Depuis maintenant quelques mois, la presse allemande est très critique envers la France. L’écart économique se creusant entre les deux pays, les reproches n’en sont que plus forts. La critique principale concerne un manque de réalisme supposé de la société française. La presse allemande pouvant être un indicateur d’un avis partagé autant par les dirigeants allemands que par la population, il est pertinent de se demander : jusqu’à quel point cette critique peut être justifiée ? Refuser de voir la réalité en face. C’est un des reproches récurrents de la presse allemande. Le journal conservateur « Die Welt » publie régulièrement un article pour décrire la société française et expliquer les raisons de la situation économique mais aussi politique de notre pays. Selon le journaliste Marko Martin, les élites politiques françaises persistent à fermer les yeux sur cette situation économique. Il y a outre-Rhin un certain agacement à voir le premier partenaire économique ne pas vouloir changer, évoluer. En effet, l’Allemagne vit une révolution structurelle depuis 2005. A l’époque, Gerhard Schröder, chancelier social-démocrate, a mis en place un plan de rigueur et une réforme du marché du travail pour redonner à l’Allemagne un second souffle. Les résultats de cet « Agenda 2010 » se ressentent en partie aujourd’hui. Des résultats qui sont néanmoins à nuancer dans une Europe où l’Allemagne profite économiquement des difficultés de ses voisins.
La presse allemande se permet donc de donner des leçons et de rappeler à la France qu’elle doit aussi faire des réformes et doit se transformer. Il semble exister en effet des différences importantes entre nos deux pays, tout d’abord économiques. La France peut ainsi avoir l’air d’un pays qui nie la mondialisation, qui ne ressent pas le besoin immédiat de se réformer structurellement. En tout cas pas à la vitesse que le demande l’Allemagne. D’autre part, le pragmatisme et le ton direct caractérisent la pratique politique allemande. Le choix de Peer Steinbrück comme candidat social-démocrate face à Angela Merkel pour les élections de septembre 2013 en est un symbole. Ce dernier n’est autre que l’ancien ministre des finances de la chancelière. C’est donc aussi la culture de coalition qui renforce ce sentiment de pragmatisme. La pratique politique des dirigeants au quotidien est donc bien différente de la pratique française.
La politique en Allemagne est « sérieuse » dans le sens où elle est technique. Parler de politique en Allemagne semble plus difficile qu’en France, où la politique est un sujet de discussion – et de dispute – comme un autre. Dans cette optique, la politique allemande peut paraître austère. En France, on parle de politique dans un repas de famille, dans un bar, avec ses amis. Derrière l’idée d’être de droite ou de gauche en France, il y a une grande part de symbolique et d’imaginaire. La révolution française n’est jamais très loin. Alors qu’en Allemagne, il est plus difficile voire impossible de s’affirmer sur un échiquier politique. Cela semble même être une affaire privée.
Au contraire du français, la langue allemande utilise très peu de tournures alambiquées. Les responsables politiques en Allemagne peuvent donc paraitre plus directs : ils expliquent la politique de la manière la plus frontale possible. Alors que le discours d’un responsable politique français est souvent lyrique – chaque phrase ponctuée d’une citation, d’une allusion à l’histoire – le discours allemand est plus terre à terre. La politique en France est l’art de l’éloquence ; en Allemagne, cela veut dire identifier les faits et en tirer les conséquences.
A partir de ce constat, la critique allemande est compréhensible. Le discours politique français manque parfois de réalisme et de pragmatisme, comme par exemple au moment de l’élection présidentielle. Chaque candidat va flatter son courant politique et même le courant le plus extrême, mais va par la suite gouverner de manière plus « réaliste ». Alexandre Kara, chef du service politique de Europe 1, rappelle « la règle classique en politique : un parti se gagne à gauche ou à droite mais in fine se gouverne au centre. » C’est peut être ce qui se passe pour François Hollande. Pierre Moscovici parle d’une « révolution copernicienne » pour évoquer le pacte de compétitivité. Mais cette révolution n’était pas inscrite dans le programme du candidat ancré plus à gauche. Ce n’est pas un fait propre à la gauche. Ce type d’exemple se retrouve dans l’ensemble du paysage politique français. Le discours politique français peut donc paraître un cadre idyllique, où les difficultés ne sont pas clairement exprimées. Selon ce raisonnement, la société française vivrait donc comme dans un rêve. A contrario, la société allemande serait sûrement plus pragmatique mais ne percevrait pas toujours les conséquences derrière une décision politique. La décision est souvent respectée en Allemagne puisqu’elle est élaborée dans une coalition. La contestation est peu présente outre-Rhin. En invoquant le pragmatisme et le réalisme, la société allemande en oublie parfois les éléments plus négatifs qui la caractérisent. L’Allemagne est en effet un pays vieillissant où la précarité (augmentation des « minijobs ») et la flexibilité exacerbées du monde du travail (réforme Hartz IV) sont une réalité. Nul modèle n’est parfait, et c’est bien la force de cette amitié franco-allemande qui fêtera ses cinquante ans le 22 janvier prochain. Chacun fait un pas vers l’autre et tente de le comprendre. Il est donc possible d’imaginer que la France pourrait parfois entrer plus rapidement dans la réalité mais que l’Allemagne pourrait aussi revoir sa définition du réalisme. Une évidence : la critique de l’autre est parfois plus facile que sa propre introspection.