On ne devrait pas en parler
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La campagne #Ouijevote – ou comment la com’ gouvernementale véhicule les clichés sur les jeunes

Le 17 février, le gouvernement a lancé la campagne #Ouijevote, à cinq semaines du premier tour des élections municipales. Deux objectifs pour cette campagne : informer sur les nouvelles modalités de scrutin aux prochaines élections municipales, et inciter les jeunes (entre autres populations) à aller voter. En effet, les 18-25 ans ne se pressent pas aux urnes. En 2012, 19% d’entre eux ne sont pas allés voter à l’élection présidentielle… et ils étaient 33,5% à rester chez eux lors des dernières élections municipales de 2008. Un an après la sortie du rapport de l’INJEP « Voter, ça les intéresse ? Participation électorale des jeunes et évolution du lien politique », le gouvernement profite donc du contexte des municipales pour sensibiliser les jeunes à la question du vote.

Une campagne web pour un public connecté

La campagne #OuiJeVote s’articule autour de plusieurs outils : spots radio, vidéos, kits de communication diffusés aux mairies et préfectures… Elle est surtout principalement implantée sur le web. Outre la plateforme web classique qu’est ouijevote.fr, intégrée au site du Ministère de l’Intérieur, la campagne s’appuie sur le hashtag #OuiJeVote et sur la viralité de l’information sur les réseaux sociaux. Pour assurer le succès de #Ouijevote, une attention particulière a été portée aux pratiques des jeunes sur Internet. En apparence en tout cas. La plateforme Ouijevote.fr est truffée de boutons Facebook, Twitter, Mail et Vine pour permettre aux internautes de partager le contenu auprès de leur web-communauté. Le Premier Ministre a même lancé la campagne via un tweet en incitant ses followers à faire tourner l’information.

Jusque-là, rien d’incroyable. Il s’agit d’une campagne originale et plutôt moderne, faite pour interpeller les jeunes (en fait, les moins de 30 ans) en utilisant les mêmes modes de partage de l’information qu’eux. A priori, rien à signaler.

Tweeter, est-ce s’exprimer pour de faux ?

Il existe un onglet sur cette plateforme intitulée « Oui je vote et je le dis ». Il s’agit d’inciter les internautes à poster sur Facebook, Twitter ou Vine leur intention d’aller voter, de manière à encourager leur cercle d’ « amis » à les imiter. En bas de page, on trouve deux petites animations qui portent les slogans « Voter, c’est tweeter en vrai ! » et « Vous aimez liker ? Votez ».

#ouijevote2

Efficace ? Pas sûr… D’abord parce que la formule « Vous aimez liker ? Votez » est très réductrice quand on est familier de la pratique du like sur Facebook. Tout le monde like un peu tout et n’importe quoi pour manifester son adhésion, un sourire ou un applaudissement ; on like plusieurs fois par jours pour oublier l’instant d’après ce qu’on a liké. Il est donc un peu étrange de comparer la démarche du vote à un petit clic désinvolte et non-prémédité… Néanmoins, on comprend bien évidemment le message : si vous aimez donner votre avis, venez voter, c’est aussi facile.

Mais le deuxième slogan est encore plus maladroit : « Voter, c’est tweeter en vrai ! », la formule est assez condescendante. Qu’est-ce que cela présuppose : que l’expression des jeunes sur Twitter, c’est « pour de faux » ? Que la participation politique et citoyenne hors du vote, et particulièrement sur Internet, c’est « pour de faux » ? C’est bien mal appréhender les pratiques des 18-25-30 ans sur Twitter et sur Facebook, que de les confondre avec des pratiques d’adolescents trop flegmatiques pour se lever un dimanche pour aller voter. C’est aussi méconnaître les jeunes twittos (enfin les twittos tout-court, puisque contrairement à la moyenne d’âge de l’Assemblée nationale, celle de Twitter est bien plus représentative du public ciblé) – c’est donc bien mal les connaître que de penser qu’ils puissent se reconnaître dans une campagne qui dénature leur présence et leur activité sur le Net.

tweet#ouijevote

La chercheuse américaine Danah Boyd le résume ainsi : « Toutes les conclusions auxquelles je parviens après mes recherches peuvent s’appliquer à d’autres catégories sociales qui ont une vie active sur Internet. Ce qui est différent pour [les adolescents] est […] qu’ils recherchent une liberté qu’ils doivent conquérir face à plusieurs représentants de l’autorité, à la différence des adultes qui l’ont déjà obtenue. Ils utilisent pour ça d’une manière très inventive les outils numériques à leur disposition. Les adultes qui doivent subir des contraintes dans leur vie de tous les jours le font de la même manière. » (in It’s complicated : the social lives of networked teens, 2014).

En fin de compte, cette campagne véhicule le message que l’expression virtuelle des jeunes, qu’elle soit politique ou non, n’est pas réelle, qu’elle ne « compte » pas. Que seule (ou « surtout ») compte la démarche d’aller voter un dimanche et de glisser son bulletin dans l’urne.

On aura compris que le message de cette campagne est avant tout : « Continuez à vous exprimer, mais cette fois-ci faites-le dans les urnes ». Mais elle aurait peut-être été plus efficace formulée autrement. Pourquoi pas : « Je like, je twitte, je poste sur 9gag, je tiens un blog… et le 23 mars, je vais voter. » ?

Communicants, journalistes, politiques : voilà une campagne de com’ qui pourrait vous faire réfléchir… : www.stopauxcliches.fr

 
 

Anna Lentzner
Anna Lentzner
Militante associative, je m'intéresse aux politiques publiques de jeunesse et d'éducation... et à leur communication. @alentzner