Difficile de passer à coté sur les réseaux sociaux, spécialement chez les utilisateurs anglophones. La vidéo présentée ici connait en effet un buzz sans précédent sur la toile: plus de 105 millions de vues, des partages très nombreux, et déjà un certains nombres d’articles qui en parlent, dans la presse même. Le principe est simple, un film d’une trentaine de minute, avec pour acteur principal son réalisateur Jason Russel lequel y explique à son jeune fils les raisons de son engagement ainsi que les actions réalisées jusqu’à présent.
L’association Invisible Children a en effet réussi un coup médiatique fort, en plaçant sur le devant de la scène Joseph Kony poursuivi pour crimes contre l’humanité depuis 2005, et son groupe armé, la LRA, qui sévit principalement en Ouganda, et est jugé responsable de l’enlèvement, de la torture et de l’exploitation de dizaines de milliers d’enfants depuis 1988 ainsi que de près de 2 millions de déplacés. L’enjeu était de taille, si les conflits africains sont médiatisés lorsqu’ils éclatent, difficile de les faire exister dans la durée aux yeux du monde, qui plus est lorsqu’ils n’impliquent pas de ressortissants étrangers. La vidéo a alors le mérite de remettre le sujet au goût du jour, mais aussi de pousser les gens à se documenter sur un crime dont personne ne parlait.
Au delà il faut saluer l’excellent travail de communication associative réalisé, si les buzzs sont nombreux, il est rare qu’une campagne connaisse un tel succès. Bien peu sont les vidéos qui atteignent les 90 millions de vues en seulement deux semaines, quand à voir une vidéo de 30minutes autant partagée, le phénomène est inégalé. Les ingrédients sont rapidement identifiables: une cause noble, une vidéo extrêmement bien tournée et qui exploite les codes du web avec des références à un profil facebook notamment, l’implication sentimentale avec la figure des enfants tant celui du réalisateur que Jacob, ancien enfant soldat… Au delà c’est tout un dispositif de communication qui est mis en place, que ce soit au travers du site de la campagne Invisible Children, ou du kit de communication qu’il est aisément possible de se procurer.
On obtient au final une vidéo qui, et c’est un autre de ses grands succès, donne envie de s’engager. Elle nous montre en effet une implication à la mesure de chacun, et surtout qui permette de changer les choses. Le monde associatif est trop souvent décrié pour la faible portée de ses actions, comme pour le temps et l’énergie qu’il demande, en présentant un autre aspect de mobilisation, la campagne d’Invisible Children permet de toucher un public bien plus large. Au delà, elle répond à un véritable désir d’engagement de la jeunesse, souvent montré dans l’associatif, sans pourtant susciter de mobilisation aussi importante, ni forcément réussir le passage d’un simple relais sur le web à une implication tangible.
S’attarder sur une campagne de communication associative c’est aussi bien sûr en mesurer les faiblesses. En l’occurrence, si des ONG comme Red Cross International, ou Greenpeace ont appris depuis longtemps à professionnaliser leurs actions et à sécuriser leur communication, il n’en est pas de même pour Invisible Children. Avec une exposition médiatique aussi intense, qui plus est sur le web ou la culture critique est forte, on se retrouve dans la position d’un grand groupe, et donc exposé aux mêmes critiques que lui, en témoigne bon nombre d’articles incendiaires.
La première remarques à apparaître fut celle de la pertinence de ressortir un tel sujet maintenant, alors que les activités de la LRA connaissent une diminution tangible depuis 2005, au point qu’elle ne rassemblerait plus que 700 membres. Au delà, il est toujours difficile de choisir un sujet spécifique pour une association et d’en faire son cheval de bataille, quand tant de causes réclament l’attention. Une critique néanmoins habituelle dans les milieux associatif, et aisément écartée, notamment via le soutient du président de la Cour Pénale Internationale, au motif qu’il faut s’attaquer à ce qui ne va pas, quelque soit le moment ou le lieu.
La deuxième critique générée par la soudaine médiatisation de l’association Invisible Children, a été l’attention soutenue portée à la gestion de ses comptes. La question de la transparence, capitale dans le milieu associatif pour conserver la confiance des donateurs, a été mise en avant pour pointer des irrégularités de budget dans les comptes de l’association. Au point que celle ci a du mettre en place une page spéciale sur son site internet pour faire face aux questions et critiques. Au delà, les couts de la campagne, et plus généralement des actions de l’organisme ont été dénoncé, alors que la plupart des ONG s’accordent sur une part de 25% des donations accordée à la communication, Invisible Children semble au contraire y consacrer la majorité de son budget, et le fait est alors dénoncé comme une mauvaise utilisation des fonds donnés. Et ce alors que l’opportunité de rendre Kony célèbre a été dénoncée par un certain nombre d’associations de victimes, pour lesquelles il est particulièrement douloureux de voir arboré un T Shirt avec le nom de leur bourreau.
Enfin, la vidéo en elle-même n’est pas exempte de critiques. Elle comporte en effet un certains nombres de faits affirmés difficilement vérifiables, voire erronés. Du fait du parti pris d’expliquer la situation à un enfant, elle aborde les choses en simplifiant à l’extrême, au point que l’association aie du récemment réaliser une nouvelle vidéo, plus approfondie. Par ailleurs, la campagne de l’association reprend un bon nombre de clichés trop souvent répétés dans notre conception de l’aide internationale. La seule solution en vue d’une capture de Kony serait ainsi l’intervention d’une force armée américaine, ou d’instructeurs, venus montrer aux forces locales comment mener décemment une action. Une sorte de fardeau de l’occident, alors placé en position de force et se présentant comme sauveur pour un problème qu’on nous montre comme impossible à résoudre par les pays concernés eux-même. Et ce alors même que, depuis la publication de la vidéo il faut le souligner, l’union africaine a annoncé la création d’une force dédiée.
Malgré ces critiques, force est de constater le véritable exploit mené par Invisible Children. Si l’association doit être jugée avec un regard critique, ainsi que ses moyens d’actions, il est impossible de nier le succès de cette campagne et ce qu’elle a permit en terme de valorisation de l’engagement associatif. En exploitant la viralité sur les réseaux sociaux elle a fait d’un sujet inconnu du grand public un véritable thème de débat, et cet article de blog, aussi nuancé puisse-t-il être, ne fait que s’inscrire dans l’engouement suscité, et replace une fois de plus Joseph Kony juste devant vos yeux.
Quentin Chaix, correspondant Erasmus à Sheffield, Royaume-Uni