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Comprendre les politiques publiques françaises à l’aune des politiques européennes : rencontre avec le média Contexte

Avec la guerre en Ukraine et ses importantes retombées économiques et politiques, les problématiques européennes sont aujourd’hui souvent au cœur de l’actualité. Pourtant, la question de la médiatisation de l’Europe politique n’est pas simple. Souvent marginalisée dans les médias, sans rubrique propre et sans grand engouement de la part des rédactions et des publics, l’actualité européenne a tendance à se retrouver reléguée au second plan[1]. Pourtant, dans cette tendance à la « nationalisation de l’information », le média Contexte a lui décidé de se tourner vers l’Europe. Afin de comprendre cette volonté de produire une information européenne, la salle 421 a échangé, le 9 février 2023, avec Laura Mercier, journaliste Environnement à la rédaction bruxelloise du pure player[2]. Réalisé dans le cadre du cours « Médias et médiatisation de la politique en Europe », dispensé par M. Yohann Garcia, l’entretien en visioconférence depuis Bruxelles nous a permis d’illustrer les connaissances acquises durant le semestre européen du Master Communication politique et publique.

Laura Mercier, journaliste Environnement à la rédaction bruxelloise de Contexte

UNE INFORMATION EUROPÉENNE INDÉPENDANTE

Fondé en 2013 par trois ancien·ne·s d’Euractiv.fr, Contexte[3] se destine avant tout à un public de professionnel·le·s des politiques publiques françaises et européennes. Son modèle économique, basé uniquement sur les abonnements, sans publicité ni partenariat, lui assure la liberté et l’indépendance de faire un travail journalistique d’expertise. Le marché concurrentiel médiatique, où prédominent les actualités nationales, ne laisse qu’une place marginale à l’actualité européenne ou au cadrage européen de l’actualité. À l’époque pourtant, le constat est rapidement posé, raconte Laura Mercier : « On ne peut pas expliquer les politiques publiques françaises sans comprendre les politiques publiques européennes. ». Ainsi, le choix est fait de couvrir le travail législatif européen en parallèle de celui qui se déroule en France. L’objectif est de mettre en lumière les dynamiques d’influence qui pèsent sur le processus législatif européen et français pour comprendre les interactions entre plusieurs parties prenantes. Laura Mercier y voit ici une volonté de participer à la « réappropriation démocratique » de l’information paneuropéenne. Ainsi, le focus est fait sur les rapports de force et de pouvoirs qui se jouent dans les couloirs des institutions européennes. Plus concrètement, les contenus qui ressortent de ce travail journalistique se présentent sous forme d’éditions thématiques (Énergie, Transport, Environnement…) qui proposent quotidiennement un briefing sur le sujet. L’information est traitée sans opinion, simplement en racontant ce qu’il se passe dans les institutions européennes, en on comme en off. Le cadrage de l’information restitue le point de vue de l’ensemble des actrices et acteurs impliqués dans le travail législatif européen.

Et les lecteur·ice·s sont au rendez-vous. En juillet 2022, Contexte comptait plus de mille organisations abonnées, ce qui représenterait près de dix mille lectrices et lecteurs individuels[4]. Les abonné·e·s mobilisent surtout le journal comme outil de veille et d’explication législative, utile pour la rédaction de fiches parlementaires ou pour cibler les acteurs influents en présence. Le journal propose en ce sens des scans de veille automatique et des articles de fond. Laura Mercier mobilise l’exemple de la couverture médiatique du vote du règlement européen sur les emballages. Contexte avait alors proposé une analyse complète du texte puis de sa version finale, permettant ainsi de saisir les arbitrages de l’exécutif européen et à quels groupes d’intérêt, partis ou États ils profitaient le plus.

LA DÉONTOLOGIE D’UN MÉDIA POLITIQUE EN LIGNE

Le média s’adressant aux professionnel·le·s des politiques publiques, les lectrices et lecteurs sont aussi les principales sources de Contexte. Cette organisation ne met pas pour autant à mal sa déontologie, qui s’attache aux normes journalistiques classiques. La volonté de transparence et d’exigence à l’égard du travail journalistique est assurée par deux éléments importants. Le premier est la charte de déontologie de Contexte en libre accès sur le site du média[5]. Le second est la déclaration d’intérêt ; rédigée pour chaque journaliste et pour le média lui-même[6]. Dans ce cadre éthique, le service marketing est totalement séparé du service éditorial, si bien que Laura Mercier est incapable de dire qui est abonné et quel est le prix de l’abonnement.

LE CORPS DE PRESSE EUROPÉEN, ACTEUR DU JEU POLITIQUE

Aujourd’hui, le journal compte une trentaine de journalistes. Parmi eux 13 sont à Bruxelles, ce qui fait de Contexte le média français le plus représenté dans la capitale belge. Laura Mercier, recrutée début 2021 à l’ouverture de l’édition Environnement, avait déjà fait ses preuves de la bulle bruxelloise[7]. En parallèle de son Master en Affaires européennes à l’Université Libre de Bruxelles, celle-ci était rédactrice en chef du Taurillon, média associatif tourné vers l’Europe[8][9]. Sa connaissance de l’entre-soi européen est un atout pour son métier puisque la journaliste admet qu’une grosse partie de son travail sur place consiste à rencontrer tous les acteurs impliqués dans le processus décisionnel. Cela peut se faire autour d’évènements ritualisés tels que les conférences de presse du Midday ou lors de rencontres plus off telles que les déjeuners et les briefings techniques. Ce type de relations informelles construites et entretenues à Bruxelles par les journalistes de Contexte permet au journal de se démarquer des autres médias en dévoilant par exemple des documents de travail internes comme des versions provisoires de règlements. Ces fuites peuvent révéler les conflictualités qui existent au sein des institutions européennes, dimension de « jeu »[10] rarement mise en valeur par les médias français traitant de l’information européenne. Par exemple, en novembre 2022, Laura Mercier raconte avoir publié un brouillon non définitif d’un projet de loi, ce qui déclenche en interne une vague de réaction et de pression pour faire bouger les lignes. Le texte officiel présenté au vote, bien différent du draft, permet aux lectrices et lecteurs de se rendre compte des différentes influences sous-jacentes. Pour ce qui est du corps de presse européen et de son mode de fonctionnement, Laura Mercier admet que l’arrivée des pure players rebat les cartes de la concurrence pour l’information et les fuites de documents. Cependant, la « bulle journalistique bruxelloise » reste globalement favorable à la sociabilité entre pairs et à la confraternité, tous les journalistes se croissant et se côtoyant régulièrement[11].

LES SPÉCIFICITÉS DU TRAVAIL JOURNALISTIQUE À BRUXELLES

Les journalistes travaillant à Bruxelles doivent intégrer dans leur routine de travail des logiques propres au champ journalistique européen au cadre de travail européen. Il y a d’abord la problématique de l’accès et du choix entre les différentes institutions. Laura Mercier, toujours en quête d’actualités politiques inédites, dit préférer la Commission européenne, lieu de rédaction des textes législatifs et donc de collecte d’une précieuse information off. Pourtant les sources de cette institution sont plus difficiles d’accès que celles travaillant au Parlement européen, « mine d’or » hautement politique. Les députés et leurs collaborateurs sont plus enclins à donner des informations et à dialoguer avec les journalistes puisque ceux-ci tiennent un discours politisé, à l’inverse de la Commission qui tente de verrouiller les fuites et de produire un discours unifié et plus lisse[12]. Ensuite, il y a la question de la multiplicité des acteurs. Chaque thématique nécessite de se tourner vers de nouveaux acteurs spécifiques. Naviguer entre tout ce monde et savoir trouver la bonne personne relève de la routine pour le journaliste européen. Ainsi, Laura Mercier explique que pour le thème de l’agriculture, elle ira d’abord voir les actrices et acteurs importants de ce milieu comme les représentant·e·s des grands syndicats, pour mettre en scène le rapport de force entre les groupes d’intérêt. Aussi, elle dialogue avec les différentes formations politiques au Parlement européen dont la délégation de la majorité présidentielle et le groupe politique associé Renew. Enfin, l’agenda politique européen contraint significativement le travail des journalistes présent·e·s à Bruxelles. Laura Mercier raconte ainsi travailler au rythme des sommets européens au Conseil européen, lieu hautement politique très prisé des médias qui y collecte une information politisée et nationalement incarnée par les chefs d’État et de gouvernement.

On peut considérer que la primauté médiatique donnée aux informations issues de ces sommets témoigne une nouvelle fois de la faiblesse de l’actualité européenne aux yeux des rédactions nationales.

Compte-rendu rédigé par Mathys Louis et Mélodie Wertenschlag (Promotion M1 Communication politique et publique, 2021-2022)


[1] Hubé, N. (2003). 4. L’Union européenne à la « Une ». Un cadrage difficile d’une actualité peu visible. Regard comparé sur la presse française et allemande in G. Garcia & V. Le Torrec, L’Union européenne et les médias. Regards croisés sur l’information européenne, p. 67-89.

[2] Un pure player désigne ici un média dont les contenus sont exclusivement en ligne.

[3] Page « À propos », Contexte. URL (15/02/2023) : https://www.contexte.com/pages/a-propos/.

[4] Article « 5 000 x 1 000 = 5 millions », Contexte Le Blog, 07/07/2022. URL (15/02/2023) : https://blog.contexte.com/5-000-x-1-000-5-millions-8389e5a6f1c2

[5] Page « Charte de déontologie », Contexte, URL (15/02/2023) : https://www.contexte.com/pages/charte-de-deontologie/

[6] Page « Déclaration d’intérêts », Contexte, URL (15/02/2023) : https://www.contexte.com/pages/declaration-d-interets/

[7] Tixier F. (2019). Incarner l’Europe dans et par les médias. Les militants d’information européenne et la construction d’un monde transnational du journalisme européen. Thèse de doctorat : Université Libre de Bruxelles/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

[8] Page « À propos », Le Taurillon. URL (15/02/2023) : https://www.taurillon.org/a-propos-5493

[9] Article « Le Taurillon, média associatif tourné vers l’Europe », Salle 421, 2022. URL (15/02/2023) : https://salle421.eu/2022/05/31/le-taurillon-media-associatif-tourne-vers-leurope/

[10] Hubé N. (2008), Décrocher la “UNE”. Le choix des titres de première page de la presse quotidienne en France et en Allemagne, Presses Universitaires de Strasbourg.

[11] Baisnée O., Pouzadoux M., « Le corps de presse de l’Union européenne 2000-2020 : permanences et transformations d’une institution journalistique », Politique européenne, 2022/1 (N° 75), p. 42-66.

[12] Ibid.