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L’habit en politique ou la symbolique du pouvoir. L’exemple français : de 1958 à 2017

Michel Rocard aux cotés de François Mitterrand, Président de la République Française.

Michel Rocard aux cotés de François Mitterrand, Président de la République Française.

« Oui, l’habit ça flatte toujours ; et ce n’est pas moi qui suis élégant, c’est mon costume. » disait Marcel Pagnol. En effet, le costume a toujours représenté bien plus que l’Homme qui le portait et c’est pour cela qu’il est une arme de démonstration du pouvoir depuis bien des siècles.
Dès l’émergence des premières civilisations, l’habit qui servait en premier lieu de protection face aux aléas climatiques et aux ennemis est très rapidement devenu un accessoire de distinction sociale. L’affirmation et la représentation de l’autorité passaient par l’habit que l’on détenait. Des sociétés antiques en passant par la royauté, aux dictatures contemporaines et aux démocraties chaque régime a ses codes tant iconographiques que vestimentaires. C’est parce que vinrent des mutations politiques que le vêtement s’est modifié tout au long des siècles. De la couronne, aux cols « parricides » -si bien décrits dans Le Monde d’Hier de Stefan Zweig- en passant par la cravate tous eurent à un moment ou un autre leur propre symbolique politique et sociale. Alors qu’en France nous débattons du prix des costumes d’un candidat à la présidentielle, il semblait important de s’intéresser au lien qu’entretient la politique française avec le vêtement et plus particulièrement le fameux « costume présidentiel ». C’est pourquoi nous verrons en quoi l’évolution du port du costume présidentiel sous la Vème République est la conséquence des mutations politiques et sociales que connut la France. Du Général de Gaulle alternant entre ses habits de chef d’État et ceux de militaire à la normalité du Président Hollande incarnée jusque dans sa tenue ce sont soixante années de transformations auxquelles nous allons nous intéresser.

De Gaulle et Pompidou : l’habit comme incarnation du pouvoir

Pour sa première photographie officielle en tant que Président de la République élu au suffrage universel,  Le général de Gaulle porta la panoplie complète du chef de l’État (Grands-croix de la Légion d’honneur et le collier de Grand Maître de l’Ordre de la Libération, dont il fut l’unique Grand Maître) à un détail près : il ne porte pas la veste officielle du Chef de l’État mais bien celle de général. Tout au long de ses mandats il va d’ailleurs alterner entre ses habits militaires et civils.
Comme le remarque Pierre-Emmanuel Guigo dans son ouvrage Communication et politique, les liaisons dangereuses : « jusqu’aux années 1960, le physique du politique est essentiellement connu à travers les portraits officiels, souvent idéalisés ou à tout le moins, valorisants. À cette époque, la véracité du portrait revêtait une moindre importance. La diffusion de la photographie de presse puis celle de la télévision, va amener le corps des politiques à être de plus en plus exposé au regard des électeurs. » (2017) Le général de Gaulle va d’ailleurs tirer profit des 2h d’antenne hebdomadaire qu’il aura sur le petit écran[1]. Il s’en servira lors du Putsch des généraux qui eut lieu le 21 avril 1961 et fomenté par une partie des militaires de carrière de l’armée française en Algérie, et conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller). Le général de Gaulle apparaitra deux jours plus tard à la télévision devant plus de 2 millions de Français en uniforme militaire pour informer la Nation qu’il assume les pleins pouvoirs prévus par l’article 16 de la Constitution. En arborant un tel uniforme en tant que Chef d’État, Charles de Gaulle voulut aussi montrer qu’il était chef des Armées et qu’il comptait le rester. Une arme de communication utilisée avec brio alors que l’émergence de la télévision commence à peine.

Intervention du 23 avril 1961 du Général de Gaulle suite au putsch des Généraux

Intervention du 23 avril 1961 du Général de Gaulle suite au putsch des Généraux

Le soir même ou se déroula le putsch, une scène assez unique se déroula et dont nous avons perdu l’habitude aujourd’hui, celle de la présence du général de Gaulle au Théâtre-Français ou Comédie Française. Ce n’est pas cette présence qui est unique, mais bien l’habit dans lequel se trouvait le Président. Il arbora ce soir là, la tenue complète du chef d’État décrite plus haut. C’est en effet, une tradition perdue que celle d’arborer sa tenue officielle pour un chef d’État. Cette dernière était utilisée lors d’une visite d’État d’un chef d’État étranger (En l’occurrence, ici ce fut Léon M’ba, Président du Gabon). Le dernier à l’avoir utilisé fut Nicolas Sarkozy à deux reprises, lorsqu’il fut reçu en visite officielle au Royaume-Uni et en Espagne.
Quant au président Pompidou, il garde une certaine continuité avec son prédécesseur. Une continuité quasi normale puisqu’il fut Premier Ministre du général de Gaulle. Son portrait officiel, ne diffère que très peu avec celui du général de Gaulle. En effet, il garde la panoplie complète du chef de l’État, c’est d’ailleurs le dernier à l’afficher sur son portrait officiel. Contrairement au général de Gaulle, Georges Pompidou ne porte jamais de costumes croisés, il leur préfère les trois pièces accompagnées d’un mouchoir de poche blanc, symbole historique de l’aristocratie et accessoire que l’on retrouve en Égypte et à Athènes, grâce auquel l’on se protégeait des mauvaises odeurs. Sa blancheur était un signe de propreté, donc de noblesse[2]. N’étant pas militaire de carrière, on ne retrouve jamais Georges Pompidou en uniforme militaire à la télévision.
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir en 1974 va instituer une nouvelle façon de se montrer et de s’habiller.

Valéry Giscard d’Estaing, « un vent de jeunesse » ?

Valéry Giscard d’Estaing alors plus jeune président de l’Histoire de France est aussi le premier a s’afficher en costume de ville pour son portrait officiel, délaissant la bibliothèque du palais de l’Élysée pour un drapeau en mouvement. Lui aussi adepte des mouchoirs de poche, il garde un style très sobre durant l’ensemble de son septennat. Président durant une crise pétrolière sans précédent, la sobriété étant alors de rigueur, il passe son mandat entre un costume droit à trois boutons gris et un bleu accompagnés de cravates unies ou à petits motifs sans jamais dévier ou oser.
La victoire de la gauche en 1981, va permettre l’accession au pouvoir d’un homme qui apprécie les belles choses et la belle mise, François Mitterrand.

François Mitterrand et Jacques Chirac entre tradition et modernité

Dès son arrivée Faubourg Saint-Honoré, François Mitterrand va devenir client de la « Grande mesure » c’est à dire un vêtement réalisé 100% à la main avec un choix de tissus illimités. Mais pas n’importe quelle « grande mesure », la Maison Cifonelli datant de 1860. Cette dernière possédant une botte secrète, une épaule unique, permettant l’allongement de la silhouette et de la carrure. Idéal pour un Président de la République d’1m70 qui cherchait à parfaire sa stature. Le premier Président Socialiste de la Vème va très rapidement prendre conscience de l’importance des couleurs, à chaque déplacement présidentiel important, François Mitterrand misait sur un costume gris : moins triste que les couleurs sombres, et peu salissant[3]. Il gardera lors de ses grandes allocutions, un costume sombre, de rigueur pour l’occasion. Concernant les coupes, il mêlera les costumes simples et les croisés, les préférés de son adversaire historique, Charles de Gaulle.
On ne le verra jamais arborer un mouchoir de poche, éloigné de ce qu’il peut représenter en tant que président de gauche mais il ne se refusera pas au port du chapeau sur-mesure de chez Arny’s (connu aujourd’hui du grand public pour fournir les costumes de François Fillon) lors de ses promenades parisiennes. Pour son portrait officiel, il renouera avec la tradition de la bibliothèque élyséenne, assis avec un livre ouvert, symbolisant sa folle passion pour la culture et particulièrement pour la littérature.
Son successeur, Jacques Chirac s’affichera quant à lui dans les jardins de l’Élysée provoquant ainsi une nouvelle rupture avec ses prédécesseurs. L’image de bon père de famille fut travaillée jusque dans le style de Jacques Chirac, avec des pantalons qui remontent jusqu’au nombril assumant avec délectation son style vieux-beau et incarnant une forme « d ’autorité bienveillante » selon Vincent Grégoire, chasseur de tendances et directeur de création du bureau de style NellyRodi. C’est cette image de Président sacralisé mais proche qu’a réussi à diffuser Jacques Chirac durant ses 12 ans de pouvoir grâce à un style de dandy provincial, qui ne se refusera pas à caresser les vaches au Salon de l’Agriculture en costume complet.

La sobriété instituée par Nicolas Sarkozy

L’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République marque un réel tournant dans l’habillement présidentiel. L’habit n’est plus une arme d’affirmation du pouvoir mais de communication télévisuelle. Les communicants de Nicolas Sarkozy théorisent la sobriété du costume présidentiel. Il ne déviera jamais de cette voie. La cravate de couleur est jugée trop lumineuse à la télévision, les matières comme la flanelle ou la laine trop anciennes, pas assez modernes. Paradoxe pour le président jugé « bling-bling », mais il optera tout le long de son quinquennat pour un costume bleu, Dior, certes, et une cravate en grenadine de soie de la même couleur que son costume. Les seuls accessoires ostentatoires du président Sarkozy seront les montres et les boutons de manchettes. Il fera de ses chaussures Berlutti, rehaussées de talonnettes, une arme communicationnelle afin de le faire paraitre plus grand. Mais Sarkozy n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la sobriété des hommes de pouvoirs du XXIème siècle. À l’époque de la crise des subprimes et des dettes souveraines il n’est plus question de se distinguer du peuple par des habits ostentatoires. Dans l’ouvrage Les Habits du pouvoir des frères Gaulme, Serge Girardi du magazine Numéro analyse : « Il faut surtout que le vêtement ne parle pas. » ainsi, les politiques ne doivent pas montrer qu’ils passent plus de temps à se parer qu’à travailler. Tel Napoléon représenté par David dans son bureau à quatre heures du matin, les bougies presque fondues et les bas mal tirés, remarquent les frères Gaulme.

François Hollande ou la normalité assumée

« Moi, président je choisis mes costumes » avait répondu, un brin agacé, François Hollande à Maitena Biraben lorsque cette dernière lui avait concocté un reportage dans son émission Le Supplément sur ses costumes. Alors candidat en 2012, François Hollande avait fait de sa « normalité »  un thème de sa campagne, en rapport au président Sarkozy jugé parfois « blingbling » et « hyperprésident ».
Sur l’ensemble de son mandat, Hollande fut raillé sur ses tenues. Le président avait choisi de porter du prêt-à-porter qu’il faisait retoucher. Face aux nombreuses critiques qui l’accusaient de manquer de respect à la fonction avec des costumes mal taillés, François Hollande a décidé au milieu de son quinquennat de porter du sur-mesure. Mais rien n’y fit, le locataire de l’Élysée et son habituelle cravate de travers n’ont pas fait taire les critiques et même un site internet recensant les fois où sa cravate n’était pas droite a vu le jour. Le théoricien de la « normalité présidentielle » a donc fait face au poids de la fonction et du costume présidentiel car ce qu’il n’avait sans doute pas compris, c’est qu’il ne porte pas le costume, c’est la France qui le porte. Et c’est donc son image à travers lui qui est en jeu.

Le vêtement en politique participe indéniablement à la sacralisation de la fonction. Et au fil du temps, le vêtement politique est rentré en conformité avec les codes vestimentaires de la société. Les politiques dans un élan de sobriété ont décidé de ne plus paraître participant insidieusement à la désacralisation de leur(s) fonction(s). Néanmoins, cette apparente sobriété cache parfois d’astucieux détails de symboles de pouvoir et d’argent. Prenons deux exemples : le port d’un insigne comme la légion d’honneur ou l’ordre du mérite -les plus couramment portés chez le personnel politique – mais aussi beaucoup plus vestimentaire, les détails des costumes d’aujourd’hui. Comme l’épaule Cifonellichez Mitterrand ou le Cran Parisien pour François Fillon, détails au combien important pour un œil averti. La distinction n’est donc plus à l’opulence des costumes d’autrefois, mais bien au détail subtil qui n’est visible que pour les connaisseurs. Les acteurs politiques pensent -à tort ?- que leur légitimité venant des urnes et du suffrage universel, ils n’auraient plus à prouver le pouvoir attaché à leur fonction, souvent habité par le vêtement. Un délaissement vestimentaire qui participe petit à petit à la désacralisation de la politique et de ses acteurs.

Tanguy Hergibo

Bibliographie

Dominique et François GAULME, Les Habits du pouvoir,  une histoire politique du vêtement masculin, Paris, Flammarion, 2012
Pierre-Emmanuel GUIGO, Communication et politique, les liaisons dangereuses Paris, Arkhe, 2017


[1] Patrick, ROTMAN, De Gaulle, le dernier roi de France , France3, Diffusé le lundi 27 mars 2017 à 20h55
[2]Marion, GALY-RAMOUNOT, « Bernard Cazeneuve, l’homme le plus stylé de la gauche », Madame Le Figaro, 6 décembre 2016, URL:  http://madame.lefigaro.fr/style/bernard-cazeneuve-lhomme-le-plus-style-de-la-gauche-061216-128499
[3]  GQ, « Le style Mitterrand », URL :  http://www.gqmagazine.fr/mode/le-style-de/diaporam/le-style-mitterrand/2327#16