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Petite phrase et faux débat : « La citoyenneté, ça ne se désosse pas »

« La citoyenneté, ça ne se désosse pas. », telle est la conclusion de Nathalie Kosciusko-Morizet, porte parole de Nicolas Sarkozy, sur le débat autour de la viande halal, le 6 mars, lors de la dernière séance de l’Assemblée nationale avant les élections législatives de juin. Une petite phrase à l’air de rien mais qui résonne d’enjeux politiques et sociaux forts, dépassant largement le cadre initial de la polémique. Que peut bien vouloir signifier cette petite phrase ?
S’il semble évident que la Ministre de l’écologie et porte parole du président-candidat cherchait à clore une polémique « disproportionnée » autour des déclarations de Claude Guéant opérant un lien doublement fallacieux et vicieux entre le droit de vote des étrangers aux élections locales, proposé par François Hollande, et la viande halal dans les cantines, il est moins sûr qu’elle soit parfaitement parvenue à ses fins. Tout du moins, sémantiquement.
Quoique largement reprise par les médias, qui l’utilisent en guise de « chute » à leurs articles, cette phrase reste sans commentaire de la part des journalistes. Sur ce point, la petite phrase de la Ministre semble avoir rempli son objectif : nourrir la presse au biberon, et notamment la presse écrite, qui pense avoir tout à gagner à réutiliser simplement une petite phrase bien construite, quel que soit son potentiel d’ambiguïté… Et, en effet, les journalistes semblent être nombreux à être tombés dans le panneau d’une phrase jolie et vendeuse aux airs (faussement) innocents. Toutefois, l’analyse réserve parfois des surprises au lecteur averti !
Une première interprétation (stéréotypique et donc attendue) de la phrase « La citoyenneté, ça ne se désosse pas » serait que la citoyenneté n’a rien à voir avec la viande, ni avec sa méthode d’abattage : la citoyenneté est affaire d’appartenance nationale et non d’appartenance religieuse.
Mais tout le problème réside dans une seconde interprétation possible de la phrase. Ne pas désosser la citoyenneté, cela signifie-il ne pas en « rompre l’os et sucer la substantifique moelle », comme l’écrivait Rabelais ? On pourrait en effet comprendre qu’il s’agit de ne pas rogner le coeur de la citoyenneté, lequel résiderait dans le coeur de la France et de ses valeurs « traditionnelles », par opposition aux valeurs du judaïsme et de l’islam et à leurs méthodes respectives d’abattage rituel.
C’est le choix même d’un verbe propre au vocabulaire de la cuisine qui est ambigu. Avec ce verbe « désosser » qu’on emploie que rarement, Nathalie Kosciusko-Morizet s’éloigne du monde de l’évidence, ce qui lui permet de faire passer un message fort sous couvert d’implicite. Le problème  dans cette phrase étant justement tout ce que n’y est pas dit : en ne revenant pas sur les propos de Claude Guéant, Nathalie Kosciusko-Morizet semble les accepter, tout du moins tacitement. Aussi, « La citoyenneté, ça ne se désosse pas. » réitère implicitement la distinction entre la citoyenneté et certaines traditions culturelles.
En ne répondant à personne en particulier (ni à Claude Guéant, ni aux représentants des courants religieux concernés), Nathalie Kosciusko-Morizet réalise par cette petite phrase un tour de force sémantique, adjoignant le vocabulaire de l’abattage à celui de la citoyenneté, qui lui autorise le développement d’une posture duale… On sait qu’une tournure semblable avait été lourdement reprise contre son auteur, Claude Allègre – alors Ministre de l’éducation nationale et de la recherche – qui avait dit en 1997 vouloir « dégraisser le mammouth ». Les opposants à la réforme LMD alors entreprise par le Ministre de l’éducation avaient ainsi réutilisé la phrase incriminée lors de manifestations, la tournant en ridicule ainsi que son auteur.
On conçoit alors que l’enjeu de telles petites phrases est double ; il relève tout d’abord de l’articulation entre ce qui est dit et ce qui est sous-entendu dans la phrase (c’est là tout l’enjeu du « non un » en analyse du discours), mais aussi de la réception qui peut en être faite.
Ainsi que le rapporte Josiane Boutet dans son ouvrage Le pouvoir des mots, le Général de Gaulle en visite au Québec ne s’attendait pas à déclencher un incident diplomatique avec le Canada en lançant depuis le balcon de l’Hôtel de ville de Montréal son fameux « Vive le Québec libre ! ». Fort à propos, les mots sont emplis de sens et peuvent se rebeller contre leur maitre. C’est une leçon que le communicant politique se hâtera de retenir : les petites phrases, aussi incisives se doivent-elles d’être, doivent aussi avoir un sens univoque quand tel en est le propos !