La bataille des images est au cœur d’une campagne présidentielle. A celui qui aura la plus belle photo, à celle qui aura capturé le plus beau moment. Il faut que sur l’image on perçoive l’émotion. L’image devient alors un enjeu pour les équipes de campagne et les journalistes.
C’est ce que veut nous montrer l’exposition « Storytelling : la mise en scène du politique » au théâtre du Maillon à Strasbourg (17 mars au 20 avril 2012). Dans une très grande salle aux allures d’entrepôt sont présentées des photographies de Bruno Arbesù, Jean-Robert Dantou et Christian Lutz. Ces derniers ont capturé différents instants d’activité politique en France, en Europe et dans le monde. On a l’occasion de découvrir des photographies intimes du pouvoir comme celle d’un homme relisant son discours avant d’entrer en scène. On ressent sur la photographie toute la solennité du moment.
Les préparatifs des meetings et les meetings eux-mêmes font ainsi l’objet de séries de photographies, comme celles, de manière un peu attendue, de la campagne de Barack Obama. Cette campagne est le modèle pour les équipes françaises, et chacun, à l’image du Parti Socialiste, essaie de s’en inspirer.
Un ensemble de photographie peut en effet raconter une histoire. Les équipes de campagne choisissent certaines photographies pour en faire une épopée: ils vont mettre en scène un sujet, un moment, un candidat. Ce dernier devient un élément de l’œuvre du roman que le candidat tente d’écrire. Ainsi et par exemple, l’équipe de François Hollande essaie de faire entrer le projet et le candidat dans un récit national. Le clip de François Hollande diffusé avant chaque meeting représente une succession de photographies et d’extraits vidéo qui l’amène jusqu’à la victoire. Cela participe à la légitimation de son récit. Les photographies accompagnées d’un discours cohérent participent à la « crédibilisation » du candidat.
Les équipes de campagne sont aussi friandes de photos représentant le public dans les meetings. La photo sert à montrer la foule et donc le succès du meeting. Mais on prend en photo le public pour montrer la ferveur, pour montrer la force du discours. Elle [la photographie] est devenue un instrument au service de la mobilisation des énergies et de la captation des attentions, œuvrant à relégitimer l’activité politique, écrit Gérôme Truc dans la plaquette de l’exposition. Jusqu’à quel point une image relégitimise l’activité politique ? On s’imprègne de l’ambiance par la photographie et on voit soudain le détail qui fera frissonner. On retrouve là les deux éléments de la photographie selon Roland Barthes : le studium et le punctum. Le sémiologue définit le studium comme « [l’]intérêt général, parfois ému, mais dont l’émotion passe par le relais raisonnable d’une culture morale et politique.» On regarde les photos du meeting de Vincennes parce qu’on veut revivre l’émotion et que l’on a déjà une idée de ce que l’on va percevoir. Alors que le punctum va « casser (ou scander) le studium », « c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer ». C’est à ce moment que la photographie dépasse son rôle d’illustration et devient un outil émotionnel formidable. Le punctum a cette particularité de ne pas toucher tout le monde au même moment et de la même manière. À ce moment entre le travail des communicants qui doivent tenter de mettre en équilibre les deux notions barthiennes, si tant est que cela soit possible.
Dans la Chambre claire, il est écrit « La photographie est subversive, […] lorsqu’elle est pensive. » La photographie laisse penser, laisse imaginer. Elle devient alors l’outil de toutes les imaginations ou de toutes les propagandes. La photographie est l’instrument indispensable pour les équipes de campagne. Tellement indispensable et contrôlée que le travail de photographe professionnel devient un enfer.
Les dirigeants politiques et leurs équipes veulent contrôler leur image. L’entourage des candidats a compris que l’image peut vite être détournée et qu’il est préférable de limiter la présence rapprochée des photographes professionnels. Seul le photographe de l’équipe de campagne peut approcher le candidat. Ce contrôle (ou censure ?) participe à nouveau à la rédaction du récit national. Christian Salmon parle d’une « ardente obligation de la démocratie médiatique. » Or, l’image est l’archétype de l’illusion. Elle est associée à quelque chose qui trompe, qui détourne de la vérité. Pour Platon, l’image est une fabrication humaine qui nous aveugle. Au citoyen ensuite de faire ce travail philosophique pour ne pas prendre l’ensemble du récit pour acquis.