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Espagne : la campagne « SOMOS », ou comment créer une culture de l’engagement

Affiche campagne Somos

C’est à l’initiative de 25 Organisations non gouvernementales (ONG) espagnoles que l’Association Espagnole de Fundraising (AEF) et l’entreprise Bain & Company se sont associées pour la première fois en 2012 pour coordonner la campagne de sensibilisation « SOMOS ». (« nous sommes » en espagnol). L’objectif premier de cette campagne est de promouvoir la culture de la solidarité dans un pays où le taux de contribution à une ONG reste bas par rapport à celui d’autres pays européens ; mais aussi de remercier au passage les quelques millions de partenaires réguliers qui contribuent chaque année avec une ONG espagnole. Bien sûr, même si la promotion de la solidarité est au cœur de cette campagne, l’augmentation du nombre de militants des ONG est aussi un des principaux objectifs.

Les chiffres : piliers de la campagne

D’après un rapport publié par Bain & Company en Mai 2014, environ 7,5 millions de personnes ont fait un don l’année dernière à une ONG en Espagne. Malgré la situation économique actuelle et la crise que traverse le pays, le nombre d’espagnols qui contribue financièrement avec une ONG a augmenté ces dernières années, passant de 7,1 millions en 2010 à 7,5 millions en 2014.

Les Espagnols sont solidaires et croient en l’importance des ONG autant ou plus que tous les autres pays voisins. Ils sont par exemple convaincus de la nécessité de l’aide au développement et de l’importance de l’investissement public dans l’éducation et la santé. En effet, d’après un Eurobaromètre effectué en Octobre 2013 à la question « Où croyez-vous que devrait être investi en majeure partie le budget de l’Union Européenne ? », la population espagnole a répondu majoritairement qu’il devait être destiné à l’éducation et à la santé, se plaçant plus de 15 points au dessus de la moyenne européenne[1]. L’Espagne est cependant un des pays qui se mobilisent le plus lors des situations d’urgence comme celles du tremblement de terre en Haïti ou du typhon aux Philippines, pendant lesquelles le pays était devenu le troisième plus grand donateur mondial.

Les contributions occasionnelles et en cas d’urgence humanitaire sont donc supérieures à celles des pays les plus riches. Selon le journal El Mundo (2011), « [Les dons en Haïti] ont conduit l’Espagne à devenir le troisième pays le plus généreux dans le monde entier pour fournir, même pendant la crise économique, 192.000.000 € »[2]. Mais malgré ce chiffre positif pour le pays, il est possible de constater que cette forte solidarité et cette mobilisation ne sont visibles qu’en cas d’urgence et de façon irrégulière. En effet, Bain & Company souligne le fait que le pourcentage de ses partenaires récurrents en Espagne est de 10% alors qu’il est de 15-20% dans d’autres pays européens. De même, le pourcentage d’espagnols âgés de 18 ans ayant fait un don à une ONG est faible par rapport à la moyenne européenne : environ 20% en Espagne, contre 60% chez les voisins européens.

C’est en prenant en compte ces chiffres que l’initiative de la campagne « SOMOS » a été lancée par l’Association Espagnole de Fundraising. De fait, les contributions individuelles restent la principale source de fonds pour les ONG et voir que certains fonds ont augmenté depuis le début de la crise donne un message d’espoir à toutes ces ONG en quête de partenaires économiques mais aussi sociaux. C’est donc « le moment où jamais » pour le secteur associatif espagnol de relancer la population afin de la mobiliser plus fortement. Mais aussi de créer une culture de l’engagement qui va permettre à la société espagnole de répondre à certains défis qui concernent tout autant des victimes que des personnes dans le besoin, et des situations d’urgence comme celle de Haïti. L’objectif est de relancer cette culture de la solidarité que les espagnols ne semblent pas avoir perdue malgré la crise économique et les moments difficiles que traverse le pays.

La campagne 2014 : « Est-ce que nous le sommes ? Ou est-ce que nous ne le sommes pas ? »

C’est donc la troisième fois que l’Association Espagnole de Fundraising réitère la campagne « SOMOS » avec l’association de 33 ONG telles que la Croix Rouge Espagnole, Action contre la faim, UNICEF, RAIS Fundación, entre autres. Cette troisième édition vise à accroître la collaboration et la solidarité à travers l’envoi d’un SMS Solidaire pour aider les ONG qui militent pour six causes principales : la pauvreté et la faim, l’enfance, l’éducation, les urgences, la santé et la recherche, et enfin le handicap et l’exclusion sociale. De plus, le 6 juin a été célébrée la journée « SOMOS », à travers laquelle le travail des ONG espagnoles a été visible dans un événement qui eu lieu dans le centre de Madrid, capitale d’Espagne. Se déroulant tout au long de l’année, c’est néanmoins lors de la « Journée Somos » (« Dia Somos ») que l’impact de cette campagne est le plus grand. Cela avait été déjà le cas pour les campagnes 2012 et 2013, avec chaque année des thèmes différents pour le « Dia Somos ».

Si nous avons aussi longuement abordé les chiffres de la solidarité espagnole, c’est bien parce qu’il s’agit d’un des éléments clés de la campagne 2014. Ces chiffres sont utilisés comme message aussi bien sur les supports Internet, que sur les supports print (affiches et dépliants). La question que nous pose cette année l’Association Espagnole de Fundraising est la suivante : Est-ce que nous sommes (solidaires) ? Ou est-ce que nous ne le sommes pas (solidaires) ? (en espagnol : « Somos o no somos ? »)

Cette question est décisive, et est déclinée sous différentes formes et sous différents supports.

Internet comme outil principal de diffusion : à travers le site Internet[3] crée spécialement pour la campagne, les organisateurs diffusent toutes les informations en rapport avec la celle-ci. A savoir la liste des ONG participantes, ses messages forts, les spots vidéos, les liens pour faire un don et bien d’autres choses encore. Le site web est très complet et regroupe tout ce qu’il est nécessaire de savoir à ce sujet. La première chose qui frappe l’internaute est bien sûr la grande bannière qui occupe les 2/3 de la page avec comme message : « 79% des espagnols croient que nous pouvons faire plus pour combattre la pauvreté dans notre pays. » La bannière active défile avec la suite du message « Alors pourquoi seulement un espagnol sur dix est partenaire d’une ONG ? Est-ce que nous sommes (solidaires) ou est-ce que nous ne le sommes pas ? » Les informations pour envoyer un SMS Solidaire défilent enfin. Cette même bannière change de message au fur et à mesure, avec d’autres chiffres clés de la solidarité en Espagne.

Le message est frappant lorsque l’on observe le contraste entre la grande majorité des espagnols qui croit et fait confiance au travail des ONG et le nombre de personnes qui les soutiennent aussi bien financièrement qu’humainement. Le site reprend donc de manière régulière cette question qui est de savoir si « nous, les espagnols » sommes solidaires ou non.

Des spots vidéos de 12 secondes sur Youtube ont également été crées sous forme de mini-témoignages. On y trouve des collaborateurs ou donateurs des ONG, qui posent chacun une question tirée de l’interrogation de base : « Est-ce que nous le sommes ? Ou nous ne le sommes pas ? ». Ces spots sont déclinés sous cinq formes et on y trouve par exemple un homme demandant : « Sommes-nous ou ne sommes-nous pas capables d’être les (plus solidaires) autrement qu’en cas d’urgence ? Envoie SOMOS au 28014 et fais le premier pas ». Et ainsi de suite avec d’autres questions, d’autres personnes, reprenant tous la question principale, ainsi que les données véhiculées par les chiffres sur la solidarité espagnole.

La présence sur les réseaux sociaux est tout aussi importante avec un compte Twitter et Facebook mis à jour régulièrement sur les informations de la campagne, des chiffres récents etc.

Campagne print : les affiches diffusées pour la campagne SOMOS 2014 sont toutes dans le même esprit que la campagne Internet. Les affiches reprennent exactement les messages que nous pouvons lire sur la bannière du site de la campagne. Couleurs sobres, mais aussi surlignage de pourcentage en couleur rose (couleur de la campagne 2014, tout comme le site web) permettent une meilleure lecture du message sur ces affiches.

Affiche campagne Somos

Il en est de même pour les spots radio qui reprennent aussi ce schéma. Le thème de la journée SOMOS qui a eu lieu le 6 juin dernier est resté inconnu jusqu’aux trois jours précédant l’évènement. Les organisateurs de la campagne ont annoncé que tous les madrilènes étaient attendus pour un rassemblement à la Plaza de Vazquez de Mella pour participer à cette journée SOMOS entourés de six artistes urbains. Parmi eux, se trouvaient des artistes notables tels que Suso33, Belin, 2Spread, FratelliMocca, Saturno et Musa. Tous étaient présents pour réaliser en direct des peintures murales inspirées des six causes principales de la campagne.

Ainsi, les participants pouvaient rencontrer ces artistes, collaborer avec eux, ou peindre eux-mêmes leurs propres t-shirts qui les identifiaient comme « les gens SOMOS » (« gente SOMOS » en espagnol).  Par ailleurs, les organisateurs ont fait appel à la solidarité des personnes ne pouvant pas se déplacer, en leur demandant de se prendre en photo avec un vêtement à l’envers, et de la leur envoyer ensuite. Cette idée de porter ou de faire des choses à l’envers symbolise le fait que nous pouvons inverser les tendances en étant unis et solidaires. De ce fait, la pauvreté, la faim, ou encore la maladie peuvent être mis à l’envers (donc supprimés) avec la solidarité de tous. Cet appel à photos fait aussi référence à la campagne 2012 où le thème principal était justement la conception du monde « à l’envers ».

Photo journée Somos

Les campagnes de sensibilisation SOMOS sont depuis trois ans assez cohérentes dans leur ensemble. En effet, cette année par exemple, l’Association Espagnole de Fundraising et tous ses partenaires ont opté pour la diffusion de deux ou trois messages, et pas plus, ce qui facilite la compréhension de la campagne. De plus, la reprise des mêmes messages et du même univers dans les différents supports permet au récepteur de rester concentré sur l’essentiel et de mieux mémoriser la campagne. Celle de cette année semble utiliser l’expérience des années précédentes et on y voit une légère évolution quand aux messages beaucoup plus clairs et ludiques, ainsi que le design général de la campagne. Reste à voir sur le long terme si les courbes concernant la participation des espagnols aux ONG vont évoluer et si le pari de créer cette culture de l’engagement en Espagne va être atteint.

Quelques critiques ont néanmoins vu le jour à propos de la complexité du message de la campagne. Des journalistes ont mentionné le fait qu’il était peut-être trop confus, car les gens n’ont pas d’informations précises sur la destination de l’argent collecté. La population se demande en effet si les dons vont directement à une ONG en particulier, ou alors si l’argent est réparti entre plusieurs ONG, interrogations qui peuvent être source de démotivation au moment de passer à l’acte du don. La campagne ne communique peut-être pas assez sur cette dimension car en effet, une réponse à ces questions ne peut être trouvée que sur le site Internet où il est demandé au donateur de choisir une ONG, ou de choisir une cause, pour faire directement un don en fonction de ce choix.

Par ailleurs, un mouvement contre cette campagne baptisé « Nous ne sommes pas comme ça » (« No somos asi ») a vu le jour il y a quelques temps. Il critiquait par exemple le parrainage de la campagne par certaines banques. D’autant plus en cette période de crise économique, des arguments tels que « nous ne sommes pas ainsi car nous ne voulons pas laver les consciences à travers les dons, nous voulons des citoyens informés », ou encore « nous ne sommes pas ainsi parce que nous ne voulons pas l’argent d’entreprises qui volent les droits humains comme la banque Santander » ont pu être présentés. Ce sont donc en grande partie les financements privés qui sont blâmés ici, mais également la participation de certaines célébrités qui veulent se « donner bonne conscience » d’après une liste nombreuse d’ONG espagnoles contre cette campagne.

Cela n’empêche que la campagne SOMOS 2014 part à la base d’une initiative citoyenne en faveur de l’augmentation de la solidarité et de la mobilisation espagnole. Créer une culture de l’engagement, mais à quel prix ?

Jasmin Tigil

[1] Source : Un an pour les elections européennes de 2014, Eurobaromètre (18/10/2013)
[2] Source : http://www.elmundo.es/america/2011/01/10/noticias/1294694739.html
[3] Site de la campagne : http://somosasi.org/

Crédits images :
Affiches de la campagne « Somos » : http://somosasi.org/

Photo (prise lors de la journée « Somos ») : https://www.facebook.com/somosasiorg