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Lance Amstrong : Mentor, menteur, ou manipulateur ?

Champion du monde sur route en 1993, sextuple vainqueur du tour de France de 1999 à 2005, personne ne pouvait s’imaginer la chute de ce mentor du cyclisme mondial. Et pourtant, ce rapport de l’agence américaine d’antidopage (USADA), rendu public le mercredi 11 octobre 2012, va bouleverser l’Histoire du cyclisme en dénonçant les agissements frauduleux du champion. De nombreuses rumeurs circulaient déjà, et cela dès 1999 sur un possible dopage d’Amstrong, mais tout ceci était resté dans le cadre de la spéculation. Dès la parution de ce rapport, ces mêmes interrogations resurgissent. Les preuves s’accumulent : témoignages d’anciens cyclistes, d’anciens coéquipiers et employés des équipes US postal et Discovery Channel. On trouve par ailleurs des traces de paiements en faveur du docteur Ferrari, alors qu’Amstrong niait tout lien avec ce dernier. Puis, y figurent des analyses d’experts, des analyses médicales qui appuient la thèse du dopage. En bref, ce rapport est une bombe qui poussera finalement Lance Amstrong a passé aux aveux quelques semaines plus tard. C’est seulement le 13 janvier 2013, sur le plateau du talk show d’Oprah Winfrey que Lance Amstrong déclare s’être dopé et ce pendant une grosse partie de sa carrière. EPO, testostérone, cortisone, transfusion sanguine ou même hormones de croissance, tel était le quotidien du sportif.
Cette révélation choque et en surprend plus d’un, puisque pendant des années ce même Lance Amstrong a clamé son innocence. Il a d’ailleurs publié une photo sur twitter, de lui posant avec ses maillots jaunes du Tour de France, 3 semaines après avoir été dépossédé de ces titres.  
Amstrong provoque et pose avec ses maillots
Pourquoi un tel changement dans sa communication ? Pourquoi passer de la provocation aux aveux ? Accablé par les preuves, Lance Amstrong se retrouve dans l’obligation de se dévoiler. Face au mur, il ne peut qu’avouer publiquement. C’est un coup de communication incroyable, qui fait le buzz sur internet, dans la presse comme à la télévision, ou à la radio. On pourrait croire à une communication de crise mal maitrisée, mais Amstrong semble répondre à une stratégie bien huilée.
« Un exercice de communication millimétrée », Christian Prudhomme
Lors de ses aveux, Amstrong n’a rien laissé au hasard : son attitude, sa gestuelle, les mots choisis, la mise en scène tout est fait ou presque pour que l’on croie à sa sincérité. Stephen Bunard, synergologue et spécialiste de la communication, a d’ailleurs analysé de façon très précise, la communication non-verbale du cycliste durant son interview. Il en a déduit que c’est un homme sur la réserve qui s’est présenté sur le plateau, un homme vigilant, mais qui malgré les apparences reste un grand manipulateur qui ne regrette en aucun cas ses actes de dopage.
Ce système de questions réponses au début de l’interview donne le ton à l’émission, un ton solennel, un ton que l’on pourrait retrouver dans un tribunal. Le fait de n’avoir qu’à répondre par « oui » ou par « non », lui permet d’avoir une totale maitrise de sa communication. Les aveux de Lance Amstrong ont été « un exercice de communication millimétrée » selon Christian Prudhomme, directeur du tour de France, qui reste désireux d’en savoir davantage sur le système de dopage. Oui Amstrong s’est dopé, mais il reste très flou quand à l’organisation du dopage, on ne se sait rien quant à ses techniques pour détourner les autorités de contrôle. Il évite même certaines questions fâcheuses ne voulant pas faire de délation. Il insiste sur le fait qu’il « s’est perdu lui-même », que ce se sont « ses erreurs ». Ses aveux télévisés apparaissent particulièrement bien préparés. La reconnaissance des faits est la première étape de cette stratégie de communication, qui sera certainement longue et périlleuse.
La question principale est celle des enjeux de cette communication. Pourquoi entreprendre une telle reconquête du public ? Quelles sont les intentions du cycliste ? Lance Amstrong veut se réhabiliter, nous faire croire qu’il regrette et qu’il fera tout pour se racheter. Il a déclaré, « Je vais passer le reste de ma vie à regagner la confiance des gens ». Mais pourquoi, pourquoi maintenant ? Plusieurs enjeux semblent se dessiner : un enjeu juridique tout d’abord, puis sportif. En effet, Amstrong est en perpétuelles négociations avec le gouvernement américain, les agents fédéraux, mais aussi avec ses sponsors. En procès avec l’assureur SCA promotion, avec le journal The Sunday Times, des aveux télévisés officiels lui permettent de toucher les téléspectateurs et de montrer un autre visage que celui d’un manipulateur. L’enjeu sportif est qu’il voudrait voir sa suspension diminuée grâce à sa confession afin de pouvoir reprendre la compétition. En effet, il s’intéresse particulièrement à la course à pied ainsi qu’au triathlon. Il souhaiterait notamment courir le Marathon de Chicago à 50 ans, c’est-à-dire dans 8 ans. Ce plan de communication fonctionnera t-il ? Trop tôt pour le dire au niveau judiciaire, mais on a pu entendre par ailleurs certaines réactions à chaud.
« Amstrong est une honte », Djokovic
Certains comme l’agence américaine antidopage (USADA) ont vu dans ces aveux un progrès. Travis Tygart, président d’USADA a déclaré que c’était « un petit pas dans la bonne direction ». « S’il est sincère dans son désir de rectifier ses erreurs passées, il témoignera sous serment de l’ampleur complète de ses activités de dopage » a-t-il précisé dans un communiqué. C’est donc un discours plutôt encourageant. Et on pourrait dire dans ce cas là, qu’Amstrong a réussi son coup de communication. En revanche, certaines personnes ne tolèrent pas l’attitude du cycliste, et ne pourront jamais lui pardonner. Djokovic par exemple, nous dit «Ce serait ridicule de sa part de nier l’évidence car il y a eu des milliers de preuves comme quoi il a été contrôlé positif. C’est une honte pour le sport d’avoir un athlète comme lui. Il a trahi le sport.» La ministre des sports Valérie Fourneyron quant à elle, reste très sceptique, puisqu’elle dit en parlant des aveux que « la manipulation continue », elle aurait par exemple aimé en savoir davantage sur ce système de dopage, et les acteurs qu’il implique.
Au niveau de l’opinion publique, l’effet n’a pas été celui escompté. Selon une enquête d’opinion publiée par le magazine Forbes le 06 février 2013, Amstrong est devenu le sportif le plus détesté des américains, à égalité avec Te’o, un joueur de football américain. Sa côte de popularité aurait chuté à 15%. Son intervention auprès d’Oprah Winfrey l’aurait finalement desservi, l’opinion aurait perçu un manque de sensibilité, de sincérité, de spontanéité. Cette communication de crise, n’aurait-elle pas finalement été trop bien préparée ? « Cette sincérité » affichée ne  servirait-elle pas à masquer les dysfonctionnements des institutions sportives où même à protéger tout un système de dopage ?
En endossant seul toutes les responsabilités, Amstrong apparait comme isolé, comme une tête brulé incontrôlable. On se doute pourtant très bien que d’autres acteurs sont impliqués.
 
Par Anaïs Chemin