Depuis déjà quelque siècles la France traîne une étrange réputation de l’autre côté de la Manche. En bonne place des stéréotypes et clichés colportés à tort ou à raison par nos voisins trône l’image de la femme française : une femme au caractère fort et indépendant, dotée d’une élégance et d’un charme indéniables mais dont l’engouement passionnel pour le pouvoir n’aurait guère servi les intérêts de la France jusqu’ici. Nos voisins nous prêtent volontiers ce caractère affriolant, cette inconstance en amour qui rend nos femmes si influentes et nos politiciens si indolents.
De Jeanne d’Arc à Marianne, les Anglais semblent poursuivre l’étrange obsession de voir personnifiée la France par une figure féminine. Bien sûr, nos auteurs romantiques et notre exaltation de la femme dans l’art et la culture ont donné prétexte à une exagération de la prégnance du beau sexe dans notre pays. Mais le monde anglo-saxon ne se lasse pas de caricaturer les Françaises jusqu’à friser l’effronterie. Je vous encourage à découvrir cet article d’un journaliste du New Yorker qui dresse un portrait trucu-croquignolesque de la petite « frenchie », et vous laisse constater combien la tournure néologique sus employée n’a rien d’emphatique. Dans la lignée des femmes françaises qui causent la fascination (et l’étonnement) des Britanniques, on découvre aujourd’hui Najat Vallaud-Belkacem. Selon le Guardian, la jeune femme n’incarne rien de moins que « le nouveau visage de la France ». Une figure jeune et belle, courageuse et indépendante, qui, non contente d’appartenir à la gent féminine, s’offre de surcroît le luxe d’être issue d’une minorité. De l’avis de tous, la ministre n’incarne que des valeurs qui font honneur à notre pays. Mais si l’on peut s’enorgueillir de cet exemple, l’importance consacrée aux figures féminines (notamment en temps qu’épouses) dans certains titres de presse n’est pas nécessairement à notre avantage.
Les médias britanniques se complaisent dans l’image d’une France galante où le féminisme aurait remporté une victoire finale avec la récente élection présidentielle. Ainsi dans deux articles tout dernièrement parus, le Guardian dévoile la supériorité écrasante de la France dans le domaine de la parité, citant la composition du gouvernement Ayrault (comportant pour moitié des femmes). La journaliste du quotidien Kim Willsher, en poste à Paris, va même plus loin en consacrant un article entier à la proportion de femmes en politique, dressant un état des lieux comparatif entre la France et l’Angleterre.
Nul doute que si nous faisons figure de champions du féminisme Outre-Manche, c’est en partie grâce à notre prétendue French gallantry. Ce discours optimiste entre cependant en conflit avec le penchant bien connu des tabloïds anglais pour les ragots et histoires de cœur, qui s’immiscent en politique au grand bonheur du Sun et autre Sunday Telegraph. Au Royaume Uni, les affaires de mœurs et la vie privée des représentants politiques occupe une place de choix chez les éditorialistes. Aussi le feuilleton Trierweiler/Royal fait-il couler beaucoup d’encre chez nos voisins anglais. Sans nous attarder sur les réactions suscités par les choix matrimoniaux de François Hollande aux Etats Unis, je vous invite cependant à jeter un œil sur ce papier paru dans le New York Times, dont le titre « Désamour and Amour » évoque assez bien l’importance que les Anglo Saxons prêtent à la vie amoureuse de nos hommes politiques. À ce propos, remarquons que la page « France » du site internet du très sérieux Guardian regorge de titres consacrés à la tumultueuse romance de notre nouveau Président, dont le plus éloquent fait part d’un « love triangle » éclipsant l’action d’un Hollande mortifié. Dans son article intitulé « La petite amie d’Hollande regrette le tweet qui a mené à la tempête des élections », Willsher se complaît dans la description d’une Valérie Trierweiler dont la jalousie maladive inquiéterait aux plus hautes sphères de l’Etat français.
Cette dramatisation de la vie politique est bien entendu monnaie courante dans le discours médiatique moderne. Nous savons combien elle peut occulter la valeur de l’action politique. Toutefois le point de vue britannique sur la France est particulièrement empreint de cet héritage culturel qui nous confère une aura mélodramatique touchant parfois à la futilité.
Sans entrer dans un débat sur la dimension auto-réalisatrice des contenus médiatiques, on peut légitimement s’interroger sur l’influence d’une telle concentration d’écrits romanesques quant à l’image des Français.
Non, nous ne sommes pas que des amants inconstants et transis dont les épouses terribles régissent l’existence ! Non, les femmes françaises ne sont pas toutes des succubes dont la beauté fatale constitue l’instrument du caprice ! Réjouissons-nous cependant que le choix ce soit porté sur Najat Belkacem. Nous conviendrons que cette vision réductrice est plus flatteuse que celle dont souffrent les Anglais, représentés depuis si longtemps par une Reine vieillissante et inflexible. Mais là encore, tout est affaire de goûts…