« L’Allemagne triomphe” (Les Echos, avril 2012), “le seul géant de l’Europe” (Courrier International, février 2012), autant de qualificatifs élogieux qui font la Une de la presse, et érigent l’Allemagne en modèle. Un modèle envié par les autres puissances européennes, à l’instar de la France qui figure parmi les premiers admirateurs.
En témoignent les déclarations de Nicolas Sarkozy, fasciné par le modèle allemand, déterminé à s’inspirer de celui-ci. Le tandem franco-allemand est tellement mis à l’honneur que le néologisme de “merkozysme” est récemment apparu. Un mot qui illustre à quel point les deux pays poursuivent des intérêts croisés, et tentent d’agir de concert.
Toutefois, l’invocation répétée du couple franco-allemand n’est-elle pas le fruit d’une tactique électorale de la part du chef de l’Etat? Une stratégie de récupération de l’image positive de l’Allemagne, dans l’espoir d’améliorer celle de la France et de faire oublier son impopularité?
Il faut reconnaître que l’Allemagne affiche un bilan apparemment flatteur : commerce extérieur florissant, une croissance en hausse, un taux de chômage qui n’a jamais été aussi bas depuis la réunification. Mais ce miracle allemand ou “wirtschatswunder” ne recouvre-t-il pas des réalités moins reluisantes? Le modèle allemand est-il véritablement un exemple à suivre?
D’après l’OCDE, l’Allemagne c’est aussi le pays développé où les inégalités et la pauvreté ont le plus progressé. Qui sont donc les oubliés du miracle économique allemand?
Ironie de l’histoire ce sont les réformes Hartz initiées par le gouvernement de gauche de Gerard Schröder qui ont en partie permis d’assouplir le marché du travail depuis 2005. Vouées à lutter contre le chômage dit “volontaire”, elles ont engendré une baisse des salaires, si bien que les allemands sont près de 10% à cumuler un deuxième emploi pour vivre décemment. Ce sont des emplois précaires, en interim, à temps partiel, ou des minis jobs rémunérés 1 euro de l’heure, les fameux “1 euro-job”. Les critères donnant droit à l’allocation chômage ont par ailleurs été durcis, entraînant la radiation de milliers de chômeurs, jusque-là bénéficiaires de l’aide. Si ceux-ci n’apparaissent plus dans les chiffres officiels, et permettent au gouvernement de se targuer des bons résultats statistiques, ils n’ont pas pour autant disparu et sont près de 9 millions à se trouver en situation précaire.
Parmi les oubliés du miracle allemand figurent également les séniors, dont le taux de chômage explose. Selon Brigite Lestrade, à l’origine d’une étude sur les réformes Hartz IV, le projet de recul de l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans, risque à ce titre d’aggraver le phénomène en provoquant l’arrivée d’un million de chômeurs supplémentaires.
Enfin, comment ne pas évoquer la crise de natalité qui touche le pays. N’est-elle pas le syndrôme d’une crise de confiance chez la jeune génération? Les études le montrent: les jeunes diplômées allemandes sont de plus en plus nombreuses à renoncer à la maternité, craignant de ne pouvoir concilier vie professionnelle et vie familiale. Le dynanisme du pays entier s’en trouve pénalisé. Quant à la pénurie de main-d’oeuvre qui menace de plus en plus l’économie allemande, elle laisse planer le doute sur la pérennité de cette réussite économique.
La politique de rigueur à l’allemande revêt donc plusieurs facettes, et le choix de la flexibilité n’est pas sans incidence sur les conditions de vie de la population. A l’heure où le débat sur l’établissement d’un salaire minimum a lieu en Allemagne, les libéraux soutiennent que le fait d’avoir un emploi faiblement rémunéré serait préférable au chômage. Toutefois, dans un pays où le niveau de vie des 10% d’allemands les plus riches est 8 fois plus élevé que celui des plus pauvres, on pourrait espérer que la mise en place d’un salaire minimum contribue à réduire les inégalités entre hauts et bas salaires, et à rétablir un semblant de justice sociale.
Outre Rhin, “l’obsession allemande” dont fait preuve Nicolas Sarkozy suscite de nombreuses réactions dans la presse. Selon le Rheinische Post de Düsseldorf, il est évident que “le combat électoral français sera allemand”. Dès lors, “si Nicolas Sarkozy perd les élections, ce sera aussi une défaite d’Angela Merkel”, affirme Sigmar Gabriel, président du SPD. A cet égard, la classe politique allemande se montre sceptique quant au soutien apporté par Angela Merkel à « un président impopulaire qui pour des raisons opportunistes, loue la voie allemande” (Rhein-Neckar Zeitung, mars 2012). Dans cette perspective, l’élection présidentielle française est perçue comme une forme de plébiscite du modèle allemand, auquel les français choisiront, ou non, d’adhérer.
Anne-Sophie Passet, étudiante erasmus à Berlin