Une voie pavée d'or pour Hidalgo ?

Les municipales peuvent-elles permettre à la droite de reconquérir de grandes villes ? A deux mois des élections, l’UMP et ses alliés semblent disposer d’une conjoncture politique favorable sur fond d’impopularité et de rejet de la politique du gouvernement Ayrault. Ces élections seront un premier test pour la gauche et pour François Hollande qui ont déjà été désavoués dans les 8 élections législatives partielles depuis 2012 (1).

Cependant, même si la gauche devrait être en net recul, les grandes villes de province détenues par le PS comme Lyon, Nantes, Rennes, Lille, Montpellier et Toulouse ne devraient pas basculer (2). Seuls Reims et Strasbourg peuvent bénéficier d’une alternance en cas de forte poussée de la droite. Mais c’est dans la capitale que le débat se cristallise. En effet, dans sa stratégie de reconquête du pouvoir, l’UMP rêve de s’offrir Paris. Les cadres de la rue de Vaugirard voient dans la victoire de la ville lumière un symbole du retour de la droite aux commandes des exécutifs locaux.

Un mode de scrutin particulier

Nathalie Kosciusko-Morizet peut-elle faire basculer Paris à droite ? Si l’UMP espère que l’impopularité se traduira par une « vague bleue » elle sait que la barre demeure très haute dans la capitale. La gauche est ultra majoritaire à Paris ou elle détient 12 arrondissements sur 20 ; 12 députés sur 18 ; 8 sénateurs sur 12 et François Hollande y a obtenu 55,6% des voix aux présidentielles de 2012.

La partie est donc loin d’être aisée pour la droite à cause notamment du mode de scrutin particulier pour Paris, Lyon et Marseille. En effet, dans les trois grandes villes de France, ce n’est pas le nombre de voix obtenues sur l’ensemble de la ville qui accorde la victoire mais le nombre de conseillers municipaux élus dans chacun des arrondissements. Ainsi en 2001, le maire sortant Jean Tiberi était majoritaire en voix mais minoritaire en sièges ce qui a donné la victoire à Bertrand Delanoë. A Paris il n’y a donc pas une mais vingt élections municipales.

Une répartition qui avantage la gauche ?

Plusieurs observateurs de la vie politique affirment que la structure de l’élection parisienne avantagerait sociologiquement et politiquement la gauche. On peut se demander en quoi cela se vérifierait alors que la population parisienne s’embourgeoise, que la gentrification est devenue la norme et que les personnes votant traditionnellement à gauche, ouvriers et employés, délaissent la capitale pour sa banlieue ?

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot affirment dans « Sociologie de Paris » (3) que la gentrification n’entre pas en contradiction avec les évolutions électorales parisiennes. Ils estiment que les nouveaux cadres qui investissent Paris se dépeignent selon « un capital scolaire et culturel sociologiquement de gauche et des opinions résolument libertaires qui paraissent caractériser ces couches sociales appelées « bourgeois-bohèmes ».

La déprolétarisation de Paris serait donc, paradoxalement, un avantage pour la gauche puisque ces « bobos » combineraient une adhésion au libéralisme économique avec un libéralisme culturel trouvant un écho dans la gauche actuelle. On se souvient que Bertrand Delanoë se disait en 2008 « libéral et socialiste » dans un livre d’entretien avec Laurent Joffrin (4) et n’a pas lésiné durant ses 13 ans de mandats sur la culture…

Sociologiquement et politiquement, Paris pencherait donc à gauche. Ainsi une note réalisée par « Délits d’Opinion », un « think tank » regroupant des professionnels de la vie politique (sondeurs, lobbyistes, communicants, publicitaires), (5) montre que les chances pour la droite de reconquérir Paris sont extrêmement minces et que pour atteindre cet objectif, les listes conduites par NKM doivent réussir la conjonction de plusieurs objectifs :

1. Faire le plein de conseillers dans au moins trois des neuf arrondissements qui ne changeront à priori pas de majorité qu’ils soient favorables à la gauche ou à la droite (3e, 10e, 11e, 13e, 15e, 17e, 18e, 19e et 20e).

2. Conquérir un minimum de deux arrondissements de plus de dix conseillers. La droite a ciblé le 12ème et le 14ème arrondissements comme les plus susceptibles de passer à droite.

3. Gagner deux des « petits » arrondissements parmi le 4e, 5e et 9e arrondissements.

A la vue de cette typologie, le basculement de la ville serait hautement improbable. Seulement, l’institut précédemment cité s’est basé sur les résultats des précédentes municipales en 2008 et des présidentielles de 2012 oubliant qu’en politique, deux ans sont une éternité et qu’aujourd’hui personne n’est en mesure de chiffrer le poids du mécontentement des électeurs. Est également méconnu, le choix des parisiens de mettre un bulletin à consonance locale dans l’urne ou d’exprimer une résonance nationale sous forme d’avertissement à l’exécutif socialiste. Dans le premier cas, Hidalgo n’aurait pas trop de soucis à se faire, dans le second, NKM pourrait tirer son épingle du jeu.

Les dissidences : un enjeu ?

Selon Jean-Luc Mano, conseiller en communication de NKM, la droite et la gauche ont toutes les deux un obstacle en travers de leur route : « les dissidences » (6):

  • La dissidence de nombreuses listes de droite dans des arrondissements favorables à la droite et essentiels pour la reconquête de la ville.

Ainsi l’éparpillement des voix et l’ambiance tendue au sein de l’UMP parisienne peut entraîner l’ancienne maire de Longjumeau dans une spirale de défaite. La fameuse « machine à perdre ».

  • La dissidence d’Europe Ecologie Les Verts, partenaire du Parti Socialiste dans la majorité actuelle et qui part seul dans cette échéance.

Jean-Luc Mano ne ferait-il pas preuve là d’une mauvaise foi évidente tant la nature de ces deux « dissidences » n’est pas identique? Là ou Europe Ecologie Les Verts ne fait finalement que reproduire le schéma de 2008 c’est à dire présenter des listes autonomes au premier tour pour ensuite fusionner avec le Parti Socialiste au second, la droite elle se retrouve aujourd’hui empêtrée dans ses luttes intestines.

Et le FN dans tout cela ?

Une éventuelle percée du Front National reste une des inconnues du scrutin. Délits d’Opinion a travaillé sur l’hypothèse de listes FN ne parvenant à se qualifier au second tour, c’est à dire à obtenir plus de 10% des suffrages exprimés, dans aucun arrondissement.

Ce scénario a été exclu de fait, par le faible score de Marine Le Pen, 6,2%, dans la capitale en 2012. Même en cas de très forte poussée et compte tenu des critères de répartition, le maintien d’une liste FN dans un des vingt arrondissements parisiens garantirait une victoire aisée à Anne Hidalgo grâce à l’éparpillement des voix du bloc de droite.

Selon l’étude analysée, une victoire de l’ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy résulterait d’un scénario catastrophe pour la gauche qui ne s’arrêterait pas aux barrières du périphérique. Anne Hidalgo se contente pour l’instant de capitaliser sur la supposée avance que lui donne les sondages et doit regarder avec un œil attentif ce qui se passe dans le camp d’en face, se demandant si, finalement, ce ne serait pas NKM elle-même qui fera gagner la gauche ?

Timothée Larochette

Crédit photo: Michaël Zumstein Vu pour Le Monde

  1. http://www.la-croix.com/Actualite/France/Depuis-2012-des-legislatives-partielles-nefastes-a-la-gauche-2013-06-25-978193

 
(2)http://www.lopinion.fr/2-juin-2013/municipales-2014-villes-qui-pourraient-basculer-667
 
(3) Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de Paris, La découverte, 2004.
 
(4) Bertrand Delanoë, Laurent Joffrin, De l’audace !, Robert Laffont, 2008
 
(5) http://www.delitsdopinion.com/wp-content/uploads/2013/11/Délits-dOpinion-Le-Figaro-La-droite-peut-elle-vraiment-reconquérir-Paris.pdf
 
(6) Propos tenus lors d’une conférence sur les municipales à Paris, organisés par « Délits d’Opinion » dans les locaux du CEVIPOF à Paris, le 25 novembre 2013.
 
 
 
 
 
 

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