de nombreux journalistes vont être envoyés sur place,. Une très bonne couverture en découlera. Cependant le « Nouvel Observateur » au même moment fait sa Une sur le cholestérol. Ils optent pour ignorer l’actualité, et la stratégie sera gagnante puisque les ventes seront meilleures. Christophe Babrier conclu alors que, face à une information qui a déjà été traitée de nombreuses fois par d’autres médias, un effet de lassitude s’installe chez le lectorat. Pour contrer cet effet là, il vaut mieux se détacher volontairement de l’information pour ne pas courir après elle.
Les solutions envisagées face aux enjeux économiques
Certains magazines ont choisi de rendre tout simplement l’information payante sur le web. Ce qui soulève une question : les gens sont-ils prêt à payer pour lire l’information ? Le projet du « Nouvel Observateur » serait de créer « L’Obs du jour », un quotidien payant en ligne pour enrayer cette fuite du temps. Ce projet, en ce moment, est toujours débattu.
Autre débat qui agite le monde de la presse, l’apparition du modèle des MOOK , qui pourrait placer les newsmag face à une concurrence très sérieuse. Tout comme les revues trimestrielles, comme « 21 » qui sont une grande réussite. Cette dernière est distribuée par les librairies et les surfaces culturelles. Sa logique : mieux vaut faire un bel objet, avec un papier long et cher à produire. Quelque chose que les gens vont garder. Il faut redonner du temps aux lecteurs. Mais faire du « Nouvel Observateur » un MOOCs reviendrait à restreindre son public et a se mettre économiquement en danger. Par exemple, le « 21 » a 51 000 lecteurs tous les trois mois, ce qui est loin des chiffres du newsmag.
Enfin, la troisième voie envisageable serait la production d’un magazine qualitatif et intriguant, que les gens seraient prêt à acheter toutes les semaines à 3€80, à l’image du « 1 ». Le concept de ce magazine est de traiter un seul sujet par semaine de manière « intelligente » en faisant intervenir des intellectuels. Le problème étant toujours qu’ils s’expriment à présent massivement sur les outils numériques. Tous cela fait qu’aujourd’hui, il y a une sorte de délégitimation des avis de ces derniers dans les newsmag : un édito n’est jamais qu’un avis de plus.
Le milieu journalistique, source du problème ?
Finalement, il y a une délégitimation des journalistes et des élites. Or, comme le dit Jacques Juillard, la République repose sur un pacte, celui de la confiance que le peuple accorde à ces élites. C’est exactement la même chose pour la presse politique. A partir du moment où il y a une crise des élites, qu’on ne considère plus comme représentatifs, ils sont délégitimés. Cela s’illustre parfaitement à travers le référendum de 2005 pour une Constitution Européenne. A ce moment là, la presse appelait à voter massivement « Oui » mais c’est le « Non » qui l’a emporté. La question que pose Arnaud Gonzague est-alors : est-ce que les élites, dont les journalistes de la grande presse, méritent d’être toujours légitimes?
Pour lui, le problème vient du fait qu’il y a eu un resserrement social des journalistes. C’est-à-dire que le monde social dont sont issus ces derniers, est un monde très resserré qui favorise la reproduction des élites à cause d’une professionnalisation de la presse. Avant, ce milieu était ouvert à des profils variés, alors qu’aujourd’hui il est constitué davantage des jeunes issus des écoles de journalisme. Bilan : même milieu, même préjugés de classe, même rapports aux problématiques de la société. Ce milieu homogène ne favorise donc pas l’égalité des chances et le pluralisme démocratique et la multiplicité des points de vue.
Retrouvez Arnaud Gonzague sur Twitter : @ArnaudGonzague