Dans le cadre du cours « Les médias en Europe » du 4 avril 2012, nous avons reçu Grégoire Lemarchand (@greglemarchand sur Twitter), responsable depuis janvier 2012 des réseaux sociaux à l’Agence France Presse (AFP) et anciennement en charge des médias et de l’audiovisuel à l’AFP. Depuis 2010, il a suivi de très près la montée en puissance des réseaux sociaux et d’Internet qui ont révolutionné le travail journalistique.
L’année 2011 marque l’explosion des réseaux sociaux dans le journalisme avec le printemps des révolutions arabes, l’affaire DSK, l’exécution de Ben Laden, le tsunami au Japon. Auparavant, réticents à utiliser l’information des réseaux sociaux, les journalistes ont pris conscience de la mine d’informations qu’ils peuvent représenter. Grégoire Lemarchand nous donne une vision des changements du travail journalistique de l’AFP suite au développement des réseaux sociaux.
L’émergence du numérique…
Quand il était en charge de la rubrique médias de l’AFP, Grégoire Lemarchand a pu suivre de près le bouillonnement numérique qui se mettait en place dans les médias : apparition des pure players, bouleversement des modèles économiques, journalisme citoyen. Pendant un an et demi il a pu observé les évolutions technologiques et le bouleversement des usages du numérique. Il précise qu’il n’est pas un early adopter et qu’il s’est laissé prendre au jeu du numérique, notamment sur twitter car il trouve passionnant l’usage que l’on peut en faire.
Quid de l’AFP?
Créée en 1944, l’ Agence France Presse est l’une des quatre agences mondiales d’information avec Bloomberg, Associated Presse (AP) et Reuters. Basée à Paris, l’AFP couvre 165 pays, grâce à 115 bureaux et 2270 collaborateurs locaux de 80 nationalités différentes à travers cinq centres régionaux : 1. Washington D.C (Amérique du Nord et les Caraïbes), 2. Hong Kong (Asie et Océanie), 3. Montevideo (Amérique latine), 4. Nicosie (Moyen-Orient), 5. Paris (Europe et Afrique). L’Agence France Presse diffuse de l’information en six langues (français, anglais, espagnol, allemand, portugais et arabe), 24 heures sur 24, en vidéo, texte, photo, multimédia et infographie.
Depuis la percée d’Internet dès la fin des années 1990, les abonnements des institutions publiques pèsent 40% du chiffre d’affaires contre plus de 60% en 1975. Depuis 2 ans, le chiffre d’affaires de l’AFP se fait principalement à l’étranger, une première historique pour l’Agence. La valeur ajoutée de l’AFP par rapport aux médias est l’éditorialisation de l’information. Son rôle étant d’être mondialement exhaustif sur tous les sujets.
Les missions du pôle « réseaux sociaux » de l’AFP
1. Gérer la présence de l’AFP sur les réseaux sociaux
Depuis sa création, l’AFP ne s’est pas exposée au grand public car elle travaillait pour les médias. Toutefois, avec l’arrivée des réseaux sociaux l’agence a dû passer d’un modèle B to B à B to C ( Business to Business et Business to Consumer). Sur les réseaux sociaux, l’objectif de la présence de l’AFP est d’avoir une vitrine du travail de l’agence. Elle cherche ainsi à faire connaître sa production pour dépasser le simple taux de notoriété qu’elle possède.
2. Faire de la veille sur les réseaux sociaux
L’AFP fait une veille accrue sur les réseaux sociaux. Elle essaye de récupérer des informations crédibles, viables et fiables sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou encore Youtube qui reste le principal canal pour avoir des images dans les pays très hermétiques au journalisme.
3. Former les journalistes à l’usage des réseaux sociaux
Ce pôle a pour mission de former les journalistes aux usages professionnels des réseaux sociaux : rechercher des informations crédibles, fiables et pertinentes et faire une veille efficace sur les réseaux sociaux. Cette formation permet aux journalistes de démêler le vrai du faux sur les réseaux sociaux et ainsi de distinguer ce qui ressort de « la culture du LOL ». Ensuite l’AFP encourage les journalistes à être présent sur les réseaux sociaux notamment en se créant des pages professionnelles. Pour Grégoire Lemarchand en France la culture des réseaux sociaux ne s’est pas encore imposée dans les milieux professionnels car certaines personnes ne savent pas ce qu’elles peuvent en retirer dans leurs domaines d’activités. Il observe une certaine méfiance vis- à- vis des réseaux sociaux dans les milieux professionnels dû à une méconnaissance de l’outil.
La plus value de l’AFP
Il y a 25 ans, Internet n’existait pas. Il y avait peu ou pas de chaînes d’information. Pour avoir de l’information hors des journaux télévisés, il fallait se tourner vers l’AFP. Aujourd’hui, les médias se sont transformés en mini-agences de presse. En effet, avec Internet et les réseaux sociaux, la course à l’information s’est accélérée. Il est désormais possible d’avoir une information en temps réel. L’AFP veut être la première à avoir l’information, tout en délivrant une information fiable pour garder sa légitimité et sa crédibilité.
Chaque jour, l’AFP publie 5 000 dépêches et 3 500 photos et vidéos. Le travail de l’AFP consiste à ne pas faire d’erreur car elle risquerait de perdre des abonnées qui lui font confiance quant à la fiabilité des informations. Lorsque l’agence délivre une information, elle est sûre de la véracité de celle-ci. Sur les réseaux sociaux, les médias attendent ainsi le travail d’expertise de l’AFP.
Ainsi, l’AFP doit détecter les informations qui peuvent être manipulées. L’un des grands jeux sur les réseaux sociaux, est d’essayer de piéger les médias. Les internautes inventent des dépêches AFP ou créent de fausses informations. Dans ces cas l’agence se doit d’être extrêmement réactive pour maîtriser le contenu qui lui serait attribuée. Il peut arriver à l’AFP de collaborer avec des blogueurs citoyens. Toutefois, Grégoire Le Marchand précise que l’AFP n’est pas à l’abri de la manipulation de l’information par ces blogueurs. C’est la raison pour laquelle l’AFP doit toujours avoir un regard professionnel sur une information. Grégoire Lemarchand cite l’exemple d’une vidéo d’un enfant qui se faisait piétiner par un soldat Syrien. L’image était très forte mais l’information était en réalité car la vidéo était celle d’un spectacle de rue qui datait de 6 ou 7 ans.
D’après Grégoire Lemarchand, l’implication des citoyens et le travail des journalistes doivent être complémentaires tout en faisant attention aux manipulations. Pour lui, il est possible aujourd’hui de se passer de l’AFP pour traiter de l’information froide mais quant il s’agit de l’information chaude l’AFP à un rôle essentiel.
La communication de l’AFP
La communication de l’AFP vers le grand public est en pleine évolution. Tandis qu’auparavant une seule personne avait en charge cet aspect, aujourd’hui on en compte six. L’objectif est d’inciter les personnes à contacter l’AFP pour faire part de leurs témoignages sur des événements mais aussi pour les inciter à envoyer du contenu audiovisuel susceptibles d’intéresser l’AFP. Cette pratique qui consiste à faire remonter de l’information à partir des citoyens et des lecteurs, c’est ce que l’on nomme le crowdsourcing.
Quel avenir pour l’AFP ?
En seulement 5 ans, le travail de l »AFP a été bouleversé. Grégoire Lemarchand pense que le rôle de vérification de l’information va s’accentuer d’ici quelques années avec une « guerre du triage de l’information» qui se fera au moyen de technologies.
La technologie de l’image
L’AFP utilise un outil, développé pour le Ministère de la Défense : Tungstène. Seulement 3 personnes à l’AFP ont été formées à l’utilisation de ce logiciel. Il permet de vérifier si une photo a été manipulée. Cet outil a par exemple identifié que la photo de la mort de Ben Laden était un photo-montage.
La technologie de la vidéo
L’AFP utilise un outil vidéo qui permet de rechercher si une vidéo a déjà été diffusée afin d’en connaître son origine. Grégoire Lemarchand prend l’exemple d’une vidéo diffusée comme étant un tremblement de terre en Haïti à l’Ambassade de France à Port au Prince. La vidéo était en réalité un séisme en Inde qui datait de 2 ans.
Journalistes et communicants : entre inquiétude et enthousiasme
Grégoire Lemarchand déplore la méfiance, la défiance et la méconnaissance entre ces deux mondes interconnectés qui « ne se connaissent pas mais qui doivent tout le temps se parler. »
Le journaliste perçoit le communicant comme un acteur qui va lui « barrer la route » et l’empêcher de faire correctement son travail d’investigation tandis que les communicants ne connaissent pas exactement les spécificités et les impératifs des différents médias. Le communicant doit être conscient que les médias fonctionnent différemment. De même que pour la télévision, TF1, France 2, M6 ont des approches différentes. Le communicant ne doit donc pas traiter tous les médias de la même façon.
Les communicants doivent prendre le temps d’avoir un retour de la part des journalistes sur leurs actions de communication. Ils doivent être à l’écoute de ce qu’attendent les journalistes pour créer des relations de confiance.
Contacter l’AFP
D’ici mai 2012, il va y avoir une refonte du site internet de l’AFP. Ce nouveau site proposera un outil simple pour que chaque internaute puisse contacter l’AFP. Un communicant peut se tourner vers les bureaux régionaux de l’AFP (Rennes Bordeaux Toulouse Marseille Nice, Strasbourg, Lille, Lyon et Paris). Il sera ensuite aiguillé en fonction de son domaine d’activité (service politique, social, …).
Compte-rendu par Elsa Dessimond & Eolia Josse (M1)