Le Lobby européen des femmes, une organisation experte sur les droits des femmes
22 mai 2023
La fabrique des discours climatosceptiques (compte rendu)
22 décembre 2023

De la réputation à la gestion de crise à l’ère numérique : entretien avec Thomas Laydis

Dans un monde de plus en plus connecté, il est plus aisé pour tout internaute d’exprimer son opinion ou de laisser un commentaire en ligne. Les forums, les blogs, les réseaux sociaux sont autant de plateformes d’expression. « Beaucoup de compagnies utilisent aujourd’hui les outils d’Internet et des réseaux sociaux pour promouvoir leurs produits et pour renforcer leur réputation qui est devenue un actif stratégique »[1]. Face à l’explosion du nombre de connexions quotidiennes « 4 milliards de personnes actives sur Internet en 2018 »[2], le recours aux réseaux sociaux reste déterminant dans l’interaction avec une institution.

Par conséquent, la gestion de l’e-réputation est devenue cruciale pour les entreprises qu’elles soient publiques ou privées. « Toute forme d’organisation privée ou publique qui acquiert une certaine notoriété dispose d’un actif réputationnel qui peut générer de la valeur »[3]. Premier point de contact entre la marque et le public, elle peut être déterminante dans la perception que l’on a d’une organisation. L’e-réputation peut être définie comme étant « l’art de gérer l’identité numérique : de la stratégie à l’acte de communication, en passant par l’étude d’image et la veille, en vue de déployer une influence pérenne sur et avec Internet »[4]. Dès lors, il devient difficile pour les organisations de contrôler ce qui est dit en ligne. Ainsi, de plus en plus d’entreprises développent une approche proactive dans la mise en œuvre de leur stratégie de communication afin de mieux gérer les éventuelles crises.

Pour illustrer l’exercice de ces pratiques spécifiques, M. Thomas Laydis nous a accordé un temps d’échange le 17 octobre dans le cadre du cours de « E-réputation et stratégie digitale » de la deuxième année de formation du Master dispensé par M. Yohann Garcia.

Thomas Laydis

Notre intervenant présente un parcours intéressant en ayant commencé par plusieurs années en tant que journaliste-animateur radio au cours de ses années lycée. Des premières expériences divergeant certainement de notre vécu universitaire, qui lui ont conféré une vision différente, plus éclairée du paysage médiatique. S’ensuivent de nombreuses expériences en conseil en communication et en réputation pour de grands groupes privés et des dirigeants. Nos discussions ont particulièrement porté sur son expérience chez EDF, groupe dont il a dirigé les réseaux sociaux et l’e-réputation ainsi que la communication de crise pendant plus de trois ans au sein de la direction de la communication.

Désormais Head of Hub Content and Social Media au Groupe RATP depuis septembre, Thomas Laydis a fait un pas de côté par rapport à la question de la réputation en pilotant de manière plus générale la diffusion des contenus informationnels à destination d’un public assez large.

La veille stratégique : de la simple mesure de réputation à l’usage d’un outil d’anticipation et de gestion de crise

Un des grands sujets de la communication, qu’elle soit institutionnelle, publique, privée ou politique, est la pratique de la veille. C’est tout naturellement que nous avons beaucoup évoqué le sujet. Une veille quotidienne est essentielle à tous les métiers de la communication pour adapter ses pratiques professionnelles, mais c’est particulièrement le cas en réputation et e-réputation ou une veille en continu est nécessaire.

Dans le cas d’une entreprise aussi importante qu’EDF, le volume de données et informations récoltées régulièrement est tel que l’implication de compétences dédiées en data science peuvent être nécessaires pour les hiérarchiser et pouvoir en dégager des tendances.

Une veille médiatique et institutionnelle permet d’identifier, lorsqu’elle est suffisamment large et attentive, des tendances et une image plutôt claire de « ce que l’on dit » sur la structure ou la personne dont on suit l’image. Mais élargir le spectre d’observation à l’ensemble des canaux numériques (pas seulement quelques sources spécifiques) peut permettre de faire émerger des « signaux faibles ». Ces derniers sont essentiels pour anticiper une évolution dans la réputation numérique d’une entreprise (ici EDF), prévoir des réponses potentielles pour convaincre et même anticiper une éventuelle crise d’image. Si ces outils de monitoring des réseaux numériques sont à même de générer un nombre très important de ces signaux, il est essentiel de ne pas surréagir à des critiques ou des événements mineurs, ce qui pourrait leur donner une plus grande visibilité.

Session de questions-réponses

Q1-On a régulièrement tendance à distinguer journalisme et communication, considérez-vous que votre passage par le journalisme vous a desservi ?

C’est plutôt l’inverse, je dirais que ça a été un grand avantage. Avoir une expérience en journalisme m’a permis d’avoir une bonne connaissance des médias et de comprendre leur fonctionnement et surtout de savoir discuter avec les journalistes, notamment les journalistes spécialisés. Cette expérience m’a aussi enseigné le travail et la rigueur qui sont pour moi parmi les clés de la vie professionnelle.

Q2-Quand on parle d’audit d’e-réputation, concrètement cela correspond à quelles pratiques professionnelles et à quel investissement en termes de temps ?

C’est un processus central. On fait de la veille 7 j/7, c’est un travail quotidien. Chez EDF, le pôle Social Media avait pour habitude d’analyser les données sur les réseaux sociaux et de les visualiser sous la forme de nuages de mots. L’équipe se répartissait la surveillance des sujets en temps réel avec plusieurs écrans, un par exemple dédié à l’analyse des réseaux sociaux, un à la télévision, etc. Avec Twitter et l’ouverture des API, l’exploitation de la data a pris encore plus d’importance. Au sein de l’équipe, une personne data analyst était chargée de traiter de ce flux de données, d’identifier et de faire remonter les informations pertinentes. Le matin, les équipes restituaient la veille de la veille (sic) et les grands sujets du matin s’il y en avait. Ensuite on faisait un point aux alentours de 9 h 20 pour le morning sur Teams où les actualités du jour pour le groupe étaient présentées par le service de presse, la com’ interne et mon équipe auprès des communicants du groupe. Ce point traitait les sujets chauds de l’actualité de la veille de même que les signaux faibles et l’émergence de tendances dans la société.

Les points continuaient tout au long de la journée avec les équipes, à 12 h et à 17 h par exemple. On faisait un rapport sur les sujets de la journée, toujours afin d’identifier les signaux faibles ou les événements crisogènes. La stratégie d’e-réputation se base vraiment sur ces éléments, c’est à partir de la veille qu’on peut construire une feuille de route en identifiant les cibles, les messages, les contenus et les modalités de diffusion. C’est ce qui permet aussi de répondre en peu de temps, d’être réactifs voire d’avoir un temps d’avance.

Q3-Comment identifie-t-on le passage d’un signal faible à une crise ? Quel est le point de bascule ?

Je dirais qu’un bon indicateur est l’audience médiatique. On essaie de prendre à compte tous les paramètres de la manière dont l’information va être traitée (quel média, quelle audience, quel potentiel de « buzz »). Il y a des exemples d’émissions qui font un gros teasing notamment sur les réseaux sociaux et finalement le sujet tel qu’il est traité ou les informations révélées sont soit déjà connus soit n’ont pas autant d’importance que cela donc l’impact reste limité.

Pour ce qui est du basculement, il y a des indicateurs à surveiller. Sur les réseaux sociaux, si un post n’a que très peu de favoris ou de reposts/retweets, l’idée va plutôt être de ne pas réagir. Une situation ou un sujet peuvent devenir crisogènes à partir du moment où il y a un phénomène de reprise qui prend de l’ampleur. Dans ces cas-là, rien ne sert de se précipiter, cela peut parfois faire plus de mal. Il vaut mieux prendre quelques heures pour se préparer à répondre et avoir voix au chapitre avec des arguments et surtout des preuves pour rétablir un équilibre. La prise de parole peut s’étaler sur plusieurs jours au cours desquels il faut planifier les relations avec la presse, organiser les contacts avec les journalistes et médias importants (par exemple Le Parisien pour la presse quotidienne régionale ou franceinfo), mais aussi les leaders d’opinion.

Le risque de la cybersécurité : un défi clé pour la confiance des acteurs et usagers

On ne peut pas parler du numérique sans évoquer la cybersécurité, qui d’une part est un véritable facteur de danger pour le bon fonctionnement d’une institution (plus encore quand il s’agit d’EDF) et qui, d’autre part, serait à même de générer une crise de confiance majeure.

Le sujet est récurrent et les risques de fuites, d’hameçonnage et autres sont latents ; c’est pour cela que l’ensemble des équipes sont régulièrement formées à ces questions. Nous vient en tête le fameux exemple d’un mail provenant d’une source douteuse et des contenus frauduleux. Si ces exemples semblent relever du cliché, ils sont souvent source de failles.

À la RATP, par exemple, des équipes sont régulièrement mobilisées pour des « crash-tests » pour parer les risques de cyberattaque et se préparent pour éviter tout piratage de son système informatique.

La sensibilisation des salariés est un souci du quotidien.

Quels impacts et enjeux autour des crises réputationnelles et sociales internes sur la vision du public ?

La réputation d’une personne ou d’une institution est classiquement tournée vers des acteurs extérieurs (politiques, médiatiques ou influents), mais particulièrement dans le cas de grandes structures il relève de prudence de ne pas ignorer la situation interne. C’est le cas notamment de critiques, par exemple en matière sociale (recrutements, salaires, conditions de travail). Ces dernières nécessitent une bonne gestion rapide pour éviter que ces sujets dépassent le cadre interne. Alors des difficultés se retrouvent notamment sur des sphères numériques avec les réseaux des salariés ou des syndicats et sont en mesure de générer de véritables crises.

JO 2024, quels défis pour la RATP ?

À moins d’un an de cet événement sportif exceptionnel qui attirera des millions de visiteurs nationaux comme internationaux, la gestion du flux d’usagers reste un immense défi pour la RATP. Déjà très sollicité avec une fréquentation moyenne de « 4 millions de passagers par jour pour le métro parisien »[5] et « 2,7 millions pour les lignes du RER »[6], le réseau de transport francilien fera face à une très forte tension.

Afin de gérer l’afflux d’usagers des lignes et éviter les congestions, le groupe avait annoncé le renforcement de son effectif notamment en ce qui concerne le recrutement de « près de 2 700 conducteurs de bus »[7] et la mobilisation de plus « de 19 000 agents RATP chaque jour sur le réseau, pour transporter, accueillir, informer et orienter les visiteurs attendus dans les gares et stations de son réseau »[8]. Les épreuves des JO se déroulant sur plusieurs sites, le plan de circulation du réseau de transports urbains va être impacté. Des sites ne seront pas desservis en métro et « les lignes de bus qui vont être très exploitées ».

Outre la gestion de l’accès aux sites olympiques, l’organisation des JO pose également des défis sécuritaires importants pour la RATP en matière de sécurisation et de cybersécurité. D’ailleurs, la RATP a intensifié ces derniers jours la présence de ces agents de sûreté dans les gares en raison du plan Vigipirate. Selon l’intervenant, d’importantes campagnes de communication ont été déployées et vont continuer à l’être pour « sensibiliser le public sur les gestes à adopter dans les transports et sur l’importance de la vigilance au niveau collectif ». Ces canaux de communication seront renforcés d’ici l’an prochain, précise Thomas Laydis.

                                                                   Conclusion      

Nos échanges sur le vécu d’un professionnel de la communication et de la gestion d’image témoignent de pratiques transversales à de nombreuses structures qui mettent en œuvre des stratégies de gestion de leur réputation. Dans un contexte où la réputation des institutions en général est en berne et la défiance envers les grandes structures privées augmente, chercher à intervenir sur la réputation numérique des entreprises est clé. Des professionnels de la communication développent des compétences spécifiques pour répondre à ces défis.

Compte-rendu rédigé par Maxime Hollard-Bosetti & Zilla Zevounou (promo M2, 2023-2024)


[1] Cherif Ben Miled H., Cros S., Pratlong F. (2018), « Réseaux sociaux et e-réputation : le cas de la SCNF », Vie & sciences de l’entreprise, 206, 103-122. URL : https://www.cairn.info/revue-vie-et-sciences-de-l-entreprise-2018-2-page-103.htm

[2] Gerard P., Jezequel B. (2023), « Outil 2. La mesure de l’e-réputation », La boîte à outils de la communication. Paris, Dunod, 12-13. URL : https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-de-la-communication–9782100848300-page-12.htm

[3] Reguer D. (2011), E-reputation. Manager la réputation à l’heure du digital. Dunod, Coll. Tendances Marketing, ISBN : 9782100565535. URL : https://www.cairn.info/e-reputation–9782100565535.htm

[4] Fillias E., Villeneuve A. (2012), E-réputation : stratégies d’influence sur Internet (2e édition), Paris, Ellipses

[5] https://globometer.com/trains-metro-paris.php, URL consultée pour la dernière fois le 9 novembre 2023

[6] https://www.bonjour-ratp.fr/lignes-rer/, URL consultée pour la dernière fois le 9 novembre 2023

[7] https://www.ratp.fr/devenez-conducteur-bus, URL consultée pour la dernière fois le 9 novembre 2023

[8] https://askip.ratpgroup.com/, URL consultée pour la dernière fois le 9 novembre 2023