Historiquement, les élections qui suivent la mise en place d’un nouveau gouvernement ne lui sont jamais très favorables. Durant les mois précédant le scrutin, ni le gouvernement dirigé par Jean Marc Ayrault, ni le président François Hollande, n’avaient trop la côte auprès des Français. En effet, les niveaux de popularité du Président de la République et du Premier ministre se situaient respectivement à 22% et 24% en décembre 2013 ; 78% des personnes interrogées se déclaraient en outre mécontents « de François Hollande comme Président de la République », contre 22% de satisfaits1. Pourtant, les sondages n’avaient pas prévu que ce scrutin allait se transformer en véritable cataclysme pour le Parti socialiste.
Dimanche 23 mars : le premier tour laisse présager un résultat défavorable à la majorité et François Hollande. Dimanche 30 mars : le deuxième tour sonne le KO du gouvernement. Cette défaite est historique par son ampleur et affaiblit un peu plus un président déjà en mal de popularité.
Débâcle historique pour le Parti de la majorité
La gauche craignait un « 1983 ». C’est un remake du raz de marée de 1977 auquel a assisté, impassible, la majorité actuelle ; sauf que la victime n’est pas le RPR mais le PS.
Laurent Fabius assumait au soir du scrutin « une défaite électorale incontestable », Ségolène Royal a quant à elle jugé la sanction « particulièrement sévère »2. Et pour cause, pas moins de 155 villes de plus de 9000 habitants ont été cédées à la droite.
Même les triangulaires PS-UMP-FN – à priori favorables à la gauche – n’ont pas permis un sursaut au second tour. Ceci à l’exception de la seule grande ville ayant échappé au tsunami : Avignon -sûrement effrayée par les menaces de délocalisation énoncées par le président de son emblématique festival.
Par ailleurs, le « front républicain » auquel ont appelé les ténors de la majorité en place ne semble pas avoir apaisé la défiance des Français à l’égard du système de partis. En effet, il semble plutôt avoir appuyé une confusion droite/gauche, voir nourri le discours propagandiste concernant l’ « UMPS », claironné par l’extrême droite3. Paradoxalement, l’UMP a su imposer et légitimer son identité propre en prônant le « ni – ni ».
La défaite du PS, selon Hubert Huertas4, s’est jouée au premier tour sur sa droite, avec des scores élevés pour l’UMP et le FN et au second tour, sur sa gauche, qui a exprimé ses distances par rapport aux décisions du gouvernement et n’a donc réussi ni à se rassembler, ni – et surtout – à mobiliser ses électeurs.
Le Parti socialiste sauve les meubles en préservant tout de même les symboliques Paris, Lyon et Lille. Il parvient également à conserver Metz et Strasbourg, in extremis. Cependant, la gestion des intercommunalités de ces grandes villes – et de quelques autres – risque d’être ravie à la gauche, lors du « troisième tour »5.
Le début, ou la suite, des ennuis pour le PS ?
L’abstention est la grande gagnante de ce scrutin. Elle affichait 36.45% au premier tour et dépasse les 38% au second tour. Les Français éprouvent de plus en plus de défiance à l’égard de la classe politique et les affaires judiciaires récentes n’ont rien arrangé – même si paradoxalement Patrick Balkany, en délicatesse avec la justice, a été reconduit dès le premier tour à la tête de Levallois.
L’appel à la mobilisation lancé par la majorité pendant l’entre deux tours n’a pas été entendu par le cœur de l’électorat de François Hollande, qui, déçu de la politique menée depuis le début du quinquennat, a particulièrement boudé les urnes. Cependant, l’abstention de dimanche 30 mars est à relativiser du fait de l’élection d’équipes municipales dès le premier tour dans 30112 communes sur les 36767 que compte le territoire. Un sursaut de participation a été observé dans les villes où le résultat semblait incertain à l’issu du premier tour, notamment pour contrer le Front national, rappelle Brice Teinturier, directeur de l’institut Ipsos.
En effet, le succès est en demi-teinte pour le Front National, qui ne conquiert finalement que 11 villes de plus de 9000 habitants, comparativement aux espérances que laissait présager le premier tour. Il a réussi malgré tout à jouer les arbitres dans de nombreuses villes au second tour. Il est ainsi parvenu à se doter d’une incroyable visibilité médiatique. Au final, il impose près de 1500 conseillers municipaux.
Au soir du scrutin, Marine Le Pen a affirmé qu’il était né en France « une troisième force élective ». En effet, celle-ci s’est attachée à vanter une future gestion « sereine » des villes FN pour rassurer les électeurs. Elle souhaite renforcer sa stratégie de crédibilisation du parti par le bas, c’est-à-dire par un ancrage territorial solide. Ceci va permettre aussi au FN de rompre ultérieurement avec le feuilleton quinquennal des 500 signatures, indispensable pour présenter un candidat aux élections présidentielles.
Le parti de Marine Le Pen risque à nouveau de donner du fil à retordre au gouvernement de François Hollande aux élections européennes de juin prochain. Un sondage Ipsos/Steria le créditerait déjà de 22% des voix, derrière l’UMP (24%) mais devant le PS (19%)6.
En outre, le basculement à droite qui vient de se produire, pourrait lors du renouvellement partiel en septembre prochain, sceller le sort d’une majorité déjà fragile au Sénat. Les sénateurs sont en effet élus essentiellement par les représentants municipaux.
Pour ne rien arranger, la crainte d’un affaiblissement de la majorité à l’assemblée nationale se fait sentir avec le refus des Verts de participer au gouvernement de Manuel Valls. Ces derniers, libérés des accords gouvernementaux, auront toute latitude pour retrouver leur indépendance. Quant à la gauche de la gauche, déjà échaudée par le pacte de compétitivité, elle a déjà largement fustigé la nomination du Premier ministre et la qualifie de « suicide politique »7.
Pour faire oublier le désastre de ce premier test, François Hollande a voulu agir vite. Pendant l’entre deux tours, 71% des Français se disaient favorables à un remaniement et 67% réclamaient un changement de Premier ministre ; au moins ils ont été entendus sur ce point.
Lors du débat de second tour, le député UMP Bruno Le Maire considérait que ce vote sanction exprimait « une forme de démocratie à bout de souffle »8. A en croire les nombreuses voix qui s’élèvent contre la nomination de Manuel Valls à Matignon, on peut se demander si un changement de casting suffira à relégitimer l’action du Président de la République.
Clémence Martin
1 Baromètre Ifop publié dimanche 22 décembre 2013 dans le Journal du Dimanche